François-Xavier Bellamy : « L’Europe doit mettre fin à ses dépendances »
L’Union européenne (UE) devait nous protéger du déclin. Or, depuis trente ans, nous, Européens, décrochons par rapport notamment aux États-Unis. À qui la faute ?
Aujourd’hui, nous subissons le décrochage de l’Europe dans le monde, par rapport aux États-Unis, mais aussi par rapport à la surpuissance industrielle chinoise, et puis il y a celui de la France au sein de l’Europe. Ce double décrochage frappe les Français dans leur quotidien. L’école traverse – je le dis comme professeur – une crise profonde. L’hôpital public comme la justice sont paupérisés. Un Français sur trois déclare en venir à sauter un repas, faute de pouvoir s’alimenter normalement. La réponse européenne suppose de sortir de la naïveté et d’une situation où l’on s’est accoutumé à une division mondiale du travail : les États-Unis inventent, l’Asie produit et l’Europe réglemente. Ce choix de la dépendance vis-à-vis de l’industrie chinoise, de la sécurité américaine, de l’énergie russe nous a rendus vulnérables.
Qui est responsable de cette dépendance ?
L’Europe a été d’abord un marché intérieur et une politique commerciale qui ont contribué à l’essor de beaucoup d’entreprises. Mais aujourd’hui, ce qui nous fragilise, c’est de ne pas avoir vu notre devoir de recréer les conditions pour produire dans nos pays. Au Parlement européen, nous avons eu un désaccord de fond, avec, au nom de l’environnement, une alliance entre socialistes, Verts, élus macronistes pour organiser la décroissance. La stratégie « Farm to Fork » (« de la ferme à la fourchette », NDLR) devait faire baisser de 13 à 15 % la production agricole dans l’UE. Le combat contre le nucléaire a été longtemps porté par la gauche, les Verts, et même par les gouvernements d’Emmanuel Macron. Tout cela, au nom d’une idée de l’écologie comme décroissance européenne. Moi, je crois l’inverse. Pour le défi environnemental, qui est mondial, l’Europe doit – et c’est son devoir – sortir de ses dépendances, parce que son modèle de production est moins carboné que les autres. Il nous faut exporter notre manière de produire, et pas dépendre de ces productions agricoles, industrielles, énergétiques extra-européennes, bien plus destructrices pour l’environnement.
Peut-on survivre dans un monde où nous sommes les seuls à appliquer nos propres règles, y compris au sein de l’UE ?
La responsabilité est dans les mains du gouvernement français. Il faut choisir, si on est européen, de l’être complètement. Si on opte pour un marché unique sans barrières, sans tarifs ni quotas, on ne peut pas décider d’imposer toujours plus de règles à ceux qui produisent chez nous qu’à ceux qui produisent ailleurs. Paris dit : il faut être les plus exigeants et les autres nous suivront. Mais ça ne fonctionne pas. Si vous êtes seul à vous appliquer des règles de vertu que les autres ne respectent pas et que vous gardez vos marchés ouverts à la concurrence mondiale, vous êtes mort. Et vous détruisez le modèle de production le plus vertueux du point de vue environnemental. La priorité pour l’Europe ne devrait pas être d’imposer plus de contraintes à ses producteurs, mais, à travers son marché européen, entraîner les autres producteurs mondiaux dans la décarbonation. La Chine ouvre deux nouvelles centrales à charbon par semaine. Donc, utilisons notre marché pour fixer à la Chine nos conditions, comme elle sait si bien le faire, en donnant un prix au carbone, parce que l’urgence climatique, c’est sortir du charbon. Sinon, comment l’éleveur bovin en France peut-il comprendre que la Commission européenne vienne lui dire que le dérèglement climatique est causé par ses paisibles vaches ? Le meilleur service que l’Europe puisse rendre à la planète, c’est de recommencer à produire chez elle.
L’Europe aide les Ukrainiens avec 80 % d’armes et de munitions venant des États-Unis. Peut-on tenir longtemps ?
Non, bien sûr. Le défi, c’est de relancer notre industrie de défense. Et là encore, l’Europe, sans doute, a été trop naïve. J’ai été rapporteur du premier fonds européen de défense, un très beau projet de coopération. Mais dans la dernière ligne droite, les États ont choisi de raboter son budget de 13 à 8 milliards d’euros. Les États-Unis investissent, je crois, 300 milliards de dollars par an dans leur industrie de défense.
Emmanuel Macron pourrait poser le même diagnostic que vous. Au fond, qu’est-ce qui vous sépare ?
