Gérard Larcher : « Il faut retrouver de la proximité avec les Français »
À l’heure où le pays sort groggy de la bataille des retraites, le président du Sénat porte quelques coups à Emmanuel Macron, tout en mettant en garde sa propre famille politique, Les Républicains.
Il ne s’était pas exprimé depuis l’allocution d’Emmanuel Macron à la télévision au soir du 17 avril. Malgré son (relatif) silence, le président (LR) du Sénat, Gérard Larcher, le troisième personnage dans l’ordre protocolaire de l’État, actuellement en pleine campagne pour les sénatoriales qui auront lieu en septembre, reste au cœur de l’actualité politique. Le président de la République l’a associé, avec la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Conseil économique, social et environnemental, à la réflexion pour trouver de « grandes pistes pour que le fonctionnement de nos institutions gagne en efficacité ».
Il ne semble pas faire de cette question une priorité et préfère rappeler au chef de l’État qu’il ne peut se contenter de « déclarations de bonnes intentions » qui ne seraient pas suivies d’effets sur le quotidien des Français. Gérard Larcher adresse aussi une mise en garde à sa propre famille politique en l’appelant à redéfinir une ligne avant de propulser Laurent Wauquiez comme candidat à la présidentielle, comme s’y était pourtant engagé Éric Ciotti lors de la campagne interne à l’automne dernier pour la tête du parti Les Républicains (LR).
Mais si son nom revient aussi souvent dans les couloirs du pouvoir, c’est qu’il est souvent cité comme un recours possible un jour à Matignon. Avec son CV de « gaulliste social » et son lien avec les « territoires » dont la chambre haute est l’émanation, ne pourrait-il pas être l’homme clé pour enfin permettre au président de la République de construire les « coalitions et alliances nouvelles » qu’il appelle — en vain pour l’instant — de ses vœux ? « Il a une stature d’homme d’État, il sait s’adapter tout en étant fidèle à ses convictions. Et puis, Gérard, c’est le kir-cacahouètes après la réunion : il met de l’humain dans les relations ! » s’emballe un député Renaissance, venu des rangs de LR.
« Les conditions politiques aujourd’hui ne sont pas remplies », botte en touche l’intéressé, qui aime à répéter à ses interlocuteurs ce qu’il définit comme le mantra du Sénat, dont on devine qu’il le fait sien : « Ne jamais dire non par dogmatisme, ne jamais dire oui par discipline. »
Emmanuel Macron a annoncé lundi dernier un « plan d’apaisement et d’action » d’ici au 14 juillet. Vous pensez que le pays sera alors apaisé ?
Je pense que le président de la République a eu raison de promulguer la loi sur la réforme des retraites. C’est une décision qui a été prise après un débat parlementaire, certes, dans des conditions particulières, liées à la majorité relative à l’Assemblée nationale et au déficit de dialogue social, mais qui respecte les principes constitutionnels. Concernant l’intervention du président de la République, il ne peut pas se contenter encore une fois de déclarations de bonnes intentions : travail, sécurité, industrie, école, crise de l’hôpital… Ce sont des chantiers qui auraient dû être engagés depuis le début du premier quinquennat. Une « école qui change » : d’accord, mais comment ? Ce n’est pas qu’une question de rémunération des enseignants ! Un médecin traitant à court terme pour tous les patients atteints de maladies chroniques ? On n’installe pas des médecins comme ça. Est-ce qu’Emmanuel Macron peut faire en cent jours ce qu’il n’a pas fait en six ans ?
L’historien Pierre Rosanvallon estime que la France vit « la crise démocratique la plus grave » depuis la fin de la guerre d’Algérie. Partagez-vous ce constat ?
Non, il n’y a pour moi ni crise démocratique ni des institutions. Nous vivons une crise de gouvernance et de confiance, liée à l’absence de résultats, à une gouvernance trop verticale, à une bureaucratie tentaculaire, à cette France d’à côté qui se sent oubliée et se réfugie dans l’abstention, mais aussi à l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Il faut retrouver de la proximité avec les Français.
C’est ce qu’a essayé de faire le président de la République, cette semaine, en allant sur le terrain, où il est très chahuté…
La contestation est légitime tout comme l’exercice du droit de grève. En revanche, il faut retrouver la raison. Les blocages, les occupations, les menaces envers les élus, ou les outrances envers le président de la République ne sont pas acceptables.
Emmanuel Macron a annoncé un « nouveau pacte de la vie au travail ». Qu’est-ce qui doit y figurer ?
Le quinquennat a révélé une insuffisance du dialogue social. Or, il est indispensable. Il ne doit pas être vécu comme une contrainte. Le président paraît enfin avoir compris qu’il fallait prendre le temps de la concertation et de la négociation avec les partenaires sociaux. Il faut leur laisser la possibilité de négocier librement, sans les enserrer dans un cadre trop contraignant, qu’il s’agisse d’améliorer les salaires, trop bas en France, de mieux partager la richesse, notamment via des mécanismes d’intéressement-participation, de trouver des solutions à l’usure professionnelle, d’accroître l’emploi des seniors… Au-delà de ces sujets qui relèvent du Code du travail, ce pacte devrait aussi comporter la réforme du lycée professionnel, la définition des conditions d’activité pour les bénéficiaires du RSA. Mais, pour que cela fonctionne, les syndicats doivent également retrouver le chemin du dialogue.
