L’Enracinement dans un territoire
Le constat d’une droitisation de la société
Il y a cinq déjà, lors de la dernière présidentielle, on pouvait constater l’existence d’une certaine peur du déclassement de notre pays, de la dissolution de la patrie, de voir une certaine idée de la civilisation se dissoudre.
Aujourd’hui, ces craintes sont loin de s’être dissipées. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que nos dirigeants actuels et en l’occurrence Emmanuel MACRON ne veulent pas prendre la mesure de ces questionnements qui traversent la société française. En effet, les trois partis classés à droite qui pèsent près de 56 % de l’électorat, et sûrement plus si l’on questionne les abstentionnistes, prennent en charge ces questions, c’est ce que constate Dominique Reynier dans un rapport de FONDAPOL sur la droitisation de la France. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas isolé, car cela concerne aussi l’Italie, le Royaume Uni et l’Allemagne.
« Toute la question est de savoir si ce réalignement à droite profitera à une droite de réforme ou à une droite de rupture ».
C’est sûrement, une des grandes questions de cette élection présidentielle.
Comment sera-t-elle prise en compte ? Le sera-t’elle d’ailleurs vraiment ?
C’est le sens de la réflexion que nous voulons proposer.
L’essayiste Mathieu Bock-Côté avait déjà formulé dans un article du Figaro du 7/5/2017, l’inscription durable de ses questions dans l’expression politique conservatrice, à l’opposé de ce que l’on appelle le progressisme.
« Les questions identitaire et anthropologique sont celles à partir desquelles le conservatisme est appelé à s’inscrire durablement dans la démocratie contemporaine. C’est normal: il surgit lorsque les fondements de la communauté politique sont fragilisés, lorsque la nation doute d’elle-même. Dès lors, la politique redevient existentielle. Qui sommes-nous? Qu’avons-nous en commun? »
Et on ne peut pas dire que ces questions essentielles n’ont pas été soulevées ces dernières années avec les divers bouleversements que notre société, notre monde a vécus.
« Et quoi qu’on en dise, ces inquiétudes ne relèvent pas du délire réactionnaire de quelques intellectuels ayant convaincu les Français qu’ils étaient malheureux. »
Alors que peut-on faire ?
Philippe Bénéton philosophe, auteur de plusieurs classiques sur les régimes politiques, les classes sociales et le conservatisme, qui avait publié Le dérèglement moral de l’Occident (éd. Le Cerf, 2017) s’était défini comme libéral-conservateur, au sens où Tocqueville l’était. “Libéral parce que rallié aux premiers principes modernes (l’égalité de droit, les libertés publiques), conservateur parce que soucieux de préserver au sein du monde moderne l’enracinement, l’attachement, les qualités morales et spirituelles“.
Et l’enracinement évoqué par Philippe Bénéton nous a toujours interpellé comme étant une des conditions essentielles pour être à même de se projeter dans l’avenir. De nombreux philosophes nous l’avait déjà rappelé, comme Hannah Arendt lorsqu’elle avait décrit l’“Enracinement“, le livre de Simone Weil, comme « l’un des ouvrages les plus intelligents et lucides sur son temps ».
« L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir. Participation naturelle, c’est à dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie. »
“L’Enracinement“
Simone Weil. 1949
Plus récemment, un autre philosophe, Paul-Henri SCHIRA, vient de traiter ce sujet primordial, dans un remarquable ouvrage « La DEMEURE des hommes », avec comme sous-titre, « Pour une politique de l’enracinement », où il trace les contours d’une pensée conservatrice répondant à la triple quête de sens, d’appartenance et de reconnaissance de nos sociétés, comme l’a si bien résumé Eugénie BASTIE.
Une politique de l’enracinement
Ainsi, reprenons l’interview qu’Eugénie BASTIE a eu avec Paul-François SCHIRA pour évoquer ce que pourrait être une politique de l’enracinement.
Eugénie BASTIE : Vous prônez une «politique de l’enracinement», mais est-ce vraiment réaliste? N’est-il pas au contraire une lente sédimentation culturelle qui ne saurait faire l’objet de politiques publiques?
Paul-François SCHIRA : « La recherche des finalités communes, seule à même de vraiment rassembler les hommes, ne pourra jamais se traduire par un consentement parfait entre individus autonomes: cela, ce sont des utopies que nous laisserons à Rousseau et Kant. Il faut plutôt susciter l’attachement des hommes au-delà du résultat qu’ils sont susceptibles d’atteindre collectivement. Il faut donc qu’ils se reconnaissent dans des ensembles auxquels ils peuvent se donner. Une telle amitié ne se décrète pas: elle vient de mœurs partagées, de fréquentations durables, ancrées dans une histoire qui nous est proche. La «société ouverte» aboutit bien souvent à l’enfermement des individus sur eux-mêmes. Les démocraties ne peuvent être aussi désincarnées que les tenants de la bien-pensance le prétendent. Pas de paix sans destin commun, et pas de destin commun sans enracinement dans une communauté d’appartenance. »
EB : Quelles pistes concrètes proposez-vous?
« La politique de l’enracinement suppose tout d’abord d’assumer la spécificité de chaque «commun», et de reconnaître la supériorité affective que certains peuvent avoir sur d’autres. Elle oblige par exemple à préserver ce qui fait la singularité de chaque culture, que ce soit par un soin apporté à la transmission de son patrimoine, y compris naturel, ou par une capacité à redonner du sens à ses frontières – sur la question migratoire comme en matière de commerce international. Elle suppose ensuite de permettre aux hommes de réellement habiter ces «communs», en multipliant les occasions d’y éprouver concrètement leurs responsabilités: ici, le rôle des collectivités locales, des entreprises, des familles et des associations dans la vie de la cité prend tout son sens. L’État ne peut pas être le seul acteur de l’intérêt général. La politique de l’enracinement exige par ailleurs de résister à toute appropriation de la chose publique par des groupes d’intérêts orientés par un vulgaire agenda de lobbyistes. Elle nécessite enfin une nouvelle échelle des mérites – économiques, sociaux – incitant l’homme à dépasser le «chacun fait ce qu’il veut, tant que cela ne nuit pas à autrui». »
Voilà posé ce que pourrait être une politique de l’enracinement, qui répondrait à cette démesure d’une modernité qui s’emballe comme le dit Mathieu Bock-Côté, en négligeant le besoin fondamental d’ancrages et d’enracinement.
Et un nouveau courant de pensée a pris comme étendard cette critique de l’hégémonie progressiste en se délivrant des critères de respectabilité imposés dans la vie publique au travers du politiquement correct, et ce courant aura à se déployer au travers d’une nouvelle génération.