Politiques de santé : cessons de naviguer à vue !
Médecin hospitalier au CHU de Grenoble, vice-président de la commission des Affaires sociales et secrétaire national des Républicains en charge de la Santé, le député Yannick Neuder appelle à une véritable révolution de la politique de santé en France.
Sept ministres de la Santé en sept ans. Les années Macron laisseront le souvenir d’un ministère rythmé par les chaises musicales pendant que le monde de la santé s’écroulait autour de lui. À chaque changement, des impulsions, des annonces, des discours qui se ressemblent, l’assurance d’avoir appris de la crise Covid. Pourtant, le système ne cesse de se déliter. Notre santé publique a besoin de réformes structurelles : c’est impossible sans vision, sans continuité, sans stabilité. Après un mois d’atermoiements politiques, la France a enfin un nouveau ministre de plein exercice délégué à la Santé et un semblant de cap, du moins en apparence.
Les annonces de Gabriel Attal, en particulier la nomination d’un émissaire afin de recruter des médecins à l’étranger, suscite au mieux l’incompréhension, au pire la colère. Pourquoi tourner le dos à nos propres talents pour aller les chercher ailleurs ? L’État s’exonère de ses responsabilités alors même qu’il a les moyens d’agir ; 1) en rapatriant nos étudiants français ayant fui notre concours d’entrée aux études de médecine, un système inique qui repose encore sur un numerus clausus soft appelé apertus tout aussi pénalisant ; 2) en activant tous les leviers pour former plus de médecins CHEZ NOUS : passerelles de carrière pour les paramédicaux, territorialisation des stages, abandon de l’injuste système PASS-LA.S, autorisation de redoublement. C’est l’objet de ma proposition de loi, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, qui constituerait une avancée considérable. Je souhaite qu’elle soit urgemment promulguée et, s’agissant de son devenir, le Premier ministre semble, cette fois-ci, avoir pris conscience de son utilité durant son discours de politique générale.
Quant aux gardes obligatoires des généralistes dans les SAS (Services d’accès aux soins) mises en place cet été, là encore, c’est un pansement sur une jambe de bois. Vendu comme une « contrepartie » à la revalorisation de la consultation, il ne résout pas les problèmes de fond : la pénurie chronique de médecins et la contraction extrême du temps médical laissent peu de marges aux libéraux pour absorber la demande. 40 % de libéraux jouent déjà péniblement le jeu et le reste y consentirait s’il le pouvait. Ces gardes obligatoires ne peuvent rien si on ignore la dégradation des conditions d’exercice, les départs en retraite et un temps médical contracté. Ne faisons pas payer aux médecins généralistes le manque de réformes pour lutter contre la désertification médicale, au risque de déconventionnements massifs.
Au-delà de cette pénurie chronique de médecins, c’est l’éternel paradoxe français qui continue d’animer les débats : notre pays dépense beaucoup, toujours plus pour un système de santé qui peine à délivrer du soin. 58 % des Français considèrent que le système de santé en France fonctionne mal, selon un récent sondage Elabe. IGAS (Inspection générale des affaires sociales et de la santé), Cour des comptes pointent le niveau alarmant de nos dépenses de santé au regard de l’efficience du système. Parallèlement, tous nos établissements, privés, publics, creusent des déficits abyssaux depuis des années.
Les prochains états généraux de la Santé devront proposer un audit profond de l’efficience de notre système. Pourquoi ? Car la France a consacré 11 % de son PIB en dépenses de santé, contre 8 % en moyenne dans l’UE, mais la réduction du temps dédié au soin dans nos structures est alarmante : François Écalle, ancien magistrat de la Cour des comptes, déplorait par exemple que nos hôpitaux emploient bien plus de personnel non soignant que les autres pays, avec 34 % en France, contre 26 % en Italie, 25 % en Allemagne.
C’est pourquoi un sentiment de dépossession règne à l’hôpital comme en ville. C’est en tout cas le constat du cardiologue hospitalier que je suis, mais aussi celui de confrères comme ceux auditionnés au Sénat en 2022 à l’occasion de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et du système de santé. Michaël Peyromaure, chef du service d’urologie à l’hôpital Cochin, décrivait une montée progressive du pouvoir administratif en quelques décennies : quand le management et la gestion venaient en appui des soignants pleinement mobilisés sur leurs patients, notre système a inversé la logique avec des soignants je cite « à la merci des gestionnaires ».
Notre système souffre également d’une coordination chaotique entre la ville et l’hôpital, mais aussi entre les différentes strates d’un magma administratif qui a emporté le soin. Exemple : la reproduction dans les hôpitaux d’examens déjà réalisés en ville qui font exploser le nombre d’actes inutiles. Selon l’OCDE, 20 % des dépenses de santé seraient inutiles dans les pays du Nord. Parallèlement, nos soignants estiment à 30 % la part des actes médicaux injustifiés. Enfin, la non-compensation des 35 heures, amplitude horaire qui n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact sur l’hôpital, a été douloureuse pour le système de santé.
Il devient, en outre, urgent de refonder le système de santé en faisant de la prévention et le virage domiciliaire des priorités : là encore, les annonces de Gabriel Attal sont frappantes : aucun mot s’agissant de la prévention. À ce titre, je proposerai bientôt un bouquet de mesures ciblant le dépistage des maladies cardiovasculaires qui restent en France en haut du tableau des causes de décès. Rappelons que, selon l’OMS, 80 % des maladies cardiovasculaires prématurées sont évitables.
Rien non plus concernant celles et ceux sur qui repose le virage domiciliaire : nos professionnels de santé libéraux, en particulier infirmiers, dont la tarification des actes n’a pas été revue depuis 2009 et qui continuent de faire du bénévolat dès le 3e acte et à être moitié moins rémunérés au 2e !
Il est également primordial de remettre de la clarté et de la vision à long terme dans l’élaboration de notre politique de santé. Depuis trop longtemps, la vie de nos établissements, de nos professionnels de santé, de nos aidants est régie par le sacro-saint PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) daté de 1995 et son ONDAM (Objectif national de dépenses d’assurance maladie) terreur de nos débats en hémicycle qui se résument à un Tetris budgétaire. La santé doit être considérée comme une verticale stratégique de l’État au même titre que l’énergie, la défense ou la justice, elle-même dotée de lois de programmation pluriannuelles comme proposé dans mon texte sur l’accès aux soins.
La santé doit redevenir une priorité nationale, et ce ne sont ni de nouvelles normes, ni de nouvelles enveloppes, encore moins une valse de nouveaux visages, qui la rebâtiront. Il est urgent de lancer des réformes structurelles et un changement de modèle complet. Le temps de l’action est venu.
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