Gérard Larcher : « L’hyperprésidentialisation sera le premier problème d’Attal »
En souhaitant bonne chance au nouveau premier ministre, le président du Sénat rappelle l’urgence du passage aux actes. « Il est temps d’arrêter les annonces, les discours… Le pays attend des solutions. » Gérard Larcher espère que cette nomination n’est pas qu’un coup politique.
Qu’attendez-vous de la nomination de Gabriel Attal à Matignon ?
Je voudrais saluer l’action d’Élisabeth Borne qui n’a pas eu la tâche facile, sans majorité à l’Assemblée nationale, contrainte de gouverner à coups de 49.3, piégée par ce « en même temps » impossible, contrainte de durement négocier pour deux réformes majeures : retraites, et immigration et intégration. Je n’ai qu’un reproche à lui faire : elle n’a pas pris du tout en compte le travail du Sénat dans la version définitive du budget. Le 49.3 ne peut pas être la négation d’une écoute du Parlement. Quant à Gabriel Attal, je lui souhaite bonne chance. J’avoue être étonné par le flottement des conditions de changement de premier ministre. Il est clair que toute cette gesticulation, après le vote de la loi immigration, sur les menaces de démissions de ministres illustrait un manque de cohésion, un brouillage politique qui ne pouvait rester sans réponse. Je tiens à rappeler aux ministres que dans un régime parlementaire, c’est le Parlement qui est seul légitime à voter la loi et qu’elle s’impose à tous. Maintenant, se posent toujours les mêmes questions : comment enfin engager la France sur la voie du redressement ? Il faut enfin hiérarchiser et fixer des objectifs, des priorités et un calendrier : l’éducation, la santé, le logement, la décentralisation…
Que direz-vous au nouveau premier ministre lors de votre premier tête-à-tête ?
Passez aux actes! Il est temps d’arrêter les annonces, les discours… Le pays attend des solutions et ne peut pas continuer ainsi, sans réponses, en dérive financière.
Cette nomination voulue par Emmanuel Macron est-elle de nature à rassurer une France inquiète ?
Nous jugerons sur les actes. Ce n’est pas une question de personnalité. Si ce n’est qu’un coup politique, cela n’ira pas loin.
Le jeune profil du premier ministre est choisi comme le signal d’un nouveau dynamisme mais croyez-vous à sa capacité à faire preuve d’autorité ?
Il a fait preuve d’autorité à l’Éducation nationale. Mais vous avez de l’autorité seulement si le président vous en laisse et son plus gros problème viendra de l’hyperprésidentatialisation. C’est un sujet majeur avec la question de la verticalité du pouvoir. Voilà pourquoi la décentralisation est, me semble-t-il, la seule réponse à cette tentation permanente du chef de l’État qui a beaucoup de mal avec le Parlement. Selon l’article 20 de la Constitution, je rappelle que c’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la nation.
La jeunesse est-elle un atout ou une faiblesse ?
La jeunesse peut être un atout à la condition d’écouter, de partager, de respecter le Parlement et de faire une équipe avec ses ministres. Nous, nous serons fidèles à notre ligne politique, un contrepouvoir exigeant, mais dans le dialogue à chaque fois qu’il s’agira de l’intérêt de la France.
Qu’aviez-vous pensé des vœux d’Emmanuel Macron ?
Emmanuel Macron a promis de faire de 2024 une « année de détermination ». Il s’engage aussi à un « réarmement civique » autour de l’école, après « le réarmement économique » et « le réarmement de l’État et de nos services publics» . Je voudrais rappeler au président de la République qu’il dirige la France depuis maintenant sept ans, après avoir été un acteur majeur du quinquennat de François Hollande. Cessons ces effets d’annonce, ces nouveaux caps sans lendemain auxquels plus aucun Français ne croit vraiment. Il nous faut encore et encore rappeler la réalité que personne ne veut regarder dans les yeux : l’économie française est au 7e rang mondial et à la 26e place pour le PIB par habitant. La dette dépasse 3 000 milliards d’euros (44 850 euros par Français), elle représentera 70 milliards d’euros d’intérêts en 2027et ce sera le premier budget de la nation. Le déficit commercial sera de plus de 110 milliards d’euros. Notre compétitivité recule. Le chômage devrait atteindre plus de 7,5% de la population active en 2024, quand la majorité des pays développés sont au plein-emploi. L’école de la République n’est plus que l’ombre d’elle-même. Notre système de santé se dégrade au point que les Français, de plus en plus nombreux, n’arrivent plus à se faire correctement soigner et nous avons eu six ministres de la santé successifs en six ans ! La nation se délite, il n’y a plus un territoire de la République qui ne soit pas gangrené par l’explosion de la violence. De quel nouveau cap nous parle-t-on ? Où est la détermination à inverser la spirale du déclin ? Quel est le résultat de cette politique et méthode de gouvernance ?
