Eric Ciotti : « Notre position sur les retraites n’est pas le signe d’un rapprochement avec la majorité »
Depuis des années, LR réclame le recul de l’âge de la retraite. Son président nous reçoit et explique pourquoi il faut voter la réforme.
Au centre du jeu… et sur la corde raide. Depuis son élection à la tête des Républicains en décembre, l’élu des Alpes-Maritimes est l’interlocuteur privilégié d’Élisabeth Borne sur le sujet des retraites. Mais l’arrivée du projet de loi à l’Assemblée nationale le contraint à un difficile exercice d’équilibriste : endosser un texte impopulaire, au nom de la fidélité aux idées de la droite, sans se fondre dans le macronisme. Ni se mettre à dos la fraction de députés LR rétifs au recul de l’âge légal par égard pour leurs électeurs. Éric Ciotti le sait mieux que quiconque : du succès ou de l’échec de la « mère des réformes » dépend aussi l’unité de son parti. Et, en définitive, sa survie.
Les Français sont de plus en plus hostiles à cette réforme des retraites, qu’ils estiment injuste. Comment la faire accepter alors que le pacte de confiance a été rompu ?
Une réforme des retraites, quel que soit le gouvernement, est toujours un moment difficile. Il l’est d’autant plus du fait des fautes et des errements depuis l’élection de François Hollande. Il faut donc renouer ce fil de confiance de façon globale. Je le redis, une réforme est nécessaire si l’on veut sauver notre système de retraite par répartition. Je ne peux pas être soupçonné de connivence avec le gouvernement actuel. Mais je privilégierai toujours l’intérêt supérieur du pays. Compte tenu des évolutions démographiques, si l’on ne demande pas aux Français de travailler un peu plus sur la durée d’une vie, alors le pacte de confiance générationnel sera rompu et les 20 millions de retraités verront, demain, leurs pensions s’effondrer. Je me refuse également à voir augmenter les cotisations salariales pour assurer l’équilibre du régime de retraite. Cela aboutirait à baisser les salaires, ce qui serait insupportable pour les Français.
Mais cette réforme n’est-elle pas celle que Les Républicains ont souhaitée, puisque vous vouliez 65 ans ou 45 annuités de cotisation ?
Cette réforme, nous l’aurions faite bien plus tôt, ce qui aurait rendu son acceptation plus facile.
Avec un âge de départ à 64 ou à 65 ans ?
Si la réforme avait été faite en 2017, nous aurions sans doute fixé le cap à 65 ans. Mais aujourd’hui, cet objectif n’est pas soutenable compte tenu de la crise énergétique et de la crise du pouvoir d’achat qui frappent les Français. Sans oublier la crise sanitaire dont nous sortons à peine. Je comprends la colère que cela suscite. C’est pour cela que Les Républicains ont voulu rendre cette réforme nécessaire plus juste et moins brutale.
Approuvez-vous le principe de l’index seniors ? N’y a-t-il pas un autre moyen que la coercition et la menace de pénalités ?
Je ne crois pas à la grande efficacité de cet index. Ce sont les chefs d’entreprise qui créent des emplois, et ils ne le feront pas sous la contrainte. Les pénalités, cela n’a jamais marché et cela ne marchera jamais. Moi, je crois à l’incitation et à la confiance en ceux qui investissent. Je propose une grande conférence de l’emploi des seniors qui réunira l’État, le patronat et les organisations syndicales, et je trouve très intéressante la proposition de la CPME d’une baisse des charges pour les seniors.
Vous avez rencontré Élisabeth Borne à plusieurs reprises. Manque-t-elle d’empathie, comme le lui reprochent les Français ?
Je ne suis pas certain que cela soit le sujet. Cette réforme est confrontée à deux écueils. D’un côté, les erreurs du gouvernement, qui a dépensé sans compter et qui tente, dans l’urgence, de trouver des ressources pour éviter un étranglement budgétaire de la nation, et, de l’autre un vrai déficit d’explication.
Ce n’est pas une question de raideur de la Première ministre ?
Je mettrais plutôt la responsabilité sur les changements de pied multiples d’Emmanuel Macron depuis 2017. J’insiste : si cette réforme avait été adoptée à l’époque, on n’en serait pas là.
Nicolas Sarkozy exhorte la droite à la voter, en expliquant qu’elle doit se souvenir que la France populaire est pour le travail. C’est une mise en garde.
Comme lui, je considère que la valeur travail doit être au cœur de notre projet pour l’alternance future. Je suis lassé de ce bashing permanent et de cet éloge de la paresse porté par l’extrême gauche. On doit rappeler que le travail est une valeur noble, qu’il libère et émancipe. Même si cela ne nous exonère pas de réfléchir à de nouveaux modes d’organisation du travail pour l’avenir. Je partage le souci de cohérence qu’évoque le président Sarkozy. C’est cette volonté de cohérence qui guide ma position depuis le début.
Faut-il aller plus loin, comme le suggère Nicolas Sarkozy ? Votre parti pourrait-il entrer au gouvernement en cas de dissolution ?
