Valérie Pécresse : « Celle qui est régionaliste et patriote, c’est moi »
En Corse aujourd’hui, Valérie Pécresse se prépare à une journée marathon d’Ajaccio à Ghisoni. Déjeuner avec les acteurs économiques, entretien avec Gilles Simeoni, hommage à Claude Erignac, focus sur la santé, puis le rural, la candidate va battre la campagne, au sens premier.
Vous revenez en Corse après une visite en septembre dernier – vous n’étiez alors pas cheffe de file LR à la présidentielle – mais vous continuez à contourner Bastia dont vous êtes originaire. Les Bastiais grognent, déçus. Vous les boudez ?
Le sujet est plus complexe que cela, nous avons une campagne de soixante-dix jours qui m’oblige à faire des choix. J’ai un entretien avec le président de la Collectivité de Corse et je souhaite, en outre, rendre un hommage au préfet Erignac lors d’un moment un peu solennel. Je me rendrai ensuite à Ghisoni pour montrer que la Corse est aussi une Corse des villages.
Votre déplacement ne semble pas aller de soi en termes de fléchage. Éclairez votre parcours et les motivations de vos différentes étapes…
Ma motivation prioritaire, est de parvenir à répondre aux préoccupations quotidiennes des Corses qui ont le sentiment que l’État n’est pas au rendez-vous. La première, concerne la santé, je tiens à ce que l’on résolve, sur le plan national, la question des déserts médicaux, cela s’appliquera à l’île. Avec Philippe Juvin, qui a comme moi des origines corses par sa mère, nous avons prévu d’envoyer 4 000 généralistes en dernière année d’études de médecine, 4 000 docteurs juniors dans les territoires carencés, et ils viendront sur le territoire corse.
Recentrez, vous avez une halte à l’hôpital d’Ajaccio, avec qui échangerez-vous ?
Je veux plus de santé pour la Corse. C’est la raison pour laquelle j’irai rencontrer les personnels hospitaliers. Je veux aussi que l’on parle des hôpitaux de Bastia et d’Ajaccio ainsi que de la première année de santé à Corte dès lors qu’elle n’offre pas assez de places et de perspectives aux étudiants corses. Si l’on attend des médecins dans l’île, il faut impérativement commencer par attirer les jeunes vers les études de médecine sur le territoire insulaire. Je veux, encore, que l’on relance un nouveau plan pluriannuel d’investissement, j’en parlerai avec Gilles Simeoni, dans une logique de solutions à apporter. Nous avons besoin que les collectivités locales, les régions, puissent travailler main dans la main avec l’État pour rénover les infrastructures.
Toutes les régions de France ont apparemment signé pour que la Corse puisse bénéficier d’un statut d’autonomie. La vôtre, l’Ile-de-France, également ?
Régions de France va présenter au gouvernement un projet pour une nouvelle étape décisive de la décentralisation. L’ensemble des régions est partenaire de cette initiative, dont la mienne. Dans ce document, nous appelons à un nouveau pacte girondin avec une République des territoires s’appuyant sur les collectivités et offrant une autonomie à la carte. En corollaire, des régions pouvant se saisir d’une série de compétences neuves. Ce sera le cas pour la Corse.
Quelle vision précise avez-vous des compétences législatives ou quasi pouvant revenir à la Corse ?
Nous en parlerons lors de notre entretien avec le président Simeoni. Je ne peux préempter la discussion à cette heure, mais je suis prête à aller assez loin dans une logique de liberté-responsabilités. Ceci étant, si l’on donne des compétences à une collectivité, il faut non seulement qu’elle soit en mesure de les exercer mais aussi de rendre des comptes pour viser des résultats. Le statut n’est pas l’alpha et l’oméga, l’objectif étant bien plutôt de s’atteler aux urgences, en termes de déchets, d’infrastructures, de santé, d’eau, de développement économique et d’emploi, de vieillissement de la population. Ces sujets, nous les évoquerons avec Gilles Simeoni pour examiner comment la nouvelle décentralisation qu’il appelle de ses vœux pourrait participer à régler concrètement les problèmes des Corses.
