Vincent Jeanbrun : « Nous faisons face à un phénomène de gangs à l’américaine »
À la veille du congrès des maires, l’élu LR de L’Haÿ-les-Roses, dont le domicile avait été vandalisé pendant les émeutes, estime que les édiles n’ont perçu aucun « choc d’autorité » venu de l’État.
Quel bilan tirez-vous de cette année 2023, marquée par les émeutes urbaines de l’été ?
Cela fait des années que monte la petite musique des difficultés que vivent nos élus locaux. Je crois que les Français commencent à l’entendre. Déjà, lors des municipales de 2020, un nombre important de maires ne se sont pas représentés. Cette année, des villes qui n’avaient jamais connu de violences urbaines en ont subi. Même les maires coutumiers du phénomène ont vu apparaître quelque chose de nouveau. J’ai appelé cela une insurrection, une vraie volonté d’affronter l’ordre établi. Le choc n’a pas encore été totalement digéré par les élus locaux.
C’est-à-dire ?
Je l’ai vu durant les rencontres de Beauvau. Un aspirant au poste de maire y aurait probablement été saisi par le doute sur ses ambitions : on aurait dit une réunion de victimes de violences anonymes. Un collègue a été tabassé au sol au point d’avoir des fractures, un autre a été étranglé… Dans une commune d’Île-de-France pas particulièrement dangereuse, un homme s’est introduit chez le maire, a égorgé ses lapins et en a déposé un sur le pas de sa porte. Cette réalité-là est nouvelle.
Que veulent ces agresseurs ?
Un changement de modèle complet. Cela vaut pour les séparatistes se revendiquant d’un islam radical comme pour les activistes de type Soulèvements de la Terre. Chacun se bat pour son individualité : les lois actuelles ne vont pas dans leur sens, donc elles sont mauvaises, donc il n’y a pas de problème à les enfreindre. Ces gens se sentent non intégrés à l’ordre social actuel et leur violence vise l’élu en tant qu’élu. Chez moi, on na pas attaqué Vincent Jeanbrun : on a attaqué le maire de L’Haÿ-les-Roses, l’autorité républicaine.
S’y ajoute la délinquance, qui s’enracine…
Et qui a pris la forme de mafias ! Si les délinquants opèrent dans l’impunité au pied des tours, c’est parce qu’ils appartiennent à de grands réseaux, plus riches et mieux équipés que nos forces de l’ordre, ils ont les derniers iPhone munis d’applications cryptées, utilisent des drones et installent des caméras à l’entrée de leurs cités. Leurs véhicules sont plus puissants que les nôtres. Le deal, il y en a toujours eu, mais il y a désormais un phénomène de gangs à l’américaine totalement assumé. Résultat, j’ai des collègues élus depuis trois ou quatre mandats qui me disent, la mort dans l’âme : « Qu’est ce que je suis content de prendre ma retraite… »
Le gouvernement a annoncé des mesures pour permettre aux maires de mieux se protéger. Est-ce que le compte y est ?
Nous protéger, c’est nous donner les moyens de protéger nos administrés. Il y a de belles propositions sur la table, mais elles ne sont pas suffisantes. Rien n’a été concrétisé, que ce soit sur la formation des élus ou la police municipale, bien que le gouvernement ait fait un pas en ce sens. La seule qui a ouvert les vannes budgétaires, c’est la secrétaire d’État à la Ville. Sabrina Agresti-Roubache, dont j’apprécie le pragmatisme. Elle a obtenu un doublement de l’enveloppe pour l’installation de caméras de vidéoprotection. Il faut qu’on aille beaucoup plus loin en matière de modernité. Si on fait confiance à un policier pour porter une arme, il faut aussi l’autoriser à déployer un drone en cas d’urgence. Il y a une volonté d’autorité, mais on n’a pas encore senti le choc d’autorité.
Quel est le quotidien d’un maire ?
Les collègues qui ont de la bouteille vous disent qu’avant ils répartissaient des crédits, aujourd’hui ils répartissent des économies. On gère la misère quotidienne. Je passe plus de temps à chercher de l’argent et des financements pour sauver l’essentiel qu’à trouver des dispositifs pour régler les problèmes. On subit un contrôle omniprésent de l’administration sur le moindre projet et ses potentiels impacts négatifs. C’est insupportable et frustrant.
Vous êtes maire depuis 2014. Comment a évolué votre rapport à vos administrés ?
Aujourd’hui, on a une nouvelle génération d’électeurs qui. très sincèrement, ne comprend pas du tout comment tout cela fonctionne. Donc ils se mettent en colère face aux lenteurs. Quand il y avait un trou dans la chaussée, on pouvait être jugé sur notre réactivité : désormais, je ne gère plus la voirie, c’est au territoire de la métropole de le faire.
On vous rend comptable du fonctionnement des services publics ?
Évidemment ! En mai, on a été débordés par les retards de livraison des passeports. Certains ont dû attendre six mois pour le recevoir. À cause d’un problème au niveau de la préfecture, donc de l’État, des personnes excédées parce que privées de vacances ont été à deux doigts de frapper des agents de la mairie. On paie pour les dysfonctionnements des autres.
Plus d’un millier de maires ont démissionné depuis 2020. Comment peut-on encore susciter des vocations ?
La réponse ne peut pas être la même pour tout le monde, elle vient forcément des tripes. Et pour les maires, elle doit répondre à cette question : peut-on encore rendre possible ce qui est souhaitable ? La tranquillité publique, l’environnement, la qualité de notre vie, de celle de nos enfants… Si tout cela est au bon niveau, engagez-vous pour que ça le reste : si ce n’est pas au bon niveau, engagez-vous pour mettre les moyens qui permettront de le changer !
Des communes du Pas-de-Calais ont été sinistrées par les crues. Les maires sont-ils équipés face aux phénomènes climatiques extrêmes ?
On ne l’est pas juridiquement. On recueille les demandes de nos administrés pour les défendre, sauf qu’une fois sur deux l’Administration nous explique qu’il ne s’agit pas d’une catastrophe naturelle. On a surtout un gros problème d’argent et un manque cruel de dirigeants capables de penser aux génêrations futures. Si on ne déclenche pas des investissements réguliers, les catastrophes naturelles vont continuer à produire des effets terribles. Par exemple, avec les épisodes caniculaires, nos enfants ne peuvent souvent plus avoir cours dès le mois de juin. Certains bâtiments ne sont plus du tout adaptés. J’ai lancé un plan pluriannuel pour aménager les cours d’école à L’Haÿ-les-Roses… mais c’est si coûteux qu’il faudra une quinzaine d’années pour y parvenir.
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