J’ai été élu à la tête des Républicains sur une ligne d’opposition claire à la majorité et au président Macron. Notre position sur les retraites n’est en rien le signe d’un quelconque rapprochement avec la majorité. Bien au contraire, elle est l’expression de notre cohérence, de la fidélité à nos valeurs. Les Français subissent chaque jour la violence dans la rue, ils sont confrontés au chaos migratoire, ils souffrent dans leur vie quotidienne. Les Républicains incarnent la seule alternative possible au duel annoncé entre M. Mélenchon et Mme Le Pen. C’est pour cela que nous devons conserver une ligne d’indépendance, avec une opposition claire, déterminée, mais qui ne sombre pas dans la caricature et qui ne raconte pas n’importe quoi.
Ça veut dire que vous n’entrerez jamais dans le gouvernement tant qu’Emmanuel Macron sera au pouvoir ?
Nous resterons dans une opposition à la politique actuelle.
Ce qui veut dire non ?
Ce qui veut dire non.
Êtes-vous certain que les 61 députés LR à l’Assemblée vont voter la réforme des retraites avec les améliorations concédées par Élisabeth Borne ?
Nous avons toujours eu une règle chez Les Républicains, c’est la liberté de vote. Nous sommes un groupe au sein duquel la responsabilité règne. Si nos demandes sont satisfaites, il y aura une grande majorité des députés LR qui votera cette réforme.
Certains députés font pourtant entendre leur petite musique, notamment Aurélien Pradié, qui exige que l’amendement sur les carrières longues soit repris “à la virgule près”, sans quoi il ne votera pas la réforme…
Chacun exprime et apporte sa pierre au débat. Tous méritent d’être entendus. L’essentiel, c’est que finalement nous soyons réunis dans une maison commune. Je dis aussi à certains de mes collègues de ne pas mêler leur voix à celles des insoumis, dont le seul projet est de fracturer les piliers de notre société.
Et c’est à vous qu’incombe cette responsabilité de garder tout le monde dans la maison commune. Une mission impossible ?
À laquelle je m’emploie au quotidien ! La lourde défaite que nous avons subie à l’élection présidentielle nous place dans une situation difficile. Je souhaite que chacun travaille dans un esprit collectif.
Nombre de vos députés ont été élus dans des zones rurales, hostiles à la réforme des retraites. Est-ce qu’il n’y a pas là un vrai problème avec vos électeurs ?
Nos députés entendent cette colère, et c’est pour cela qu’ils veulent y apporter des réponses.
Même si les électeurs leur disent : “Attention, ne votez pas cette réforme, elle est injuste. Les 64 ans, cela restera !”
Je le redis, toutes les réformes des retraites ont été impopulaires. Mais pour autant, si elles n’avaient pas été faites auparavant par Édouard Balladur, François Fillon, Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, nos retraités actuels vivraient dans la misère.
Vous soutenez toujours Laurent Wauquiez pour la présidentielle de 2027 ? Pourquoi est-il aussi absent de ce débat ?
Je vous confirme ce soutien car je considère que Laurent Wauquiez présente les meilleurs atouts pour nous conduire à la victoire. 2027 sera sans doute le rendez-vous le plus décisif pour épargner à la France un déclin irrémédiable. Maintenant, c’est à lui de définir sa stratégie et de choisir son moment, mais je ne doute pas de sa détermination.
Donc vous comprenez son silence ?
Je crois que Laurent a dit sur cette réforme les choses clairement, dans des termes très similaires à ceux que je défends.
Ne regrettez-vous pas que le dialogue soit rompu avec les organisations syndicales, et notamment la CFDT et Laurent Berger ?
J’ai personnellement rencontré Laurent Berger, comme j’ai rencontré François Hommeril, de la CFE-CGC, mais aussi Geoffroy Roux de Bézieux, du Medef, ou François Asselin de la CPME. Le président de la République, depuis des années, conduit une démarche personnelle qui a mis de côté nos partenaires sociaux. C’est une erreur. Regardez comment sont gérés, avec efficacité et dans le cadre du paritarisme, les régimes de retraite complémentaire. Ils sont excédentaires parce qu’ils sont très bien pilotés par les partenaires sociaux. On ne peut pas, dans notre pays, s’exonérer de cet indispensable dialogue. Les Français attendent, par ailleurs, des réponses sur le niveau des salaires. Je veux que Les Républicains soient demain le parti du travail, de la hausse des salaires et de la baisse des impôts. Il faut que le travail rapporte plus que le non-travail. Aujourd’hui, certains Français se sont habitués à ce que les allocations soient quasiment aussi rémunératrices que le travail. Nous devons recréer un écart, car beaucoup de Français qui travaillent dur et qui se lèvent tôt ne comprennent plus. On ne peut pas laisser poursuivre cette dérive sur les minima sociaux.
Marine Le Pen raille une négociation de marchands de tapis entre le gouvernement et LR. Que lui répondez-vous ?
Ma différence avec Mme Le Pen, c’est que je suis de droite ! Je crois au travail. Je ne défends pas, comme elle le fait, le même amendement que les amis de M. Mélenchon pour garder les régimes spéciaux, notamment à la RATP. Son projet coûterait 30 milliards d’euros au pays chaque année, à peine un peu moins que celui de Mélenchon ! Notre position à ce stade a d’ores et déjà permis de revaloriser les petites retraites, de passer de 65 à 64 ans, de favoriser tous ceux qui ont travaillé avant 21 ans durant 5 trimestres de partir après 43 années de cotisation et d’éviter les hold-up du gouvernement sur les régimes complémentaires. Je suis sûr que Mme Le Pen votera toutes ces mesures.
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