Gérard Larcher : « Il y a chez le chef de l’Etat un déni de réalité »
Le Président du Sénat répond à l’interview du chef de l’État publiée la semaine dernière dans les colonnes de La Tribune Dimanche. Il l’appelle à tracer une voie de redressement pour le pays.
Cette semaine, Emmanuel Macron a célébré le 7e anniversaire de son accession à l’Élysée. Comment jugez vous son bilan ?
Il est décevant. J’ai l’impression qu’on ne perçoit pas le même pays, qu’on ne ressent pas la même France. Trois sujets me semblent être l’illustration d’un déni de réalité d’Emmanuel Macron. D’abord l’école. Elle s’est beaucoup dégradée. Le niveau chute et la violence augmente. Les enseignants en parlent désormais ouvertement. Je ne citerai que le dernier classement Pisa, où notre pays arrive en 26e position en mathématiques comme en culture scientifique et 29e en compréhension de l’écrit. Ce n’est pas qu’une histoire d’argent et de moyens. 11 y a un problème de transmission des valeurs, de respect de l’autorité du maître, de préservation de la laïcité, notamment dans le public.
Quels sont les autres sujets ?
Le deuxième, c’est la santé. C’est une très grande préoccupation des Français, sans doute la première pour les élus locaux. Alors que nous sommes le pays qui a le plus fort taux de dépenses publiques notre système de santé s’est profondément dégradé. L’hôpital public n’a cessé d’être plus verticalisé, bureaucratisé, avec 34% de personnel non soignant contre 26% en Italie et 25% en Allemagne. On ne cesse d’opposer le public au privé, alors que 9 millions de patients sont pris en charge annuellement par ce dernier, au lieu de rechercher des complémentarités. Près de sept Ehpad sur dix sont en déficit aujourd’hui, tandis que cela fait maintenant sept ans que l’on attend un vrai texte sur le grand âge. Il est vrai qu’avec sept ministres de la santé en sept ans il est difficile de permettre une continuité de l’action publique. Enfin, le dernier sujet est l’autorité de l’État. Regardons l’actualité. La fusillade de Villeurbanne le 8 mai sur fond de narcotrafic, les rodéos urbains, la multiplication des refus d’obtempérer, le meurtre de Matisse à Châteauroux par un Afghan qui était sous contrôle judiciaire… Tout cela crée de la défiance. Je ne dis pas que le gouvernement n’a pas essayé. Je ne dis pas que c’est simple. Mais cela interdit tout exercice d’autosatisfaction.
« J’assume d’avoir fait des réformes beaucoup plus audacieuses que mes prédécesseurs » déclarait le chef de l’État la semaine passée dans La Tribune Dimanche. Partagez-vous cet avis ?
Où est l’audace ? Sur quelles réformes ? L’immigration ? Les institutions ? La simplification ? Sur celle des retraites, il a dû s’y reprendre à deux fois, notamment parce que la première à points était incompréhensible. Quant à la seconde, s’il a pu la mener à bien, c’est notamment grâce au Sénat.
Les Républicains sont très remontés à l’encontre du gouvernement sur les questions budgétaires. Êtes-vous favorable à ce que les députés LR déposent une motion de censure à l’automne?
D’abord, il y a très longtemps qu’au Sénat nous tirons la sonnette d’alarme. En 2022, lors du projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, nous avions dit au gouvernement que, pour parvenir à 3% de déficit en 2027, il fallait faire un effort de 35 milliards d’économies supplémentaires. J’avais mené en ce sens une discussion avec Bruno Le Maire. Nous étions arrivés à une proposition de compromis autour de 17 milliards. Mais le président de la République n’en a pas voulu. À l’automne dernier, dans le cadre de la préparation du budget 2024, nous avons proposé 7 milliards d’économies. Aucune de nos propositions n’a été retenue, alors que cet hiver le gouvernement a dû se résoudre de manière précipitée à réaliser 10 milliards d’économies avant de devoir en chercher 10 de plus… Tout ça manque de cap et de cohérence. La France décroche. La situation de nos finances publiques est l’échec le plus cuisant de ces sept dernières années. Aujourd’hui, nous avons une responsabilité collective : tracer une voie de redressement pour le pays. Quand le Haut Conseil des finances publiques et la Cour des comptes disent que la trajectoire du programme actuel de stabilité est dépourvue de « cohérence et de crédibilité », on ne peut pas dire qu’on a uniquement un problème de recettes temporaire !
Mais faudra t-il une motion de censure ?
À l’occasion de l’examen du budget 2025, 11 appartiendra au président et au gouvernement de préparer un budget de redressement et de courage. La responsabilité du Parlement sera de savoir s’il le juge ainsi ou s’il trouve que l’exécutif continue sur une trajectoire qui, à terme, sera catastrophique pour le pays. La décision d’une censure appartient aux députés. Mais si la trajectoire pour 2025 ressemble à celle qui nous a été proposée en 2024, je ne vois pas comment on pourra l’accepter.
En cas de motion de censure adoptée, souhaiteriez-vous que le chef de l’État dissolve l’Assemblée ?
Soit il est capable de recomposer une majorité et de partager une trajectoire de redressement du pays, soit il dissout. C’est à lui que la décision appartient.
Le RN va en déposer une sur le même sujet dans trois semaines. Pourquoi ne pas la voter ?
