Emmanuelle Mignon : « Il faut une règle d’or interdisant l’adoption d’un budget en déficit »
La responsable du projet des Républicains dénonce le « décrochage » de l’économie française et défend l’idée d’un libéralisme « vigilant ».
Comment jugez-vous la situation économique de la France ?
Très problématique. Au-delà de la dérive des finances publiques, les problèmes structurels ne sont pas résolus. Je suis effarée de voir que tout ce que nous avions pointé en 2005-2007 est toujours là et s’est même aggravé : désindustrialisation, déficit du commerce extérieur, plafonnement du pouvoir d’achat, effondrement du système scolaire… À l’échelle européenne, nous pesons désormais moins de 70 % de la richesse des États-Unis alors que nous avions des PIB à peu près équivalents en 2008. Nous avons donc décroché d’un tiers. C’est considérable !
Quelles différences faites-vous entre les difficultés du pays sous Nicolas Sarkozy et la situation actuelle ?
Nicolas Sarkozy ne s’est hélas pas attaqué aux problèmes structurels de notre pays. C’est pour cela que j’ai quitté l’Élysée à mi-mandat. En revanche, la France n’a jamais été dans une telle situation de faiblesse en Europe. Quand Nicolas Sarkozy était président de la République, la Commission européenne était dirigée.
Emmanuel Macron rejette l’idée d’un budget rectificatif en estimant qu’il s’agit d’un problème de recettes…
Emmanuel Macron passe ses semaines à signer de nouveaux chèques pour résoudre les problèmes de la France. Il n’y a pas un seul Français qui ne regarde ce spectacle avec sidération. Que ce soit dans un budget rectificatif ou dans le PLF 2025, le mur du déficit et de la dette arrivera cette année.
Quelles sont les solutions ?
On ne peut pas s’en sortir autrement qu’en inscrivant une règle d’or dans la Constitution, interdisant toute adoption d’un projet de loi de finances avec un déficit de fonctionnement. Mais la vérité oblige à dire que tous les responsables publics depuis des années font passer l’état des finances publiques au dernier rang de leurs priorités : de même que le Parlement peut destituer le président en cas de manquement grave aux devoirs de sa charge, je suis pour la création d’un mécanisme équivalent à l’encontre du premier ministre et du ministre de l’Économie en cas de dérive des finances publiques, assortie d’une interdiction durable de reprendre des fonctions gouvernementales. C’est ce qui arriverait à n’importe quel chef d’entreprise mettant sa société en faillite. C’est la seule façon de remettre de la responsabilité dans le système.
Qui est responsable, Emmanuel Macron ou Bruno Le Maire ?
Le président de la République est évidemment le décideur mais on n’est jamais obligé de continuer à servir une politique qu’on ne partage pas…
Que faut-il retenir de la « nuit de l’économie » LR organisée mardi soir à Paris ?
Un message de volonté et d’espoir. Notre pays peut s’en sortir à condition de changer complètement de logiciel. La priorité est d’encourager l’entrepreneuriat et de réindustrialiser. À l’opposé de ce que prépare vraisemblablement le gouvernement, il faut radicalement baisser les impôts. Raison pour laquelle LR déposera une motion de censure en cas d’augmentation des impôts. Cela suppose de baisser également les dépenses publiques. Avec 85 agents publics pour 1000 habitants en France contre 56 en Allemagne, qu’on ne dise pas qu’il n’y a pas de marges. Le rôle du secteur public est d’aider le secteur privé à créer des richesses. Aujourd’hui, nous avons réussi l’exploit d’inventer le système inverse où le secteur privé sue sang et eau pour financer la dépense publique !
Souverainisme, libéralisme… Quelle est la ligne idéologique des Républicains sur l’économie ?
Celle d’un libéralisme vigilant. Nous croyons dans le libre-échange, mais l’Union européenne est beaucoup trop naïve sur la réalité actuelle du commerce international. Elle est aussi guidée par les intérêts d’un pays exportateur, l’Allemagne pour ne pas la citer. Raison pour laquelle il est essentiel que la France se réindustrialise afin que l’asymétrie des intérêts économiques ne ruine pas définitivement le projet européen.
Les Sages doivent se prononcer sur le référendum d’initiative partagée des LR sur l’immigration. À quoi faut-il s’attendre ?
C’est moi qui ai écrit, dans la réforme constitutionnelle de 2008, que tout projet de RIP était soumis au contrôle du Conseil constitutionnel. Je respecterai donc évidemment sa décision. Mais quand la marge d’interprétation d’une disposition constitutionnelle est grande, ce qui est le cas en l’espèce, le juge suprême doit être attentif à l’opinion publique. Les Français veulent se prononcer sur l’immigration et soutiennent ce référendum.
Quelle analyse faites-vous de la campagne de Bellamy ?
Nous avons de très loin le meilleur candidat, avec un très bon bilan, une parfaite connaissance des institutions européennes et un refus des solutions simplistes. Notre projet est clair : nous sommes proeuropéens, mais nous voulons de profonds changements dans le fonctionnement de l’Union européenne. C’est pourquoi nous sommes opposés à la reconduction du délire normatif incarné par Ursula von der Leyen.
Serez-vous présente sur la liste ?
Oui, en position 10 ou 12. Il aurait été incohérent de ne pas l’être. Mais je n’ai pas le temps de faire à la fois mon métier d’avocat, un projet et une campagne. J’ai laissé les premières places à ceux qui sont sur le terrain.
Comment expliquez-vous la position de Jordan Bardella dans les enquêtes d’opinion, autour de 30 % ?
C’est d’abord un gros désaveu pour Emmanuel Macron. Mais le projet du RN est antieuropéen et sa vision de l’économie totalement socialiste. Il est faux de penser qu’on peut voter Bardella pour se faire plaisir. Les résultats du scrutin ne seront neutres pour personne.
Le phénomène Glucksmann est-il le signal d’un retour du clivage gauche-droite ?
Les macronistes de gauche comprennent, comme ceux de droite, l’échec du « en même temps » et Glucksmann est porté, comme souvent à gauche, par une petite musique idéaliste, bien qu’irréaliste. À nous de faire comprendre que notre projet est sérieux, mais porteur d’espoir.
Percevez-vous un risque d’explosion de votre famille politique en cas de mauvais score aux européennes ?
Notre socle est solide avec des convictions de droite, la maîtrise de l’immigration, la sécurité, et une vision libérale de l’économie impliquant une réforme de l’État, une baisse des impôts et de la dépense publique. Mais il y a une forme d’autocensure : on n’ose plus porter ce projet, parce qu’on pense que c’est impossible. Les limites du quinquennat de Nicolas Sarkozy pèsent lourd dans cet inconscient.
>> Lire l’interview sur LeFigaro.fr
L’article Emmanuelle Mignon : « Il faut une règle d’or interdisant l’adoption d’un budget en déficit » est apparu en premier sur les Républicains.