Gérard Larcher : « Le Sénat ira au bout du débat sur les retraites »
Le président du Sénat fait valoir le respect de l’institution et son mode d’élection pour garantir un débat ordonné, loin du chaos de l’Assemblée nationale.
Avant de relancer le débat au Sénat, comment jugez-vous l’état du parlementarisme dans notre pays ?
Le parlementarisme et la démocratie sont abîmés. Les Français ne s’y retrouvent plus et cela n’a pas commencé à l’Assemblée nationale ces dernières semaines. Ce constat nous conduit à la montée de l’abstention et des extrêmes. Au Parlement, mais cela vaut également pour l’exécutif, nous nous sommes laissé déposséder du pouvoir de faire à force de transférer les responsabilités à des autorités administratives, indépendantes ou dans une certaine mesure à Bruxelles, et je suis un Européen convaincu.
Comment pouvez-vous garantir que nous n’assisterons pas aux mêmes séances chaotiques que celles observées à l’Assemblée ?
Ici, nous n’avons pas La France insoumise ! La tradition sénatoriale nous conduit à un débat sur le fond, au respect des différences et à une certaine conception de la démocratie représentative. Les propos d’Éliane Assassi (PCF) ou de Patrick Kanner (PS) me semblent plutôt s’inscrire dans cette tradition. Ils exprimeront leurs désaccords, mais le feront dans le respect de l’institution. Notre mode d’élection, le suffrage universel indirect, nous détache des pulsions du moment et nous ramène au sens du bicamérisme. Seul l’intérêt du pays compte. Le Sénat doit aux citoyens et aux partenaires sociaux un débat sur l’ensemble du texte.
Comment réagissez-vous aux propos de Jean-Luc Mélenchon, qui a déjà félicité les groupes Nupes du Sénat d’adopter la même stratégie que LFI à l’Assemblée ?
La Nupes n’existe pas au Sénat et je ne suis pas certain que le débat démocratique ici soit de « nature bolivarienne ». La sénatrice Éliane Assassi, présidente du groupe communiste, a dit elle-même, je cite : « Jean-Luc Mélenchon a été sénateur, il devrait se souvenir de notre sens des responsabilités. »
4 718 amendements sont prévus. Avez-vous l’intention de vous appuyer sur l’article 38 du règlement intérieur du Sénat permettant d’écourter les discussions si les débats patinent ?
Je suis un défenseur acharné du droit d’amendement, mais il ne faut pas le dévoyer. S’il devait y avoir une obstruction, on utilisera tout simplement les moyens constitutionnels et ceux de notre règlement. Je ferai le maximum qu’un président d’assemblée peut faire pour aller au bout de ce débat.
« Je souhaite que le Sénat puisse enrichir ce texte avec ce qui lui paraît utile », a dit Emmanuel Macron. Que lui répondez-vous ?
Le Sénat est toujours sur une ligne autonome et indépendante. Nous ne sommes pas la béquille du gouvernement. Ce texte sur les retraites, nous l’avons voté il y a quatre ans au Sénat. Au fond, nos conditions sont les conclusions des deux rapporteurs et de la commission des affaires sociales : la situation des seniors ou les carrières des femmes sont des sujets importants.
Comment qualifiez-vous vos échanges avec Élisabeth Borne ?
Utiles et francs. Le gouvernement a un objectif, la majorité sénatoriale, des exigences. Il faut faire coïncider tout cela. Nous l’avons évoqué chez la première ministre ce mercredi avec Bruno Retailleau et Hervé Marseille. Le débat parlementaire et les votes trancheront. Le texte qui sortira ne sera pas celui du gouvernement mais celui du Sénat.
Pour la droite sénatoriale, l’équilibre budgétaire du système est une boussole, mais que répondez-vous à ceux qui soutiennent, comme Aurélien Pradié au sein des LR, que l’exécutif compte sur cette réforme pour renflouer les caisses de l’État ?
Il y a ceux qui pensent que l’État peut toujours dépenser plus, que les déficits peuvent se creuser inlassablement et que cela n’a aucune conséquence sur les générations futures. Ils ne sont pas responsables, tout comme ceux qui estiment qu’un bon buzz vaut bien quelques écarts. Pour retrouver la confiance, il faut être constant, sérieux et dire la vérité. Il est vrai que demander des efforts n’est jamais populaire, mais il faut être responsable. Même à contre-courant.
Le coût des carrières longues fait débat. Que pensez-vous de la polémique sur l’imprécision des études d’impact ?
Les carrières longues font partie des préoccupations du Sénat. Les études d’impact sont insuffisantes, parfois même inexistantes. Le gouvernement devra faire la clarté dans ce débat, c’est lui qui a les outils pour préciser les curseurs sur la durée de cotisation en fonction de l’entrée dans la vie active. Les avancées obtenues par la droite à l’Assemblée sont intéressantes. Il faut les prendre en compte et les clarifier. L’amendement du gouvernement devra le faire.