Je le redis, c’est une décision qui appartient aux députés. Mais pour moi, le dépôt d’une motion de censure est une décision grave. On ne censure pas par humeur ou par opportunité de calendrier. On doit censurer quand l’intérêt du pays est en jeu.
La direction de LR a récemment dévoilé la liste conduite par François-Xavier Bellamy. Pourquoi ne l’avez-vous pas validée ?
C’est vrai, j’ai exprimé des réserves sur la composition de cette liste. Laurent Wauquiez et Éric Ciotti ont fait un choix. Ce n’était pas le mien. Je pense qu’il fallait renouveler, rénover, davantage représenter les territoires. Je n’étais pas le seul. Je soutiendrai François-Xavier Bellamy, c’est un homme courageux et intelligent. Les élections européennes ne sont pas un référendum anti- ou pro-Macron, contrairement à ce que prétend le Rassemblement national. Ce n’est pas non plus une campagne anti-Israël, comme le fait croire La France insoumise. C’est une campagne qui interroge sur l’Europe que nous voulons.
Si Jordan Bardella recueille plus de 30% le 9 juin, comme le prédisent aujourd’hui les sondages, est-ce que ce sera aussi une défaite pour LR ?
Ce serait une défaite collective. Si les mouvements d’extrême droite, pas uniquement le RN, obtenaient un score important, tout comme LFI, que je mets dans le même sac, ce serait une défaite pour tous ceux qui ont une conception de la démocratie attentive aux valeurs républicaines. Personnellement, cela fait longtemps que je sens le pays divisé. La crise de confiance a gagné le pays. La France perd ses repères. On le voit avec ce qui se passe à Sciences-Po.
C’est-à-dire ?
On assiste à une instrumentalisation politique à des fins électoralistes d’une émotion qu’on peut tous ressentir face à ce qui se passe à Gaza. Je souhaite juste que cette émotion ne soit pas sélective. Oubliés les otages, parmi lesquels trois Français ? Oubliés les 1200 assassinats du 7 octobre ? Oublié le rappeur iranien condamné â mort par le régime de Téhéran ? Oubliés les Ouigours, le combat des femmes afghanes et iraniennes ? Je n’ai pas perçu beaucoup d’émotion â Sciences-Po sur ces questions. Attention : l’antisionisme, c’est la permission d’être antisémite, comme le disait Jankélévitch. On peut être en désaccord avec la politique de M. Netanyahou, mais utiliser le slogan du « fleuve â la mer » veut dire rayer Israël de la carte. Pour moi. c’est inacceptable. Et c’est aussi â cause de ce genre de fractures que le pays s’apprête, malheureusement, à voter assez largement pour le RN.
Quelle conclusion devrait tirer le président de la République face à un tel succès du RN ?
Il ne peut pas prétendre, comme il le dit dans vos colonnes, qu’il ne tirera aucune conséquence de ce scrutin. Il faut être attentif à toutes les élections. Le vrai sujet se posera jusqu’en 2027 : est-on en capacité d’avoir – et nous sommes tous concernés – une autre alternance que le choix du Rassemblement national ? En tout cas, je ferai tout pour que nous ne soyons pas confrontés à ce seul choix.
Votre nom circule toujours comme possible Premier ministre de coalition entre LR et la Macronie. Comment jugez vous cette hypothèse ?
Je suis un président du Sénat qui exerce pleinement sa fonction, avec une majorité sénatoriale solide et cohérente. C’est un contre pouvoir essentiel, on le mesure chaque jour. Pour le reste, ces décisions appartiennent au président de la République et à personne d’autre.
Comment qualifiez-vous vos rapports avec Emmanuel Macron ?
Nous avons le même respect pour les institutions de la République. Il n’y a pas de fausses apparences entre nous. On se dit les choses.
Vous avez présenté mardi les propositions institutionnelles issues du groupe de travail que vous avez mis en place. Vous vous dites favorable au rétablissement du cumul des mandats mais ne prenez pas position sur le quinquennat. Il ne faut pas y toucher ?
Nous en avons naturellement débattu. Rappelons qu’en 2022 Emmanuel Macron a annoncé que, s’il était réélu, il confierait un travail de réflexion sur nos institutions â un groupe transpartisan. Nous n’avons rien vu venir. J’ai donc voulu qu’on se mette au travail, et tous les groupes politiques ont accepté de le faire. Nous avons examiné le quinquennat renouvelable, le retour au septennat, et sur ces sujets il n’y a pas eu de majorité entre nous.
Votre homologue à l’Assemblée nationale. Yaël Braun-Pivet, souhaite introduire une dose de proportionnelle aux élections législatives. Y êtes-vous favorable ?
En 2019, déjà, il y a eu ce débat. Nous avions donné notre accord à trois conditions : d’abord, la stabilité du nombre de parlementaires ; ensuite, la proximité, donc la possibilité d’exercer un mandat exécutif local en plus du mandat de parlementaire ; et enfin, qu’il n’y ait qu’une part de proportionnelle, que nous avions située autour des 25%. Je n’ai pas changé d’avis. Je l’ai confirmé à Yaèl Braun-Pivet.
>> Lire l’interview sur LaTribune.fr
L’article Gérard Larcher : « Il y a chez le chef de l’Etat un déni de réalité » est apparu en premier sur les Républicains.