Le problème, c’est que les députés macronistes au Parlement européen ont porté tout au long de ces années cette stratégie de contrainte. Le président de la commission de l’environnement, Pascal Canfin, député macroniste issu des rangs des Verts et du monde des ONG environnementales, a porté cette vision antinucléaire, que nous avons combattue, et l’obligation de 100 % de véhicules électriques en 2035, cet immense cadeau à l’industrie chinoise. Moi, je ne crois pas qu’on puisse dire une chose à Paris et faire le contraire à Bruxelles ; expliquer à Paris qu’on soutient les agriculteurs tandis qu’à Bruxelles, on vote un texte qui fait baisser la production agricole ; dire à Paris qu’on relance le nucléaire, mais à Bruxelles, voir ses élus voter contre son inclusion dans les politiques européennes. Il y a trois semaines, les mêmes ont voté un texte de l’extrême gauche qui va imposer des exigences démesurées aux entreprises. Alors qu’Emmanuel Macron, à Paris, parlait de pause réglementaire, ses élus à Bruxelles faisaient le contraire. La deuxième chose qui me frappe, c’est qu’Emmanuel Macron, pour sauver l’Europe, veut utiliser les mêmes recettes qu’à Paris, un nouvel emprunt et des impôts européens. Or, il n’y a pas d’argent magique ! S’il suffisait d’avoir de la dette et des prélèvements obligatoires pour pouvoir être puissant, la France serait aujourd’hui le pays le plus puissant de l’Union européenne !
L’immigration est-elle inéluctable dans un continent qui vieillit ?
Il faut savoir. Soit on défend l’idée qu’elle est juste et nécessaire, soit on défend celle que c’est une fatalité. L’Europe doit retrouver la maîtrise de ses frontières, dire qui rentre ou pas. Il y a quelques jours, à la frontière franco-italienne, j’ai échangé avec les policiers, contraints, disaient-ils, par la complexité des règles imposées, de laisser entrer sur le sol français des individus dont ils suspectent qu’ils sont potentiellement dangereux pour la sécurité nationale. Si l’Europe est endeuillée par tant de drames en Méditerranée, c’est justement à cause de cette impuissance européenne. C’est parce que le cœur du business des passeurs repose sur cette promesse que si vous arrivez à mettre le pied illégalement en Europe vous avez toutes les chances d’y rester toujours. Je suis par ailleurs révolté que le gouvernement engage un représentant pour aller chercher sur le continent africain des médecins pour nos hôpitaux. Mais quel incroyable égoïsme ! Chercher dans des pays qui en ont besoin des gens formés pour soigner leurs prochains ! Mais quelle vision cynique, utilitariste, matérialiste de la personne humaine !
Qu’est-ce qui vous distingue sur le fond de Jordan Bardella ?
Au Parlement européen, nous n’avons jamais été en défaut sur notre soutien à l’Ukraine ni sur notre condamnation de l’agression russe. Nous, nous croyons vraiment à la défense de nos démocraties et prenons au sérieux ses exigences. Ensuite, le Rassemblement national (RN) garde sur nombre de sujets, une vision ancrée à gauche. Il a voté contre la réforme des retraites, au risque de mettre en danger l’équilibre de notre système de retraite. Et puis, le RN inaugure une sorte de double du macronisme. Après le « En même temps de gauche et de droite », maintenant, le RN dit : « Ni de gauche ni de droite ».
En étant tête de liste LR, vous menez un combat difficile. Être l’agneau sacrificiel de la droite de gouvernement, est-ce enviable ?
Je ne pense pas être l’agneau sacrificiel. On vit un moment où la politique montre son pire visage, une forme d’opportunisme. Emmanuel Macron a servi de couverture à des calculs de carrière, qui font que des gens venus de partout ont pu se trouver des prétextes pour rejoindre le corps du pouvoir. Le RN fait de même. Comme beaucoup, j’ai été approché par des camps qui semblaient plus favorisés par les sondages. Je reste là où je suis, parce que je crois que notre devoir, c’est de reconstruire une vie politique marquée par la constance, la clarté des convictions, la fidélité à un engagement, d’où seule peut renaître la confiance. On a besoin de retrouver un vrai clivage politique en France entre une gauche qui assume ses convictions et une droite qui, avec mesure et sérénité, fasse vivre le débat public. La promesse de la fin des clivages laisse un pays, paradoxalement, fracturé comme jamais.
Qu’est-ce qui sépare la gauche de la droite ?
La gauche, c’est une colère, une révolte, une volonté de changer le monde, de corriger les injustices. La droite, c’est d’abord une inquiétude, un regard porté sur le monde qui voit ce qui est bon et mérite d’être garanti pour les générations futures. Cette inquiétude est aussi un émerveillement : voir les biens dans nos mains qui sont vulnérables et doivent être transmis. Si elle veut être fidèle à elle-même, la droite doit être écologiste.
Que signifie aujourd’hui être un homme politique au catholicisme assumé ?
Je n’ai jamais fait de ma foi un étendard. Paradoxalement, le legs le plus important du christianisme à l’Europe, c’est l’idée de laïcité, la distinction du spirituel et du temporel. J’y tiens profondément. Assumer paisiblement nos racines, pas seulement chrétiennes, mais aussi gréco-latines, judéo- chrétiennes, notre héritage des Lumières, c’est garantir l’unité de nos sociétés dans un moment où, vous parliez de la question migratoire, les fractures n’ont jamais été aussi grandes. Redire cette histoire n’oblige personne, bien sûr, à être chrétien, mais permet à tous de reconnaître que nos institutions, nos représentations du monde ne viennent pas de nulle part. Tout cela n’est pas déraciné.
>> Lire l’interview sur LePelerin.com
L’article François-Xavier Bellamy : « L’Europe doit mettre fin à ses dépendances » est apparu en premier sur les Républicains.