Sur les retraites, que pensez-vous des initiatives de certains députés pour tenter de faire abroger le recul de l’âge de départ à 64 ans ?
La loi a été promulguée, elle doit s’appliquer. Si on fait des propositions de loi pour supprimer immédiatement celles qui viennent d’être votées, on s’engage sur une pente glissante.
Emmanuel Macron veut aussi avancer sur l’immigration. Est-ce le bon moment ?
Il y a deux semaines, j’étais opposé à ce que nous engagions ce nécessaire débat dans la foulée de la loi sur les retraites. Il fallait une période d’apaisement. On a voté vingt et une lois en vingt ans, il nous faut donc enfin une loi efficace qui régule les flux migratoires alors qu’ils ont repris massivement. J’ai dit au président et à la Première ministre qu’il n’était pas question d’avoir une loi à la découpe. Sur ce sujet, il faut une vision globale pour évoquer le droit d’asile, le regroupement familial, l’immigration du travail ou étudiante mais également l’intégration et le codeveloppement. Nous sommes, je le rappelle, opposés à la régularisation pour les métiers en tension qui créerait un appel d’air. Il y a déjà 500 000 étrangers au chômage dans notre pays. Occupons-nous d’eux en priorité.
À ce sujet, Christian Estrosi prépare sa propre loi sur le sujet. Vous vous en réjouissez ?
Les maires sont consultés en permanence par les sénateurs. Nous avons des contacts constants avec l’Association des maires de France. Mais c’est le Parlement qui vote la loi. À chacun son rôle.
Le président vous associe à la réflexion pour « que le fonctionnement de nos institutions gagne en efficacité ». Quelles sont vos pistes ?
Nous sommes toujours prêts à examiner ce qui améliore le fonctionnement de la démocratie : simplification, décentralisation, et nous y travaillons… Mais est-ce le moment ? Si on interroge les Français sur leurs préoccupations, je doute qu’ils répondent : « Réforme de la Cour de justice de la République, réforme du Conseil supérieur de la magistrature ou proportionnelle à l’Assemblée nationale ». J’entends plutôt parler d’inflation et de crise des services publics. Le retour de la confiance, ce n’est pas le jeu de construction institutionnel comme priorité. Par ailleurs, je doute que le président de la République ait les moyens d’obtenir les trois cinquièmes des voix au Congrès et qu’il y ait même besoin d’un Congrès pour améliorer le fonctionnement des institutions, cela peut passer par la loi ordinaire et organique.
Comment améliorer la « participation citoyenne » ?
Il ne faut pas opposer démocratie participative et représentative. Il faut trouver un équilibre entre les deux. Je pense que les conventions citoyennes peuvent être utiles. Mais, en toute hypothèse, le dernier mot revient toujours au Parlement. Je continuerai à ne pas participer au Conseil national de la refondation.
Lors du récent examen du projet de loi sur les retraites par le Conseil constitutionnel, des voix se sont élevées pour exprimer des doutes sur la légitimité de désignation de ses membres…
Le Conseil constitutionnel fonctionne de façon indépendante et impartiale. Il n’y a donc aucun motif de changer. Cessons de tout remettre en cause. Certains constitutionnalistes qui le critiquent aujourd’hui sont les mêmes que ceux qui rêvaient d’y entrer…
Le président de la République veut des « coalitions et alliances nouvelles ». La droite doit-elle trouver un accord avec lui ?
Je suis pour une ligne autonome et responsable. Autonome, car c’est la garantie de notre liberté. Responsable, car nous privilégierons toujours l’intérêt du pays. Une coalition doit se construire sur un contrat clair, une méthode de gouvernance, sur des objectifs à atteindre et les moyens pour y parvenir. Ces conditions ne sont pas remplies aujourd’hui. Raison pour laquelle j’ai proposé au président et à la Première ministre de fonctionner texte par texte. C’est compliqué, mais c’est la seule méthode.
Votre nom circule d’ailleurs pour Matignon. Pouvez-vous dire que vous ne serez jamais le Premier ministre d’Emmanuel Macron ?
Les conditions politiques aujourd’hui ne sont pas remplies. Nous avons des désaccords majeurs avec la politique menée par l’exécutif, sur la dépense publique, sur la décentralisation, sur le régalien… Je suis engagé dans la campagne sénatoriale dans les Yvelines et, si mes collègues me font confiance, à la présidence du Sénat. C’est mon horizon aujourd’hui.
Quelles leçons tirez-vous pour votre famille politique des divisions qu’elle a récemment vécues ?
La droite traverse une crise et s’est divisée sur la réforme des retraites. Il faut qu’elle retrouve de la cohérence, de la cohésion et une ligne politique. C’est l’objectif que s’est donné Éric Ciotti avec les états généraux de la droite en juin, j’y apporterai ma contribution.
Les circonstances sont-elles réunies pour que les modalités de désignation du futur candidat de LR à la présidentielle soient modifiées, comme s’y était engagé Éric Ciotti pour imposer Laurent Wauquiez ?
Le blé doit être semé avant d’être récolté. Il nous faut une stratégie, une ligne, avant de penser à l’élection présidentielle. L’important, c’est que, d’ici à 2026, nous ayons un candidat. Pourquoi pas Laurent Wauquiez ? Il en a toutes les qualités, mais ce n’est pas aujourd’hui que nous devons trancher cette question. Quand nous sommes à moins de 5 % à la présidentielle, engageons d’abord le travail de reconstruction et de reconquête de la confiance des Français.
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