Mansour Kamardine : « Nous avons gagné la bataille idéologique »
L’annonce faite par Gérald Darmanin, le 11 février, de vouloir supprimer le droit du sol à Mayotte pour lutter contre l’immigration irrégulière n’a pas surpris Mansour Kamardine. Partisan de longue date de cette abrogation, l’ex-député défend cette idée dans un livre intitulé « Lois Mayotte : de la suppression du droit du sol ? ». Il nous a reçu chez lui pour s’en expliquer.
Depuis combien de temps défendez-vous cette abrogation du droit du sol à Mayotte ?
Elle est sur le bureau du parlement depuis 2005. Cette année-là, François Baroin (N.D.L.R. ministre de l’Outremer de 2005 à 2007) l’a posée sur la table lors d’un déplacement à Saint-Pierre-et-Miquelon en août. Moi-même, j’ai déposé une proposition de loi, un mois plus tard, pour dire que la situation à Mayotte nous impose de nous interroger sur le droit du sol. Je note que François Bayrou avait dit en 2007 que c’était la solution. En 2014, François Hollande et Manuel Valls ont instauré le visa territorialisé, qui est l’expression vile de la réaction xénophobe et raciste. Pour eux, Mahorais et Comoriens sont tous noirs, musulmans, on doit donc tous rester entre nous et ne pas aller à Paris les e****der. C’est ça le sens de ce visa. En 2017, Manuel Valls avait dit que le sujet pour Mayotte n’était pas l’abrogation du droit du sol, mais la continuation de l’investissement dans les écoles et le logement social. C’est dans la continuité de la politique de François Mitterrand qui était de rechercher les voies et moyens pour que Mahorais et Comoriens retrouvent « une unité ».
Est-ce que la publication de votre ouvrage est une manière de convaincre les réticents qu’il s’agit d’une bonne solution pour Mayotte ?
Nous avons gagné la bataille idéologique. Dans le débat politique actuel, on constate que la droite dit qu’il faut le faire et éventuellement en Guyane aussi. La gauche estime que c’est une atteinte à l’unité de la République, il ne faut pas le faire. Et quand on a un président de la République et un ministre de l’Intérieur et de l’Outremer qui disent oui, il faut le faire. Je crois que c’est une victoire idéologique. C’est quelque chose qui se fera. La difficulté que nous avons est de pouvoir éviter un débat frontal et inutile qui desservirait Mayotte. Car les opposants vous disent que si on le fait à Mayotte, le gouvernement sera tenté de le faire ailleurs. Il faut régler cet aspect-là car la situation à Mayotte n’est pas la même que celle de l’Hexagone. Quand l’immigration représente 10% dans l’Hexagone et 60% ici, vous ne réglez pas les problèmes avec les mêmes lois.
Pour vous, quels sont les arguments qui légitiment une suppression du sol ?
Quand on regarde, tout le monde veut aller à Mayotte accoucher, sans doute pour des raisons liées à l’absence d’infrastructures sanitaires, mais pas que. Les gens qui viennent le disent clairement, ils souhaitent que leurs femmes accouchent à Mayotte pour que leurs enfants accèdent à la nationalité française. C’est le sésame qui empêche l’expulsion, permet d’avoir accès à la santé, au logement. Au milieu de tout ça, il n’y en a pas un qui est heureux d’être Français, ils veulent que Mayotte devienne comorienne.
Est-ce que c’est vraiment le cas ? Ceux qui viennent ici le font parce que justement Mayotte est française.
C’est tout le paradoxe. Les Comores sont un territoire de paradoxes. On est heureux de venir parce que Mayotte est française, mais en même temps, il faut qu’elle soit rattachée aux Comores parce qu’elle serait à l’origine de tous les maux de Comores. Et malheureusement, c’est un discours que l’on peut retrouver aussi chez des Franco-français. Ensuite, vous avez près de 11.000 naissances à Mayotte par an dont 80% sont des étrangers et dont une bonne partie sont des Comoriens (N.D.L.R. en 2022, sur 10.770 naissances, l’Insee comptabilise 75% de mères étrangères, mais 55% des nouveau-nés ont au moins un parent français). Intégrer et assimiler une communauté beaucoup plus importante que celle mahoraise, cela ne peut pas se faire. Et c’est exactement ce qui se passe, les effets sont omniprésents. La langue, la culture mahoraise, les traditions mahoraises ont quasiment disparu. A cela, se conjugue le phénomène de violence, les gens n’osent plus sortir la nuit, toutes les manifestations culturelles ou cultuelles, tout ça est terminé. Dans les vingt ou trente ans qui viennent, il n’y aura plus de Mahorais dans le sens que l’on a connu, il y a vingt ans. Ce n’est pas une perspective que je souhaite.
Sur quoi fondez-vous cette hypothèse ?
Pour le rapport que nous préparions avec Guillaume Vuilletet (N.D.L.R. les deux ex-députés étaient les rapporteurs d’une mission d’information sur la situation du département de Mayotte), nous avons eu beaucoup d’éléments. J’ai moi-même interrogé le gouvernement. A titre d’exemple, selon le ministère de la Justice, sur la période de 2012 à 2017, la France a fait plus de 10.000 jeunes Franco-comoriens par an. Ce sont des gens qui ont des droits que vous et moi, et c’est normal. Mais cela veut dire que dans vingt ans, ils seront plus nombreux que le nombre d’électeurs à Mayotte (N.D.L.R. 98.109 aux dernières élections législatives). On perd ainsi par la démographie ce que l’on a gagné dans les urnes.
