Philippe Juvin : « Pour sauver les retraites, il faut épargner »
Philippe Juvin, député des Hauts-de-Seine, plaide pour la création d’un fonds d’épargne retraite souverain garanti par l’Etat, aux cotisations constantes.
Le fait que la dette devienne une modalité normale et pérenne du financement des retraites n’émeut plus. Bien que ce financement ressemble à une pyramide de Ponzi et nous paupérise un peu plus chaque année, certains persistent à nier la nécessité d’une réforme.
Le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) a montré que le système actuel conduit à une inéluctable érosion des pensions. Alors même que le COR sous-estime le déficit en ignorant les subventions d’équilibre versées par l’Etat et les collectivités territoriales pour financer les retraites de leurs agents, il écrit sans ambiguïté que la situation financière se détériorera de 2022 à 2032 (et, dans certains scénarios, jusqu’en… 2070) avec un déficit de– 0,5 % à – 0,8 % du PIB.
Tout cela est très logique. Dans un régime par répartition, les actifs paient la pension des retraités. Le système était viable en 1960, quand on comptait 4 actifs pour 1 retraité. Mais, en 2022, avec 1,4 cotisant pour 1 retraité dans le privé et 0,9 cotisant pour 1 retraité dans le public, il faudrait taxer les salaires à 28 % dans le privé et à 89 % dans le public pour atteindre l’équilibre. Une réforme des retraites est donc indispensable. Mais laquelle ?
On nous propose de reculer l’âge de la retraite. Pourquoi pas? Mais cela ne fera que repousser les échéances. Tant que le vieillissement de la population s’accentuera, on se condamne à devoir régulièrement reculer le départ à la retraite, à perpétuité. D’autres proposent que l’Etat compense. Avec une dette de 129 % du PIB, cela n’arrivera évidemment pas.
D’autres veulent mettre fin aux régimes spéciaux. Oui, certains coûtent cher. Mais la suppression du régime RATP, par exemple, ne rapportera la première année que de 7 à 10 millions d’euros, et celui de la SNCF, de 23 à 35 millions. Faut-il abîmer son énergie réformatrice pour de si petits enjeux ? Ne soyons pas dupes : centrer la communication sur la fin des régimes spéciaux permet de désigner des boucs émissaires et de détourner l’attention des vrais enjeux. Accessoirement, certains régimes spéciaux sont excédentaires et l’Etat a aussi l’idée non avouée de faire main basse sur leurs réserves…
Une première étape utile serait d’imposer à l’Etat de provisionner les retraites des fonctionnaires. Aujourd’hui, il ne le fait pas, et leurs pensions ne sont pas garanties. Un agent de catégorie C né après 1980 touchera une pension de retraite inférieure au seuil de pauvreté.
Capitalisation collective
Mais la vraie réforme consisterait à compléter le régime par répartition, rendu insuffisant en raison de la démographie, par de l’épargne obligatoire. Les pharmaciens l’ont fait : ils ont introduit en 2009 un modèle de capitalisation collective qui finance aujourd’hui 50 % de leurs retraites. Pareil pour le Sénat et la Banque de France, qui, protégés par leur indépendance, ont développé leurs capitalisations collectives depuis plus d’un siècle. Même si cela est largement ignoré, les fonctionnaires disposent aussi d’un tel fonds, efficace bien que trop modeste, car pas abondé, l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique, qui leur verse 2 milliards chaque année en complément de leur répartition.
L’enjeu est donc de faire bénéficier tous les Français d’un régime similaire. Notre proposition est de créer un fonds d’épargne retraite souverain (FERS) public, abondé par les cotisations de retraites salariale et patronale, à cotisations constantes. Ces cotisations seront investies dans des actifs financiers ou immobiliers, et les dépenses futures seront provisionnées.
La question est souvent posée du risque de krach boursier, qui pourrait ruiner les retraités. Les très rares exemples de faillites de fonds de pension ne concernent que des fonds privés, parfois investis en actions de leur propre entreprise et souvent victimes de fraudes. L’épargne à très long terme, sur plusieurs décennies, n’est jamais perdante. Les fonds étrangers et les quelques fonds français sont là pour en témoigner. Le FERS sera organisé de façon prudentielle : il sera public et inaliénable, géré par les partenaires sociaux, arbitré avec un objectif de préservation du capital et garanti par l’Etat. Le FERS sera aussi garanti contre l’Etat lui-même, avec une clause qui lui interdira de ponctionner son épargne.
Les Français peuvent certes déjà compléter leur future retraite par des mécanismes d’épargne. Mais ceux-ci sont individuels (par exemple l’assurance-vie), donc réservés à ceux qui peuvent cotiser. Et ils coûtent cher en frais de gestion (à titre d’exemple, la gestion du Fonds de réserve pour les retraites est de l’ordre de 0,15 % là où les frais d’assurance-vie s’élèvent de 1% à 3 %). Seul le caractère collectif et obligatoire permettra à tous d’en bénéficier.
Dans les pays où ils existent, ces fonds ont une double utilité. Ils complètent les retraites par répartition et investissent à long terme les sommes collectées dans l’économie. Ils créent de la richesse pour le pays, ce que ne peut faire un système par répartition pur, qui dépense immédiatement l’argent ponctionné. Les actifs collectés représentent en moyenne 64 % de la valeur du PIB dans les pays de l’OCDE dotés de ces fonds. En Norvège, le fonds de pension souverain pèse 280 % du PIB… Dans le passé, c’est grâce à de tels capitaux longs que le rail et les canaux de la révolution industrielle, et, plus récemment, l’industrie numérique américaine, ont pu se développer.
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