Plusieurs sénateurs LR poussent en faveur de la retraite par capitalisation. Quel est votre avis ?
La capitalisation est un sujet important, mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui.
Quelle sera votre position sur la fin des régimes spéciaux ?
Dans l’amendement sénatorial voté au Sénat depuis quatre ans, il y a une disposition sur ces régimes qui prévoit leur extinction progressive. Le débat sera ouvert lors de la discussion parlementaire.
L’intensité des blocages, annoncés pour le 7 mars, peuvent-ils compromettre la réforme ?
Le droit de grève est constitutionnel. J’entends la rue et la mobilisation, mais je souhaite que cette réforme aille au bout. La pression de l’opinion et les hostilités au projet existent, mais notre rôle est d’éclairer l’avenir. En politique, il faut de la constance et du courage. Je ne vois pas comment le gouvernement pourrait reculer. Pénibilité, assurance-vieillesse, revalorisation des petites pensions, départs anticipés pour les carrières longues, cumul emploi-retraite… Tous ces sujets viendront après le vote sur l’article 7. Il nous faut donc examiner l’ensemble des articles si nous voulons traiter de ces sujets.
Serait-ce une critique voilée de l’exécutif ?
Je constate simplement que l’on est passé d’un projet systémique à un projet paramétrique, ce qui n’est pas une preuve de constance, même si je salue cette évolution. Quant au courage, il se vérifiera à l’épreuve des prochains jours. C’est une vertu que je m’applique sans donner de leçon à personne.
Si ce texte ne pouvait pas aller au bout au Sénat, tout se jouerait en commission mixte paritaire à huis clos. Serait-ce un problème ?
C’est pour cela que je souhaite que nous allions au bout, y compris si le vent souffle. Il faut faire preuve de responsabilité.
Concernant le texte sur l’immigration, le ministre de l’Intérieur semble très ouvert aux propositions de la droite…
Ce texte en première lecture au Sénat fin mars est une responsabilité. L’immigration est hors de contrôle dans notre pays, nos capacités d’intégration et d’assimilation sont totalement dépassées… Nous savons qu’il faut une loi claire, forte et pragmatique qui pose les principes d’une véritable politique migratoire de contrôle des flux. Ce sera l’objectif de la majorité sénatoriale.
Quels sont les sujets majeurs ?
Il y en a quatre. Le premier est l’immigration du travail. Le gouvernement plaide pour des assouplissements sur les métiers en tension mais nous pensons que c’est au Parlement de fixer des quotas. Le deuxième sujet important est celui du regroupement familial. Il sera largement débattu, des marges de manœuvre existent et nous devons agir. Il est également crucial de repenser la question de l’asile, qui doit être demandé aux frontières de l’Europe. Enfin, il faudra se pencher sur le détournement de notre modèle d’accueil, de santé et de prestations sociales. Certains chiffres sont alarmants. L’absence de politique migratoire nous oblige à déplorer ces drames que l’on observe presque chaque jour dans la Méditerranée et la Manche.
Emmanuel Macron veut avancer sur la réforme des institutions. Quelles sont vos préconisations ?
Comme je lui ai dit, une telle réforme devra être utile au pays, utile à la démocratie et réalisable. Gardons nous de brasser des idées éternellement et fixons des objectifs concrets. Durée du mandat présidentiel, dose de proportionnelle, retour sur le non-cumul des mandats, décentralisation, débureaucratisation… J’ai rappelé au président de la République qu’il n’était pas facile d’atteindre les trois cinquièmes de suffrages nécessaires pour permettre une révision constitutionnelle. Emmanuel Macron devra préciser sa méthode. Au Sénat, nous avons mis en place un groupe de travail représentant chacun des groupes dès le 8 novembre. Nous ferons des propositions claires le moment venu.
Que pensez-vous des conseils adressés par Nicolas Sarkozy au chef de l’État ?
Il est totalement logique que le président de la République reçoive Nicolas Sarkozy, François Hollande et des ex-présidents du Parlement. Pour le reste…
On connaît votre proximité avec le monde agricole, dont le salon se tient à Paris jusqu’à dimanche. Quelle est l’urgence ?
L’agriculture est en pleine transition, mais elle doit pouvoir contribuer à la souveraineté alimentaire de l’Europe. Cette question agricole nous renvoie d’ailleurs au sujet politique majeur de la souveraineté, une question aussi importante que celles de notre défense et de notre politique étrangère.
>> Lire l’interview sur LeFigaro.fr
L’article Gérard Larcher : « Le Sénat ira au bout du débat sur les retraites » est apparu en premier sur les Républicains.