Vous vous appuyez beaucoup sur des chiffres. Mais concernant les naissances, vous mentionnez peu ceux qui sont nés de père ou de mère de nationalité française.
Il est clair que 75% des naissances le sont de mères comoriennes. A côté de ça, il y a quelque chose comme 7.500 reconnaissances. Et quand on dit reconnaissances, j’entends derrière et c’est ce que je dis, il y a les fausses reconnaissances. Ce sont des Mahorais, des métropolitains. Il en est de même pour le Pacs (Pacte civil de solidarité). Dans les officines de notaires, dans les mairies, c’est devenu un sport territorial. Car dit Pacs dit régularisation derrière. Je prends exemple sur un homme qui est venu au cabinet et m’a dit avoir reconnu onze enfants de onze femmes différentes. Il disait avoir été payé cent euros et que c’était un Grand Comorien qui était venu pour lui faire signer les papiers. On m’a dit qu’à Sada, un autre en avait reconnu une quarantaine. La fraude est avérée. C’est sûr que dans le jeu, les Mahorais ne sont pas exempts de critiques. Ils n’ont pas toujours un comportement responsable.
Mais si on supprime le droit du sol, est-ce qu’il n’y aurait pas davantage de fausses reconnaissances puisque ce serait l’unique moyen de naturaliser son enfant ?
La suppression du droit du sol ne suffirait pas à elle de toute seule pour régler le problème. Il n’y a pas une solution, il y a d’autres solutions, des outils à mettre en place. Je prends l’exemple d’une femme qui vient à accoucher à Mayotte. Elle va bien, son enfant aussi, tant mieux. Qu’est-ce qui empêche le préfet de Mayotte de lui remettre une OQTF*pour qu’elle rentre aux Comores ? Sur ce point, je vous le dis, les services de l’État ont imaginé que c’était interdit. Nous avons eu cet échange quand Bruno Retailleau était là (N.D.L.R. le nouveau ministre de l’Intérieur était à Mayotte au début du mois de mai lorsqu’il était président des sénateurs LR) et on nous a sorti ça. Si nous appliquons des textes contra legem, nous ne nous en sortirons pas. J’ai appelé aussi de mes vœux un véritable plan global qui justifierait d’un point de vue administratif que toute la chaîne de l’immigration (la surveillance, l’interpellation, la reconduite, la régularisation) soit pilotée par un seul. Le général de gendarmerie et le directeur territorial de la police nationale accepteraient alors de placer leurs hommes sous l’autorité d’un préfet délégué à l’immigration.
Qu’est-ce qu’il ferait de plus que le sous-préfet chargé de la lutte contre l’immigration clandestine que l’on a aujourd’hui ?
Le préfet est un élément de la lutte contre l’immigration. Le sous-préfet fait un travail formidable, mais entre lui, le préfet, le DTPN, le général et le secrétaire général de la préfecture, on a un pouvoir dilué. Et cette dilution est la meilleure façon d’empêcher le pouvoir d’être efficace. Là, on saurait que tout ce qui touche à la question migratoire est du ressort du préfet délégué à l’immigration. Il ne rendrait compte qu’au préfet.
Pour revenir sur la question du droit du sol, est-ce que les conséquences d’une abrogation ont été évaluées ? En 2018, la modification du droit du sol (un enfant né à Mayotte de parents étrangers ne peut pas acquérir la nationalité française si au moins l’un des deux parents n’est pas légalement sur le territoire les trois mois avant la naissance) fait que de plus en plus de jeunes se voient refuser la nationalité et se retrouvent coincés ici.
L’amendement Thani a été un bel amendement, mais il s’est arrêté au milieu du gué. Il a favorisé la fraude à la reconnaissance de paternité. C’est pour cela qu’il faut aller plus loin. Le cas de ces étudiants est un dévoiement de nos textes. La loi dit que l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. Si vous avez votre baccalauréat, vous n’êtes plus dans l’obligation, vous n’êtes plus jeune. Vous devez pouvoir soit vous rendre aux Comores parce qu’ils ont leur propre réseau de formations, soit vous rendre ailleurs. L’idée d’imaginer que ces jeunes sont abandonnés est fausse, ils refusent simplement d’accepter ce qu’ils sont, c’est-à-dire des Comoriens. Et ils peuvent partir, 350 étrangers ont par exemple eu l’autorisation de partir de Mayotte l’année dernière pour continuer leurs études.
Toujours sur l’amendement Thani, il y avait cette idée que ça allait être dissuasif pour les candidats au départ. Et ce n’est pas le cas, on a toujours autant d’arrivées sur le territoire. Est-ce qu’il y a un risque d’avoir le même résultat ?
Je le disais tout à l’heure, ce n’est la seule solution. Le contrôle des frontières est un autre aspect de la solution. Tant qu’on n’aura pas réussi à juguler la circulation à nos frontières, il n’y aura pas de véritable solution. C’est une vérité. Mais ce n’est pas la conséquence de l’amendement Thani. Ce qui fait la difficulté dans ce dossier, et c’est le cas sur d’autres sujets en Outremer, l’État a souvent tendance à répondre tardivement aux problématiques ultramarines. De sorte, qu’en le moment où la question est posée et on y répond, la réponse n’est plus adaptée. L’amendement Thani cherche à trouver des solutions. Elles ne fonctionnent pas ? Et bien, il faut les faire évoluer.
>> Lire l’interview sur MayotteHebdo.com
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