En ce qui concerne les droits de succession, le retour au droit commun est programmé pour le 1er janvier 2028. Ce que vous prônez ?
Pour l’instant, et au plan national, la possibilité d’exonérer de droits de succession 95 % des Français dès lors que nous sommes le pays qui taxe le plus au monde et que l’on doit pouvoir transmettre à nos enfants le fruit du travail d’une vie hors impôts.
En Corse, la problématique est très spécifique, vous ne l’ignorez pas ?
À ce stade, je n’ai pas l’intention de remettre en cause le calendrier de 2028.
Précisément, c’est bien ce calendrier qui est inquiétant, dès lors que l’on retombe dans le droit commun…
La Corse doit progressivement revenir au droit commun en la matière, mais avec l’exonération que je propose en direction des 95 % de Français concernés.
Autre dossier qui soulève désormais un tollé national, celui du rapprochement des prisonniers. Vous engagez-vous à faire rentrer les trois hommes condamnés dans l’assassinat du préfet Erignac ?
Ma ligne de conduite consiste à respecter l’indépendance de la justice. L’assassinat du préfet Erignac reste une grande blessure. Des décisions de justice vont être prises dans les mois qui viennent quant à des demandes de rapprochement. Je les respecterai et ne donnerai aucune instruction dans ce dossier, sachant que ces condamnés doivent avoir les mêmes droits que les autres.
Ils ne les ont pas précisément, puisqu’ayant purgé leur dette, ils peuvent désormais bénéficier d’un aménagement de peine qu’on leur refuse…
Oui, mais ce n’est pas le rôle d’une présidente de la République d’interférer dans la justice, je ne le ferai pas.
Des discussions sont en cours entre Paris et la Corse. Ce qu’il doit en sortir selon vous ?
Le président de la République avait promis à toutes les collectivités locales plus d’autonomie, et le respect, pour in fine les mépriser, la Corse comme les autres régions. Il faut respecter les élus, les Corses qui ont un projet pour leur île et les soutenir pour qu’ils le réalisent dans la République, c’est ainsi que je fonctionne. Je crois au fait régional, je suis patriote et je crois que les deux vont de pair.
Un bras de fer se joue actuellement entre l’Europe et l’exécutif corse sur la prochaine délégation de service public maritime. Comment assurer une continuité territoriale optimale entre l’île et le continent ?
C’est un immense défi pour l’île. Moi, présidente de l’Union européenne, j’aurai à cœur de défendre les intérêts de la France et d’essayer de compenser le handicap lié à l’insularité avec des transports moins chers pour les Corses et ceux qui y viennent.
Parmi vos propositions nationales, quelles sont celles qui pourraient apporter une plus-value à l’île, exemples à l’appui ?
Je propose une hausse, de 10 %, des salaires d’ici les cinq prochaines années et la possibilité de convertir en salaire les RTT que l’on n’a pu prendre en raison de la crise Covid. Le travail doit payer davantage, notamment dans les métiers du tourisme qui ont tant de mal à recruter. Il est important que l’État passe à l’action, ce que je ferai pour ma part dès le mois de juillet, pour mettre sur la table une baisse des cotisations retraites afin de pouvoir augmenter les salaires. Entre autres, dans le secteur touristique, je le disais, mais aussi dans le domaine du service à la personne, essentiel à la Corse, pour rechercher une amélioration du pouvoir d’achat de ces emplois et favoriser le recrutement.
De manière plus ciblée ?
Je vais promouvoir une banque nationale des jeunes qui financera leurs études. Je sais combien il est compliqué pour les jeunes Corses d’aller faire, et de poursuivre, des cursus sur le continent. Cette banque ne réclamera le remboursement des prêts accordés que lorsque les jeunes auront atteint un certain niveau de salaire. Ce qui signifie que s’ils échouent, ils ne rembourseront pas. Ce sera un tremplin pour combattre l’autocensure et inciter à monter des projets. Sur l’apprentissage, un enjeu majeur pour les entreprises corses, notamment artisanales, touristiques, je défiscaliserai l’apprentissage pour permettre aux entreprises de moins de dix salariés de prendre, hors charges patronales, des apprentis.
