Laurent Wauquiez : « Dans l’intérêt de la France, il faut faire l’union sacrée autour de mesures fortes sur l’immigration, la sécurité et le mérite »
Après les violentes émeutes qui ont secoué la France, le candidat potentiel de la droite pour la présidentielle de 2027 sort du silence dans une interview au Figaro.
Pourquoi choisissez-vous de sortir du silence après ces émeutes ?
Je veux qu’on pose le bon constat. Le plus facile serait de penser que cette crise des émeutes se résume à quelques quartiers et qu’elle n’était l’affaire que de quelques jours. Mais à l’évidence, ces événements n’ont rien à voir avec une crise sociale et encore moins avec la mort d’un jeune, aussi tragique soit-elle. Pour ceux qui ont frappé, pillé et incendié, il n’était qu’un alibi.
Mais alors, de quoi ces violences sont-elles le nom ?
Ces émeutes sont le symptôme spectaculaire d’un mal beaucoup plus profond qui touche notre pays : la désintégration de l’État et de la nation. L’État d’abord, car nous ne parvenons plus à assurer le premier devoir du politique : la sécurité et l’ordre. La nation, ensuite, car l’ultra-violence s’est accompagnée d’une haine de la France et de nos institutions. Nous avons affaire non pas à une crise sociale mais à une crise généralisée de l’autorité, depuis les policiers jusqu’aux professeurs, depuis l’État jusqu’à la famille avec des parents qui n’assument plus leur rôle. C’est ce que Platon redoutait le plus et qu’il appelait la stasis, la menace la plus importante pour la cité : la dissolution de l’État. Ne nous trompons pas sur un point : contrairement à ce qu’a dit le président de la République, non, l’ordre n’a pas été rétabli. Les émeutes ont été arrêtées temporairement grâce au travail remarquable de nos forces de l’ordre. Mais la terrible illusion consisterait à penser que tout cela est fini. Je crains qu’au déni des dernières années succède un lâche soulagement. Le désordre, la barbarie, la violence gratuite continuent quotidiennement dans notre pays. Non, le travail n’est pas derrière nous, il est devant nous. Les causes du mal sont toujours là et rien ne serait plus dangereux que de soigner les symptômes sans avoir le courage de remonter aux causes.
Vous dites qu’il faut remonter aux « causes du mal ». Quelles sont-elles ?
Nous avons succombé à une idéologie de la déconstruction qui vient de loin, portée par des philosophes comme Bourdieu et Derrida, reprise par l’extrême gauche et la gauche, enseignée dans nos universités, et qui a contaminé jusqu’à nos élites politiques et médiatiques. Une idéologie qui repose sur la contestation systématique de l’ordre et de la transmission, sabotant l’autorité à tous les niveaux, en commençant par la famille. Et qui, finalement, a conduit à une inversion systématique de nos valeurs : le délinquant présumé victime ; le policier présumé coupable ; l’école, hier source d’émancipation, décriée comme une source d’oppression ; l’émeute qualifiée de révolte ; le mérite devenu une tyrannie et la paresse, un droit. Les deux seules figures de l’autorité qui subsistent dans les quartiers sont le caïd et l’imam.
Quel est le rôle de l’immigration dans cette crise ?
Il y a deux postures que je trouve aussi erronées l’une que l’autre. Celle qui consiste à dire, comme le ministre de l’Intérieur, qu’il n’y a aucun lien entre les émeutes et l’immigration. Celle qui, dans l’approche lepéniste, voudrait nous faire croire qu’en réglant la question de l’immigration, on résoudrait tous nos problèmes. Évidemment, arrêter l’immigration est une condition nécessaire, je le dis depuis des années, on ne peut continuer avec une immigration hors de contrôle dans des quartiers où se concentrent déjà toutes les difficultés. Mais ce n’est pas une condition suffisante car notre problème, ce sont aussi ces délinquants de nationalité française qui ne se reconnaissent pas comme Français et qui sont dans la détestation d’un pays qui leur a pourtant tant donné. Au lieu de porter un discours de fierté, certains ont accablé notre pays de tous les maux et promu la haine de notre civilisation. Comme le dit parfaitement le professeur Pierre Legendre : on ne s’intègre pas à la désintégration.
Pourquoi la politique sociale de la France a-t-elle échoué sur ce point ?
Je l’explique par le dévoiement du social. J’avais dit, il y a quelques années, que l’assistanat serait un cancer pour notre pays. Nous y sommes. On a pensé qu’il suffisait de verser des aides sociales pour intégrer des personnes toujours plus diverses. L’ordre public et l’amour de la France ne s’achètent pas à coups d’aides sociales. En 60 ans, en part de notre richesse nationale, les dépenses sociales ont doublé, quand les dépenses régaliennes ont été divisées par deux. Avant d’annoncer un énième plan banlieues, il est indispensable de rétablir la République partout sur notre territoire. Clemenceau avait parfaitement compris que l’ordre est le premier devoir de l’État et la sécurité la première des libertés.
Vous insistez sur l’urgence d’agir. Que proposez-vous ?
