Rachida Dati : « La première machine inégalitaire, c’est l’école »
La maire LR du VIIe arrondissement de Paris revient sur les émeutes urbaines qui ont violemment secoué la France.
La tension n’est pas retombée après les émeutes. Rien n’a été réglé ?
La tension est retombée mais les problèmes de fond restent entiers. On a remis, par le biais des forces de sécurité qui ont été fortement mobilisées, un couvercle sur la Cocotte-Minute. Parmi les priorités il y a le rôle de l’école. Trop de jeunes sont en décrochage scolaire et laissés à l’abandon. Sans formation, ils n’accèdent pas à l’emploi et sont pris en charge par des réseaux de trafiquants. Personne ne s’est interrogé sur le parcours de Nahel, âgé de 17 ans, au volant d’une grosse cylindrée de location et sans permis. Dans son cas, il est clair que ni l’école ni la justice des mineurs n’ont été efficaces puisque ni la garde à vue, qu’il a connue quelques jours avant, ni la convocation devant le juge des enfants en septembre prochain n’ont été dissuasives. Pour être efficace, la justice des mineurs doit être beaucoup plus rapide. Lorsqu’une mesure éducative est prononcée, il est anormal d’obtenir l’intervention d’un éducateur des mois plus tard. J’aurais aimé que l’on poursuive la réforme de la justice civile des mineurs que j’avais entamée. On ne peut pas se résoudre à voir un pan entier de notre jeunes se faire sécession.
Pour vous, la question c’est donc l’intégration ?
Évidemment qu’il y a un problème d’intégration dans notre pays. Mais réduire les causes des émeutes à ce seul problème signifierait qu’il suffirait de régler la question de l’immigration pour que cela ne recommence pas. C’est une vision trop simpliste. Il n’y a pas de racisme systémique ou de racisme d’État en France, mais il y a un phénomène de relégation qui crée des inégalités et des discriminations. La première machine inégalitaire, c’est l’école. Quand vous avez dans un même établissement une concentration d’enfants qui ont de vraies difficultés d’apprentissage, cela interroge sur leur avenir et leur intégration au sein de la société. Le dédoublement des classes est sans effet sur ce sujet. On a détourné le regard avec un certain cynisme, car on est passé dans ces quartiers d’une délinquance très bruyante à une délinquance très silencieuse qui assure un calme apparent : celui du trafic de drogue. Notre responsabilité est collective.
Y a-t-il une ou des solutions ?
Il faudrait casser les ghettos et avoir une autre politique de peuplement des logements sociaux. Je remarque que beaucoup de maires qui ont été victimes des émeutes s’interrogent sur les effets du droit au logement opposable (Dalo) qui amplifie la concentration des difficultés au même endroit. Je constate que l’absence de politique pénale, que je dénonce depuis des années, fait que la justice n’est plus dissuasive, en particulier chez les mineurs et les jeunes majeurs. Il faut renforcer la lutte contre les trafics qui gangrènent les quartiers et revoir les priorités des forces de sécurité en coordination avec les procureurs de la République. Enfin, l’école doit jouer véritablement son rôle de formation et d’exemplarité. C’est pour cela qu’il faut rétablir les internats d’excellence que la gauche a supprimés.
N’y a-t-il pas aussi un problème d’autorité parentale ?
Ce qui mine l’autorité des parents, c’est le rapport à l’argent et les fréquentations de leurs enfants. Il est clair que, quand un jeune ramène plus d’argent au domicile que sa mère qui l’élève toute seule, oui, il y a un problème d’autorité. Beaucoup de ces jeunes n’ont plus de repères au regard d’une autorité des parents affaiblie et contestée par les chefs de bande.
La réponse pénale est-elle à la hauteur aujourd’hui ?
La réponse est dans votre question. Il est vrai que la délinquance des mineurs a fortement augmenté, mais la maltraitance des mineurs a aussi augmenté. Quand on s’intéresse à la justice des mineurs, il faut également s’intéresser à leur protection, qui est la grande oubliée de nos politiques publiques. J’avais créé des centres éducatifs fermés dans lesquels j’avais renforcé la formation, l’éducation, en y ajoutant une prise en charge pédopsychiatrique. Ces centres-là n’ont jamais été développés. Par ailleurs, la protection de l’enfance souffre de la décentralisation. Elle mériterait une politique nationale et régalienne. Les structures d’accueil des mineurs placés sont très hétérogènes et ne correspondent pas à leur développement personnel, ce qui conduit à les déstructurer plutôt qu’à les construire.
Faut-il baisser l’âge de la majorité pénale ?
Les mêmes qui la réclament aujourd’hui l’ont contestée quand j’étais garde des Sceaux ! L’âge moyen de la responsabilité pénale en Europe varie de 13 à 14 ans. J’avais souhaité qu’elle soit fixée à 13 ans en France. Certains ont polémiqué en estimant que les mineurs délinquants seraient systématiquement incarcérés. C’est faux car, avec ou sans responsabilité pénale, on peut déjà aller en prison lorsque l’on commet un crime à 13 ans. Fixer un âge de responsabilité pénale permet d’avoir une politique pénale cohérente, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, et permet qu’un même délit commis par un mineur soit sanctionné de la même manière, partout en France. Certains réclament la baisse de la majorité pénale de 18 ans à 16 ans ce qui impliquerait d’être jugé comme un majeur dès lors. Je n’y suis pas favorable dans la mesure où la majorité civile est à 18 ans. Je suis plutôt favorable au rétablissement des peines planchers que j’avais instaurées pour les majeurs et les mineurs. Dans les juridictions où elles étaient systématiquement appliquées aux récidivistes, c’était efficace !