Yannick Jadot était à Bastia lundi. La part que Valérie Pécresse entend réserver à l’écologie ?
Mon projet est puissamment écologique. Il s’agit de protéger les zones les plus remarquables de nos paysages, et cela concerne au premier chef la Corse, avec encore plus de financements pour optimiser la préservation.
À Ghisoni, ce soir, vous irez au-devant d’une ruralité qui constitue une part de l’identité de la Corse. Comment la faire vivre dans l’une des régions les plus pauvres de France ?
Je vais prendre un engagement très fort. Pour chaque euro donné en direction de la politique de la ville, un euro sera reversé à la ruralité. C’est pourquoi je suis allé à Corte en septembre dernier, c’est pourquoi je suis aujourd’hui à Ghisoni, même si cela me contraint dans mon voyage. Pour moi, la ruralité, c’est la France, et nombre de jeunes ont envie de retrouver cette authenticité de la vie au village dans la France de l’après-Covid. On doit les y encourager. C’est aussi pour cela que je vais généraliser le prêt à taux zéro sur tout le territoire afin que les primo-accédants deviennent plus facilement propriétaires, y compris dans des zones en tension, ce qui participera à la rénovation des cœurs de village.
Vous ne parlez pas de spéculation, pourtant elle est omniprésente en Corse…
Ce sera une façon de lutter contre le phénomène. Par ailleurs, il n’y aura plus, avec moi, de fermeture de classe dans le rural sans l’accord des maires. Et j’ai la volonté de favoriser le maintien à domicile. En plein scandale des Ehpad, il faut savoir que cela coûte un bras, d’une part aux collectivités, d’ouvrir des places dans ces établissements, d’autre part, aux familles. J’engagerai des crédits d’impôts et des aides en ce sens.
Vous présidente, promettez un « bing bang » décentralisateur. Ce qui changerait sur le territoire insulaire ?
Cela veut dire que je suis prête à octroyer un certain pouvoir réglementaire aux régions, des droits de dérogation, de différenciation.
En Corse, la différenciation n’a jamais marché…
Eh bien, nous allons nous y mettre. De surcroît, je suis très attachée aux langues régionales, même si je ne suis pas favorable à la coofficialité de la langue corse. Il faut que les langues régionales, qui sont nos racines, soient enseignées en enseignement immersif.
Vous parlez corse ?
Non, mais mon grand-père le parlait.
Le statut de résident ?
Il créerait une exception préjudiciable à l’unité de la nation française.
Vous êtes d’origine corse, mais cela suffira-t-il pour que le vote des insulaires se porte sur votre candidature tandis qu’en 2017 Marine le Pen avait fait carton plein ?
Celle qui est véritablement régionaliste et patriote aujourd’hui, c’est moi. Je viens de cette tradition gaulliste qui était celle de mon grand-père et qui m’a toujours enseigné que la Corse avait tenu un rôle clé dans l’histoire de France.
La question était : allez-vous faire des voix en Corse ?
J’ai autour de moi beaucoup d’amis de la Corse, et je crois qu’ils seront au rendez-vous pour changer la vie d’une population qui ne veut plus se sentir méprisée, reléguée, par le pouvoir jupitérien. Il faut instaurer un dialogue donnant-donnant avec l’exigence de résultats.
Les réseaux Zemmour, bâtis ex-nihilo, sont déjà très organisés dans l’île. Et vous, sur quels bastions pouvez-vous compter ?
Il reste encore des maires d’origine gaulliste en Corse. Et Jean-Jacques Ferrara est le porte-parole de ma campagne dans l’île. C’est un député extrêmement actif à l’Assemblée nationale. Il compte, avec d’autres, Camille de Rocca Serra, Ange Santini, pas seulement, parmi les élus que je côtoie depuis des années. Mais il est également un fait, en tant que présidente de région j’ai noué une vraie relation avec Gilles Simeoni sous l’angle de ce fait décentralisateur que nous voulons tous les deux.
>> Lire l’interview sur CorseMatin.com
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