Après ce qui s’est passé, il est indispensable de marquer un coup d’arrêt et de commencer tout de suite, par des mesures fortes, la reconquête du terrain perdu. Dans l’intérêt de la nation, il revient au président de la République de mobiliser une forme d’union sacrée autour de mesures décisives. Ma démarche n’est en aucun cas une démarche de coalition, de négociation ni de compromission. On me connaît suffisamment pour savoir que ce n’est pas mon caractère. Mais après une telle crise, nous devons être capables de dépasser temporairement les divisions et nous entendre sur quelques mesures fortes soutenues par une écrasante majorité des Français et qui pourraient être soumises au Parlement, voire proposées par référendum. La première est l’expulsion de tous les étrangers responsables d’actes de violence. Ensuite, face à l’ultra-violence, il faut un choc carcéral. Nous devons inscrire dans la loi des peines minimales de privation de liberté effectives dès le premier acte de violence aux personnes : la prison ferme systématique à la première atteinte à l’intégrité physique. Il faut enfin restaurer une idée de devoirs face aux droits, en suspendant, comme le propose Éric Ciotti, les aides sociales aux délinquants et parents de délinquants. Mais il faut aussi un chemin d’espoir : celui de la méritocratie avec la construction d’un système fort de bourses au mérite dès la classe primaire et qui permettrait de soutenir ceux qui se montrent méritants dès leur plus jeune âge, à l’inverse de ceux qui ne respectent rien ni personne. Le nivellement par le bas est allé à un point tel qu’on ne fait plus de différence entre le mineur délinquant et l’élève qui se donne du mal. Pourtant, notre modèle social français a été bâti là-dessus. Il faut reconstruire la méritocratie par l’école.
Cette violence est le fait d’individus de plus en plus jeunes. Quelle est la bonne réponse ?
Si on veut reprendre la main, il faut revenir sur les causes de l’impuissance. On a organisé notre désarmement juridique face à la montée de la violence chez les mineurs : l’excuse de minorité et le Code pénal des mineurs empêchent d’appliquer des peines dissuasives. Il faut juste le courage politique de secouer cette idéologie de l’excuse qui consiste à croire qu’avec des stages de démocratie citoyenne, on va récupérer des jeunes qui ont dérivé dans l’ultra-violence.
Comment conciliez-vous votre objectif de durcir les peines avec la réalité de la surpopulation carcérale ?
On a fait des lois d’exception pour construire les grands équipements des Jeux Olympiques mais nous serions incapables d’adopter les mêmes lois pour construire en urgence les places de prison dont on a besoin ? Emmanuel Macron avait promis 15.000 places sous son premier quinquennat ; il en a construit à peine 2500 opérationnelles. Le politique doit arrêter d’être spectateur de son impuissance. Quand ça ne marche pas, il faut des actes forts pour corriger.
Et quid de l’inexécution des peines ?
C’est un autre exemple de ce qu’on peut corriger avec de la détermination. Dans 4 cas sur 10, les peines de prison ferme ne sont pas exécutées. Est-ce qu’on imagine les dégâts ? Nicolas Sarkozy avait eu le courage d’adopter les peines planchers. Mais ça n’a jamais pu être vraiment appliqué face à l’interprétation constitutionnelle de l’individualisation des peines. Mais alors, si on a le courage d’aller au bout du diagnostic, il faut changer la Constitution. La réalité, c’est qu’on a laissé s’organiser des verrous juridiques qui nous condamnent à l’impuissance. Face à l’ampleur de la tâche, il faut de la détermination mais aussi de la compétence pour identifier ce qui nous bloque. Il y a deux vices politiques qui nous condamneront à l’échec : la lâcheté et l’incompétence.
Le gouvernement actuel est-il touché par ces « deux vices » ?
Le ministre de l’Intérieur est sûrement animé de bonnes intentions et Emmanuel Macron ne se réjouit évidemment pas de cette insécurité. Mais si on n’a pas la lucidité de faire sauter ces verrous et si on s’arrête à mi-parcours, on n’arrivera à rien. C’est pour cela que je m’exprime maintenant. Les Français, qui se demandent comment on a pu en arriver là, sont partagés entre la tristesse, la colère et le doute. Je veux leur dire qu’on peut y arriver. Tout cela peut s’inverser. Ma détermination à le faire est totale.
Entre les émeutes, la situation migratoire, l’insécurité, Marine Le Pen a-t-elle un boulevard pour 2027 ?
Dans un contexte si inflammable, je suis convaincu que les Français ont un fort doute sur la compétence de Marine Le Pen, qui n’a jamais exercé la moindre responsabilité et qui n’a pas l’expérience de l’État, pour faire face à une telle situation. Après les émeutes de 2005, les Français se sont tournés vers quelqu’un qui avait courage et compétence. Ils n’ont pas choisi le lepénisme.
Face aux émeutes, comment observez-vous le comportement de la gauche ?
La gauche et l’extrême-gauche ont une écrasante responsabilité. Ils ont enfourché cette idéologie de la déconstruction et ont alimenté la violence. Ils ont participé à ce mouvement avec une arrière-pensée loin d’être vertueuse. Quand Jean-Luc Mélenchon fait ce choix, il lorgne vers un communautarisme très éloigné de son soi-disant républicanisme. Cette gauche jadis républicaine a trahi la cause de notre pays en devenant déconstructiviste et en faisant sombrer les fondements sur lesquels la France s’est bâtie.
Reconnaissez-vous dans ces émeutes une forme de « décivilisation », terme employé par Emmanuel Macron ?
Nous avons eu tant de débats sémantiques, les « racailles », « l’ensauvagement », la « décivilisation »… Et rien ne change. Le travail d’un président de la République, ce n’est pas de faire des commentaires mais de poser des actes. C’est comme cela que je conçois mon rôle. Et je reste profondément optimiste. Nous pouvons y arriver. Rien n’est écrit. Notre pays a tous les ressorts pour reconstruire. Il y a encore cette résistance qui, souvent, nous a sauvés dans les moments les plus obscurs de notre histoire : ce bon sens français qui, même quand les élites restaient aveugles, restait là comme un roc sur lequel on pouvait rebâtir. Je refuse de céder à l’abattement. Je ne veux pas laisser notre pays avec le sentiment que la décadence serait une fatalité. Il n’y a jamais de fatalité.
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