Éric Zemmour estime que l’on a forgé depuis quarante ans un peuple français qui déteste la France. Vous êtes d’accord avec cela ?
Je n’ai pas à commenter ses outrances.
Une partie des jeunes n’aime pas la France ?
Ils ne s’aiment pas eux-même déjà ! Oui, certains disent « je n’aime pas la France », mais je n’en ferais pas une généralité. Ce serait faire injure à cette France qui se lève tôt et qui se couche tard pour les autres. Je pense à tous ceux qui accompagnent leurs enfants aux compétitions sportives, qui font de l’aide aux devoirs, à ceux qui aident leurs parents dans leurs démarches administratives, à ceux qui résistent et essaient de s’en sortir. On ne peut pas piétiner tous ces gens-là.
Vous n’êtes pas favorable à la suppression des allocations familiales pour les parents d’enfants délinquants ?
Il serait injuste de pénaliser une famille dans laquelle il y a un délinquant et un autre qui s’en sort. Les maires peuvent déjà supprimer des aides sociales à des familles volontairement démissionnaires ou qui ne se comportent pas bien. Il existe aussi des dispositifs de droit commun permettant aux bailleurs sociaux d’expulser des familles pour trouble de jouissance ou trouble à l’ordre public. Je rappelle quand même que le logement social était un outil de promotion sociale pour des gens qui travaillaient, notamment les ouvriers. Peu à peu, c’est devenu un outil de relégation et de concentration des problèmes. Les élus sont les premiers responsables de cette situation, et la gauche, par clientélisme et opportunisme électoral, a laissé prospérer ces phénomènes. Pire, elle les a entretenus. Le résultat, c’est une quasi-sécession de certains quartiers.
La réponse de la droite et des LR est uniquement sécuritaire. Est-ce suffisant ?
Face à l’augmentation de la délinquance, il faut mettre fin à l’impunité. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut rétablir l’autorité et l’ordre avec une politique pénale claire et ferme. Rétablir la sécurité c’est bien, mais il faut la rétablir durablement. Cela doit s’accompagner d’autres mesures. Je le répète, le problème doit être traité dès l’école par le biais de la réduction des inégalités et le retour à l’excellence pour tous. C’est un travail au long cours. Il faut aussi revoir la politique d’attribution des logements sociaux pour empêcher l’accumulation des difficultés au même endroit. Enfin, il est absolument indispensable de maîtriser les flux migratoires et de revoir notre politique d’accueil.
La gauche a-t-elle cultivé la culture de l’excuse à outrance ?
Oui, je me suis étonnée du silence de la gauche du « droit à la différence », de 1’« excuse sociale », la gauche du « ce n’est jamais de votre faute », la gauche de la victimisation. Où est-elle aujourd’hui ? Elle a des comptes à rendre.
Quand vous voyez des députés LFI qui manifestent avec le comité Traoré au slogan de « Tout le monde déteste la police », cela vous choque ?
Au moins il n’y a pas de tromperie sur la marchandise. Ils sont dans leur radicalité. Nous savons ce qu’ils veulent, il suffit devoir avec qui ils s’affichent.
À Paris, en perspective des élections municipales de 2026, les sondages vous mettent en position de favorite.
Mon combat, c’est Paris. Je suis claire sur mes intentions. La ville est en état de faillite à tous les niveaux. L’élection de 2026 sera un choix de société. Paris doit redevenir la ville de tous les espoirs, une capitale qui fait rêver, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Vous ne visez rien d’autre au niveau national ?
Paris est un enjeu national.
Faut-il un gouvernement d’union nationale pour permettre au pays d’avancer ?
L’état du pays et l’absence de majorité au Parlement nous imposent de prendre nos responsabilités. Cela ne pourra pas se faire à coups de débauchage. Il faut pour l’avenir de la France des accords politiques sur des réformes majeures et structurantes. Je remarque que la loi de programmation militaire qui vient d’être adoptée reprend les propositions des Républicains. C’est donc possible.
Cela ne passe pas forcément par un accord de gouvernement ?
La France mérite un programme de redressement, pas des ralliements avec une absence de vision. Il faut cesser de détruire la politique aux yeux de nos concitoyens.
Paris est prêt-il pour les JO 2024 ?
La chambre régionale de la Cour des comptes alerte régulièrement sur l’état de Paris et sa gestion. En juin, elle a souligné ce que je dénonce depuis des mois : l’absence d’un budget total parisien pour les Jeux, et de graves incertitudes quant à la sécurité, au point que le préfet de police et le président de la République ont dû reprendre la main. Les Parisiens ont de la chance d’avoir à leurs côtés Laurent Nunez, qui est un excellent préfet de police, avec lequel je travaille en toute confiance. Ses qualités vont bien au-delà de ses fonctions.
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