Raphaël Schellenberger : « Nous subissons depuis des années la stratégie électrique allemande »
EURACTIV France s’est entretenu avec le député du territoire de Fessenheim, Raphaël Schellenberger, qui vient de déposer une proposition de loi « visant à rendre à la France sa capacité à développer la filière nucléaire » et qui est pressenti, selon nos sources, pour présider la Commission d’enquête sur la souveraineté énergétique de la France demandée par son groupe parlementaire.
Raphaël Schellenberger est député Les Républicains de la 4ème circonscription du Haut-Rhin (Alsace) depuis 2017. Il a également été président de la mission parlementaire d’information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.
Dans cette interview exclusive pour EURACTIV France, le « député de Fessenheim » fait part de sa vision de la « solidarité énergétique européenne » qu’il conditionne à la souveraineté des États sur leurs moyens de productions plutôt qu’à une vision homogène du développement, dont il accuse l’Allemagne d’être l’artisane.
Les Républicains (LR) ont toujours défendu l’énergie nucléaire, mais qu’en est-il des énergies renouvelables ?
Nous n’opposons pas nucléaire et renouvelable, et nous sommes conscients des limites de chacun de ces moyens de production.
Je continue de penser qu’il y a des énergies renouvelables à explorer, comme celle des courants marins.
Mais pour le moment, on ne peut pas se passer du nucléaire, moyen de production énergétique pilotable le plus décarboné.
Votre circonscription comprend la centrale nucléaire de Fessenheim, définitivement arrêtée en 2020 et dont les derniers combustibles viennent de quitter les réacteurs. Quel est son poids dans votre discours politique ?
La centrale de Fessenheim est devenue une clé pour expliquer les enjeux énergétiques de notre territoire.
Sa fermeture a déséquilibré l’offre et la demande d’électricité entraînant la fragilisation des outils de production de la grande plaine du Rhin, l’un des cœurs industriels de l’Europe.
Vous venez de déposer une proposition de loi pour revenir sur l’objectif de réduire la part du nucléaire à 50% du mix électrique français inscrit dans la loi énergie-climat (8 novembre 2019), alors que le président de la République souhaite déjà relancer la filière. Quelle est l’utilité ?
Le but est de pointer du doigt les incohérences du discours d’Emmanuel Macron qui a fermé une centrale en parfait état de fonctionnement [Fessenheim] et porté une loi pour fermer douze réacteurs supplémentaires.
Aujourd’hui, le président veut redévelopper la filière nucléaire. Chiche ! Donnons déjà le signal qui permette à la filière de se projeter en mettant fin à l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix français.
Pourtant les institutions européennes sont en train de négocier pour porter la part des renouvelables dans le mix énergétique de 22% en 2020 à 45% en 2030. Comment le nucléaire pourrait-il être une réponse aux effets de la crise à court terme ?
Le redéveloppement de la filière nucléaire est une réponse de moyen terme.
À court terme, le réseau actuel va revenir sur le marché, même s’il pâtit de problèmes qui n’étaient pas prévus comme les corrosions sous contrainte sur les réacteurs.
Cela rappelle d’ailleurs qu’il faut surdimensionner nos capacités de production plutôt que d’organiser la mutation du système énergétique en utilisant les marges de sûreté et de sécurité pour développer, entre autres, des énergies intermittentes. Car à force de rogner sur ces marges de sécurité, nous nous retrouvons aujourd’hui face au mur.
La ministre de la Transition énergétique a déclaré qu’EDF était prêt à remettre tous les réacteurs nucléaires en route dès cet hiver. Cela vous paraît-il crédible ?
Avec le décalage du calendrier de maintenance, je pense que Mme Pannier-Runacher est un peu ambitieuse et que nous n’aurons pas l’entièreté du parc nucléaire à flot cet hiver.
Si nous avons des problèmes d’approvisionnement, le gouvernement propose de rationner l’industrie, puis les ménages.
