Mathieu Darnaud : « L’heure du grand audit des organismes publics est venue »
Le président du groupe LR au Sénat, dévoile au Figaro les ambitions d’une commission d’enquête parlementaire visant à faire la lumière sur le coût et l’organisation des 1200 agences de l’État. La chasse aux doublons…
Pourquoi considérez-vous que les agences et autres opérateurs de l’État constituent un gisement d’économies ?
Savez-vous qu’aujourd’hui personne n’est capable de dire combien il existe d’organismes publics dans notre pays ? Pas même le premier ministre, comme il l’a reconnu mercredi dernier au Sénat. On estime qu’il y a environ 1200 opérateurs, dont 438 agences, ce qui représente une charge globale de 80 à 85 milliards d’euros. Mais ces chiffres méritent d’être précisés, car nous savons qu’entre 2012 et 2024, le coût de ces structures a doublé ! Ce constat traduit aussi une augmentation des personnels et des missions, ce qui a mécaniquement généré des doublons.
Quels exemples pouvez-vous citer ?
Ils foisonnent. Citons notamment l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) : nous savons aujourd’hui qu’elle est exclusivement centrée sur l’ingénierie mais n’apporte rien en termes d’investissement. Cette agence n’accompagne au final qu’un nombre restreint de collectivités, préférant promouvoir une politique d’appel à projets. La multiplication des opérateurs et structures de l’État juxtapose les interlocuteurs et perturbe les acteurs économiques. Ainsi pour les agriculteurs, les aides du premier pilier de la PAC leur sont versées soit par l’ASP (l’agence de services et de paiement) soit par FranceAgrimer… Et les missions de ces deux agences sont quasi-similaires. Ne faudrait-il pas un seul organisme centralisant les versements des deux piliers de la PAC ? Autre exemple : l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’Énergie (Ademe). Elle a plusieurs missions, dont l’une porte sur le développement de la finance durable, en partenariat avec des institutions plus légitimes et mieux armées pour accompagner cette évolution, comme la Banque de France ou l’Autorité des Marchés Financiers. Cela démontre qu’il existe bien un gisement d’économies et que des regroupements n’empêchent pas l’efficacité. Le cas du Cerema (climat et territoires) le prouve, puisqu’il est le fruit d’une fusion rassemblant 11 services. On peut donc agir. Mais depuis les années 70, notre pays n’a fait qu’empiler les structures sans avoir jamais su trancher, contrairement à d’autres nations européennes qui l’ont fait. L’heure du grand audit de ces organismes est donc venue. C’est d’ailleurs cet audit que j’ai demandé mercredi au premier ministre, afin que nous disposions d’une photographie à un « instant t », même si elle n’est qu’un début. Il est temps que tous les secteurs concernés (sport, santé, recherche, etc.) soient examinés à la loupe.
Au-delà du coût, quels sont les problèmes constatés ?
Manque de pilotage précis, absence de coordination, chevauchements, réponses parfois contradictoires, nombre croissant d’interlocuteurs, entraves à l’action des entreprises ou des territoires, augmentation des coûts de traitement d’un problème, difficultés à décliner de manière cohérente et lisible des politiques publiques… Et au final, dispersion et diminution de l’efficacité de l’État. De l’aveu même de certains préfets, il serait parfois préférable d’héberger certains personnels au sein des préfectures et sous-préfectures. Outre l’urgence budgétaire, un tel travail de rationalisation entre en cohérence avec l’exigence de simplification réclamée dans tous les domaines.
Cette source de maîtrise de la dépense publique est identifiée depuis longtemps mais pourquoi a-t-on laissé dériver le navire ?
Sans doute par manque de volonté politique, sachant qu’il n’est jamais facile de demander à l’État de faire son introspection ! Pour nous, ce travail est indispensable : il ne s’agit nullement de faire de la démagogie. Il est indispensable en revanche de réduire utilement la dépense publique et d’éviter de nouvelles hausses d’impôt. L’État doit retrouver toute son efficience. Cette commission d’enquête s’inscrit aussi dans le rôle normal de contrôle du Sénat. Plus globalement, les travaux qui seront engagés doivent contribuer à favoriser un nécessaire retour de la confiance, celle des Français envers leur État et l’action publique. Nous estimons que cette commission d’enquête doit être un point de départ, la base d’un travail en profondeur. Pour regrouper ces organismes, voire pour en supprimer certains, qui ont été créés par la loi, une action législative s’imposera. C’est pourquoi il me semble pertinent que ce travail relève à la fois d’une initiative politique et du Parlement, lequel a son mot à dire sur la réduction de la dépense publique. On ne peut pas demander des efforts seulement aux ministères. J’insiste sur un point: la proposition des sénateurs LR n’est pas frondeuse, elle vise à être utile. Nous voulons simplement savoir qui fait quoi. Nous voulons éclairer le débat et la réflexion sur une nécessaire réorganisation de l’État au moment où les Français ont le sentiment que les services publics ne parviennent plus à répondre à leurs attentes. Nous, nous pensons que l’État doit se recentrer sur ses missions régaliennes. Mais avant d’agir, nous devons nous appuyer sur un diagnostic complet.
Dans ses négociations avec les socialistes, François Bayrou vient de reculer sur la réduction du nombre de fonctionnaires. Cela ne complique-t-il pas les ambitions de cette commission d’enquête ?
Non parce que ce travail doit permettre d’identifier clairement le périmètre de toutes ces structures, qu’il soit financier, humain ou en termes de missions. Il doit faire émerger des priorités. Nous voulons savoir où des économies sont possibles. Si le premier ministre veut réduire la dépense publique, comme il s’y est engagé devant le Parlement, il sera bien obligé de considérer et analyser la place et le rôle de l’ensemble des organismes publics. Ensuite, le gouvernement devra nous dire clairement où il sera prêt à réduire la voilure. Il pourra alors s’appuyer sur l’expertise de cette commission d’enquête .
Comment cette commission d’enquête travaillera-t-elle ?
Le groupe LR utilise son « droit de tirage » en demandant la création de cette commission d’enquête. La conférence des présidents du Sénat doit encore entériner notre demande avant que la commission puisse se mettre au travail, tant au Sénat que sur le terrain. Cette mission devrait se dérouler sur cinq à six mois. Tous les ministres, les opérateurs et les responsables des services de l’État concernés seront auditionnés. Ces travaux, qui seront transpartisans, exigeront aussi des débats au sein de la commission. L’objectif est d’avancer rapidement, avant le prochain projet de loi de finances, sachant que la commission pourrait débuter ses investigations dès février.
Peut-on s’attendre à des surprises ?
Peut-être ! Nous verrons au fil des travaux de la commission. En tout cas, comme toute commission d’enquête, elle aura les moyens d’aller très loin dans ses recherches, ses demandes d’information et d’audition, d’autant que les parlementaires ont déjà de nombreux éléments en mains. En six mois, période qui correspond au délai dont disposent les commissions d’enquête pour travailler, on peut avancer, clarifier, proposer. Car les nécessaires réductions budgétaires, elles, n’attendront pas.
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