Le président de la République a saisi le Conseil constitutionnel sur la loi immigration en souhaitant la censure de certains articles. Comment appréciez-vous la démarche ?
La loi issue du Sénat et adoptée par le Parlement était indispensable. Elle est demandée par plus de 70 % des Français qui constatent l’échec de nos politiques migratoires et l’impossibilité d’avoir une réelle politique d’intégration. Le rapport de la Cour des comptes publié vendredi est extrêmement critique sur l’action de l’État pour lutter contre l’immigration irrégulière et son coût exorbitant (1,8 milliard d’euros). Il était donc urgent d’agir, mais cette loi sera-t-elle suffisante pour répondre à cette crise ? Le président de la République a saisi le Conseil constitutionnel sur l’ensemble du texte. La commission des lois du Sénat a fait ses observations. Nous attendons sa décision mais reprendre le contrôle dans le respect de la Constitution et du droit est indispensable. Par ailleurs, j’attends que le gouvernement respecte l’engagement qu’il a pris auprès de moi de réformer l’aide médicale d’État. Si l’inconstitutionnalité de certains articles est avérée, alors une modification de la Constitution s’imposera pour retrouver des marges de souveraineté dans nos politiques migratoires.
Le chef de l’État a promis un « rendez-vous avec la nation » mi-janvier. Avez-vous des précisions sur le sens de cette initiative ?
Je n’en sais rien et n’en attends pas grand-chose. Nous avons déjà connu les « cent jours », le Conseil national de la refondation et les Rencontres de Saint-Denis sans grand résultat. En réalité, ce rendez-vous avec la nation a déjà eu lieu, d’abord en 2017 puis en 2022 avec son élection.
Après votre déplacement en Israël et dans les Territoires palestiniens, comment jugez-vous le climat dans la région et sur le plan international ?
On ne sort pas indemne de ces rencontres. La population israélienne a été profondément traumatisée par les crimes terroristes du 7 octobre où 41 Français ont été assassinés. Trois de nos compatriotes sont encore portés disparus ou retenus en otages par le Hamas. Nous ne pouvons plus attendre pour leur rendre un hommage national. Israël me paraît déterminé à éradiquer toutes les capacités militaires du Hamas. Je n’ignore pas les souffrances du peuple palestinien, chaque vie compte et je me suis entretenu à Ramallah avec le président Abbas. Nous avons également rencontré les communautés chrétiennes, « prises entre deux feux ». Même lointaine, la solution à deux États est la seule possible. L’aide humanitaire doit pénétrer plus massivement à Gaza. Sur le plan international, le recul de l’influence de la France est général. Je le constate avec tous mes interlocuteurs : jamais la parole de la France n’a si peu porté. Cette situation, que je constate aussi en Afrique, me préoccupe.
Éric Ciotti se félicite d’une droite à l’offensive, Laurent Wauquiez assure qu’un espoir s’est levé du côté de votre famille politique. Et vous, que constatez-vous ?
Il nous faut poursuivre dans la voie de la reconstruction, ce qu’a engagé avec courage Éric Ciotti. Il nous faut sans cesse rechercher plus de cohésion, plus de lisibilité et montrer notre différence comme nous l’avons fait sur les retraites ou sur l’immigration et comme nous le proposons en matière de décentralisation. En étant fidèles à nos valeurs et utiles pour contribuer au redressement de la France, nous regagnerons la confiance des Français.
Vous n’aviez pas repris la parole après votre retentissant « Ferme ta gueule » adressé à Jean-Luc Mélenchon le 6 décembre sur RTL. Regrettez-vous ces paroles ?
C’était une réaction spontanée, un cri du cœur face à la radicalisation irresponsable de Jean-Luc Mélenchon. La banalisation de l’antisémitisme au sein de l’extrême gauche est intolérable, c’était trop ! Je pense avoir dit tout haut ce que beaucoup de Français et de responsables politiques avaient envie d’exprimer. Je ne suis pas coutumier des écarts de langage, ni des mouvements d’humeur, c’est je pense, une des raisons de cet écho médiatique. La polémique est close mais, à cette occasion, j’ai pu observer, une nouvelle fois, une vraie rupture dans les réactions de quelques commentateurs qui pensent faire l’opinion et celles des Français, des élus, qui m’ont massivement apporté leur soutien. En fait, c’est le décalage entre le café du Village et le Café de Flore !
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