Il faut créer une vraie doctrine d’usage. Quelle est la priorité ? Faire en sorte que nous puissions jouer à la PlayStation à 19 heures ou préserver l’outil de production pour éviter la casse économique, technique et sociale ?
Lorsque les coupures de secteurs industriels étaient utilisées pour des cas de force majeure, le coût était acceptable pour les entreprises et l’industrie. Aujourd’hui qu’il devient un outil de gestion de la pénurie, cela devient inacceptable.
Au niveau européen, avec quels pays pouvez-vous travailler à la relance du nucléaire ?
Cela vient d’abord de la France, puisque nous avons une capacité suffisamment forte pour relancer la filière. Ensuite, il faut exporter. Les pays nordiques sont assez favorables au développement du nucléaire.
De l’autre côté, l’Allemagne et l’Autriche par exemple, s’y opposent.
Mettons-nous d’accord sur des règles communes en matière de sûreté, de gestion des déchets, de sécurité, car cela concerne tout le monde. En revanche, même si la centrale de Fessenheim est sur la frontière, je dis à nos voisins allemands que ce n’est pas à eux de décider de notre politique énergétique !
Avez-vous actuellement un dialogue serein avec les Allemands ?
Pendant un an et demi, lorsque je présidais la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le suivi de l’arrêt de Fessenheim, les Allemands ont refusé de me faire visiter leur centrale de démantèlement.
Mais je sens que certains d’entre eux sont en train de changer d’avis sur le nucléaire.
Dans ces conditions, la solidarité européenne a-t-elle des limites ?
La solidarité ne devrait pas avoir de limites. Mais nous pourrons avoir une politique européenne commune que si nous acceptons que les États aient des stratégies industrielles et énergétiques différentes avant, bien sûr, de les mettre en commun.
Or nous subissons depuis des années la stratégie électrique allemande.
Pendant des années nous avons réduit les capacités de notre réseau pour absorber les surplus de production renouvelable allemande. Nous leur vendions ensuite notre production nucléaire sécurisée lorsque les éoliennes ne soufflaient pas.
À la fin, nous leur vendions davantage d’électricité qu’ils nous en vendaient.
Aujourd’hui, ils sont incapables de stocker suffisamment du gaz et nous avons compris qu’il faudra peut-être que nous arrêtions nos outils de production au gaz pour pouvoir alimenter les leurs.
Alors pourquoi le gouvernement insiste-t-il autant sur cette stratégie de solidarité ?
Emmanuel Macron est un opportuniste. Il ne construit pas l’avenir, mais il joue sur les marchés financiers. Or l’énergie n’est pas un outil de marché, mais un outil de souveraineté.
À ce sujet, votre président de groupe à l’Assemblée nationale, Olivier Marleix, prône la sortie unilatérale du marché européen de l’électricité si ce dernier n’est pas réformé. Le sujet sera mis sur la table vendredi (9 septembre) en conseil extraordinaire des ministres de l’Énergie européens. Qu’en pensez-vous ?
Je ne crois pas que nous sortirons unilatéralement du marché. Avant, la France subissait seule la corrélation artificielle entre le marché du gaz et celui des autres énergies. Maintenant que l’Allemagne la subit aussi, je suis certain que la réforme du marché se fera.
Il faudra aussi sortir du marché de l’hydroélectricité et enfin s’intéresser à l’outil de production énergétique plutôt qu’à la façon dont on l’exploite juridiquement.
Les informations que nous avons nous laissent penser que vous pourriez être désigné président de la future Commission d’enquête sur la souveraineté énergétique de la France demandée par votre groupe. En vue de votre expérience sur les questions énergétiques, seriez-vous prêt à occuper cette fonction ?
Du fait de ma circonscription et de mon intérêt pour la question énergétique, je considère cette proposition de Commission d’enquête indispensable. J’en suis d’ailleurs le deuxième cosignataire derrière notre président de groupe.
Mon intérêt sur ces enjeux est très fort et j’ai bien l’intention de permettre aux Français de comprendre comment les décisions incohérentes de ces dix dernières années ont été prises pour que nous puissions correctement répondre aux défis qui nous font face.
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