Michel Barnier : « Emmanuel Macron n’est pas le seul à défendre l’Europe »
Ex-ministre des Affaires étrangères et ancien commissaire européen, le conseiller spécial d’Éric Ciotti au sein de LR salue certaines avancées dans le discours du chef de l’État mais dénonce des ambiguïtés.
Emmanuel Macron s’est exprimé à la Sorbonne pendant près de deux heures sur l’Union européenne. Qu’en avez-vous retenu ?
J’écoute toujours avec intérêt ce que le président de la République a à dire sur l’Europe. Depuis son premier discours prononcé sur le sujet, en 2017, je suis content que la France ait confirmé son souhait de rester européenne. Elle l’était avant Emmanuel Macron et doit l’être après lui. Ce discours aurait gagné en crédibilité s’il avait été tenu quelques mois plus tôt, hors du contexte électoral. Le fait que le chef de l’État soit suspecté de voler au secours de sa liste enlève de la force au discours. Je ne lui en fais pas le reproche, mais cela nourrit une forme d’ambiguïté. Sur le fond, il y a des points communs avec les priorités des Républicains et de notre candidat, François-Xavier Bellamy, mais aussi des différences.
Lesquelles ?
Depuis sept ans, Emmanuel Macron et ses soutiens prétendent être les seuls à défendre l’Europe; c’est faux. De la même manière que Marine Le Pen et Jordan Bardella ne sont pas les seuls à défendre la nation. Il y a, au milieu, la ligne du Parti populaire européen, la nôtre, à la fois patriote et européenne. Il y a par ailleurs, comme toujours, une distance entre ce que proclame le président et ce que font ses amis à Strasbourg, où ils ont été solidaires d’une inflation normative, notamment pour freiner l’activité agricole et soutenir la décroissance. Or c’est le contraire qu’il faut faire. J’ai pu retrouver dans ce discours des projets que je défends depuis longtemps, mais il ne faut pas confondre les idées et les incantations. L’influence française ne se décrète pas depuis la Sorbonne.
Emmanuel Macron n’est-il pas parvenu à faire bouger les lignes, justement, avec l’emprunt européen, la production commune de vaccins pendant la pandémie de Covid ou encore l’adoption du pacte sur la migration et l’asile ?
Il s’agit là d’un travail collectif! La Commission européenne y a pris sa part, tout comme le Parlement. Des choses nécessaires ont été accomplies pendant les crises, mais la décision sur l’emprunt européen, par exemple, n’aurait jamais été prise sans l’appui du chancelier allemand. Pour porter ces projets, il faut être plusieurs. Il y a des points positifs, comme l’orientation générale visant à rendre l’Europe plus indépendante. En 2014, j’ai publié un ouvrage intitulé Se reposer ou être libre, formule attribuée à Périclès qui fait écho à cette notion. Le président aborde le sujet de manière plus anxiogène en citant Paul Valéry, qui prophétisait la mortalité de la civilisation européenne. Je préfère qu’on parle d’indépendance, de liberté pour les Européens plutôt que de souveraineté.
Le président estime que cette dernière ne peut être effective qu’au niveau européen…
La souveraineté est nationale et doit le rester. C’est en partageant notre souveraineté, de manière démocratique, qu’on construit une autonomie du continent européen. Si on donne le sentiment qu’on abandonne la souveraineté nationale au profit d’une souveraineté européenne, on fournit des arguments aux extrêmes. On a besoin des nations pour combattre le nationalisme, qui reste le grand danger intérieur. Je ne crois pas que le RN ait abandonné son rêve de quitter l’Union. Après le Brexit, Marine Le Pen a déclaré : « Nous vibrons avec les Britanniques, qui ont saisi l’extraordinaire opportunité de sortir de la servitude. » Ni elle ni Jordan Bardella n’ont reconnu qu’ils se sont trompés.
Jugez-vous impératif, comme Emmanuel Macron mais aussi votre candidate à la dernière présidentielle, Valérie Pécresse, de construire une « Europe puissance » ?
C’est l’essence même du projet européen depuis les années 1950. Si on veut compter, il faut atteindre une masse critique. Sinon, nous sommes foutus ! Il faut que nous soyons ensemble, appuyés sur notre principal atout, le marché unique. Avec notre écosystème doté de règles, de normes, parfois trop je le reconnais, de supervisions et de juridictions, nous devons bâtir notre capacité autonome. Dans le monde tel qu’il est, personne ne nous attend. Si on reste ensemble, face à la Chine, aux États-Unis ou à l’Inde, on compte et on reste à la table où se décide l’ordre ou le désordre mondial. Cette nécessité vitale, nous n’avons pas attendu Emmanuel Macron pour la mesurer.
On sait que la droite abrite plusieurs composantes, l’une plus libérale, l’autre plus souverainiste… Est-ce le cas sur le sujet européen ?
Nous avons tous contribué au même programme, sérieux et réfléchi, rédigé sous la supervision d’Éric Ciotti et d’Emmanuelle Mignon. S’y greffe une alerte sur les erreurs du passé. On en a commis pendant trente ans en défendant un ultralibéralisme et une dérégulation que, d’ailleurs, Emmanuel Macron reprend à son compte lorsqu’il veut faire sauter certaines règles prudentielles du secteur financier. Le modèle de dérégulation à l’américaine ne doit absolument pas revenir en Europe.
Le chef de l’État appelle également à ce que les Vingt-Sept investissent davantage dans l’économie, afin de concurrencer les protectionnismes chinois ou américain…
Je suis d’accord avec lui sur ce point. Par leurs investissements publics massifs, les deux principales puissances se sont mises en dehors du jeu commercial international. Ne soyons pas naïfs. François-Xavier Bellamy défend une nouvelle politique commerciale, Emmanuel Macron aussi… sauf qu’il est président depuis sept ans !
Jugez-vous qu’il faille sanctionner certains États, comme la Hongrie, pour non-conformité avec certaines valeurs démocratiques? Votre candidat, François-Xavier Bellamy, est nuancé sur ce sujet…
Aujourd’hui, il peut y avoir des inquiétudes vis-à-vis de Viktor Orbán ou du précédent gouvernement polonais, mais la ligne rouge n’a pas été franchie. Ce que demandent ces pays, c’est qu’on respecte leur identité nationale, qui n’est pas un gros mot. On ne va pas laisser sa défense à Mme Le Pen ou à M. Zemmour. Il faut se méfier de la vision fédéraliste véhiculée par certains alliés d’Emmanuel Macron, qui nient l’identité nationale. Si, toutefois, un pays franchit la ligne rouge, que ce soit sur les droits humains, la liberté de la presse ou l’indépendance de la justice, il faut le sanctionner.
Emmanuel Macron plaide pour une « initiative européenne de défense », l’un de nos plus vieux serpents de mer. Son idée vous paraît-elle réaliste ?
Pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine, le budget européen est utilisé directement pour acheter des munitions. Thierry Breton, commissaire chargé de ce dossier, a fait un bon travail de mutualisation des capacités de production en matière d’armement. Il faut aller plus loin, avec une force de projection militaire, des programmes communs de recherche, un fonds d’investissement, mutualiser les commandes, éviter les duplications. Il faut aussi une force européenne de protection civile. Tout cela va dans la bonne direction, mais la guerre menée par la Russie exige plus d’efforts pour constituer, non pas une armée européenne, mais des capacités communes.
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