Crise du logement : pour s’en sortir, écouter les maires, mais surtout les entendre
Pour s’en sortir, écouter les maires, mais surtout les entendre
Près de 400 000 nouveaux logements par an. C’est ce qu’il faudrait en France pour faire face aux évolutions démographiques d’après une étude réalisée par Gérard François Dumont, professeur émérite de l’Université de la Sorbonne à Paris et directeur de la revue bimestrielle Population & Avenir. Son analyse : un risque de déficit de 850 000 logements en 2030 au niveau national. Il alerte, en outre, sur « les disparités territoriales qui augmentent et le risque de tension accrue dans certaines régions : en Occitanie, en Bretagne, dans les Pays de la Loire, en Nouvelle-Aquitaine et en Auvergne-Rhône-Alpes principalement ».
4,1 millions de mal logés, 300 000 sans domicile, plus de 1 600 enfants dans la rue sans solution d’hébergement d’après l’Unicef. Crise du logement. Cela fait des années que l’expression s’invite dans les colloques, tables rondes et autres conférences et, finalement, si peu au plus haut niveau de l’État. Et pourtant, son rôle est bien de créer l’environnement favorable à la mise sur le marché de biens en quantité et qualité, là où sont les besoins ; une revendication légitime de l’ensemble des acteurs, particulièrement nombreux dans ce secteur : promoteurs, constructeurs, bailleurs sociaux,… sans compter les entreprises du bâtiment mais aussi les banques, incontournables, avec des crédits accordés à l’immobilier de plus de 200 milliards chaque année et un encours brut de crédits supérieur à 1 200 Md€ en janvier 2023 selon la Banque de France.
Quatre principes fondamentaux
Au lieu de s’améliorer, la situation ne fait qu’empirer. Malgré les discours, on assiste depuis plusieurs années à une baisse de la production, qu’il s’agisse de location ou d’accession : rien que sur le secteur du logement HLM qui loge 11 millions de personnes, nous sommes passés de 126 000 en 2016 à 95 000 en moyenne sur les trois dernières années, quand la demande, elle n’a cessé d’augmenter – mais pour rappel, les deux tiers des Français sont, de par leurs revenus, éligibles au logement social…. À l’heure où le Gouvernement semble vouloir se préoccuper du sujet, reconnaître la nécessité d’agir et réfléchit à décentraliser la politique du logement, il nous paraît utile de rappeler quatre principes fondamentaux.
Notre pays a besoin de construire du neuf, de rénover de l’ancien, de remettre sur le marché des logements vacants. Investisseurs institutionnels, investisseurs privés et bailleurs sociaux ont chacun leur rôle à jouer et doivent y être encouragés financièrement et fiscalement. Le tout ne pouvant se faire sans la complicité des élus locaux, au premier rang desquels les maires. Ce sont eux qui évaluent leurs besoins, élaborent les plans locaux d’urbanisme, délivrent les permis de construire (ou de démolir), font le lien entre les porteurs de projets et les multiples intervenants, dont les services de l’État (DDTM, ABF…) et ont à répondre aux entreprises qui éprouvent des difficultés à loger leurs salariés. Enfin, il convient d’acter le fait que d’un territoire à l’autre, les besoins diffèrent et que cet « environnement favorable » auquel les élus locaux aspirent, reste à créer par les pouvoirs publics, en tenant compte des spécificités locales.
Or les maires, à travers l’association des maires de France (AMF), se sont exprimés à plusieurs reprises et ont fait des propositions au Gouvernement pour produire plus et mieux, favoriser les parcours résidentiels, accompagner la mobilité géographique et professionnelle, adapter les logements tout au long de la vie. S’agissant du foncier, la demande de libération de terrains appartenant à l’État ou à la SNCF est ancienne et se fait à petite dose : le dernier bilan des cessions des biens de l’État et de ses établissements publics en faveur du logement à l’échelle nationale date de 2019. On comptait alors 71 cessions dont 13 seulement ayant fait l’objet de décotes.
Mais le pire est à venir avec l’impact de l’article 191 de la loi Climat et résilience qui impose aux communes (ou intercommunalités, ou pays, ou Régions, on ne sait toujours pas !) de ne consommer entre 2021 et 2031 que la moitié des surfaces consommées entre 2011 et 2021 (zones d’activités économiques et d’habitat confondues).
Maîtriser les impacts de la densification
La rareté du foncier renchérit inéluctablement son coût. Si l’on y ajoute l’augmentation observée depuis plusieurs mois des taux d’intérêt qui avoisinent les 4 %, on comprend aisément le recul net de l’accession à la propriété chez les primo accédants. Si les maires ne contestent pas la nécessité de veiller au rythme de la consommation foncière pour préserver les terres agricoles – maire de Vitré, dans un bassin agricole et alimentaire, j’y suis personnellement extrêmement sensible – ils sont une majorité à vouloir maîtriser les impacts de la densification et travailler à son acceptabilité.
Plus encore, les élus locaux ont parfaitement conscience de la nécessité de lutter contre la vacance des logements et veulent soutenir la rénovation de l’habitat… à condition d’en avoir les moyens, ce qui n’est pas vraiment le cas ces dernières années. Pour mémoire, la suppression de la taxe d’habitation et désormais de la CVAE, qui supprime le lien à l’habitant et l’entreprise, le refus du Gouvernement d’indexer la dotation globale de fonctionnement sur l’inflation, sont autant d’atteintes à l’autonomie financière des communes. Et pourtant, il conviendrait de lancer un grand plan de soutien à la rénovation énergétique du parc social bien sûr, mais aussi privé, au risque de les voir interdits de location en 2028 et, in fine, de réduire toujours plus le nombre de biens accessibles.
Qui aider : la pierre ou la personne ?
S’agissant du financement du logement et de la fiscalité immobilière, une révolution n’est-elle pas à opérer pour plus de lisibilité, plus de visibilité, plus d’efficacité ? Ne doit-on pas se reposer la question de savoir qui aider : la pierre ou la personne ? Pour mémoire, l’État finance le logement à hauteur de 38 Md€ auxquels il convient d’ajouter la contribution d’Action Logement (qui finance par exemple 80 % des 12 Md€ de l’Anru 2…) mais la fiscalité du logement, c’est 88 Md€ (TFPB, DMTO, impôts sur les revenus immobiliers, taxes d’urbanisme… ! Zonages, conditions de ressources, exonérations et abattements, QPV, ZRR… autant de balises qui ont tellement évolué au fil du temps et qui ont été si peu évaluées, qu’elles sont sans doute à l’origine des tristes constats que nous faisons collectivement. Quand sera-t-il mis fin à l’empilement législatif et réglementaire qui complexifie, sur administre et au final, paralyse la production ? Là encore, c’est une attente forte des élus locaux qui sont aux premières loges.
Le Gouvernement s’interroge sur un nouvel acte de décentralisation. Il évoque la compétence « partagée » qu’est le logement. Nous y sommes prêts. Mais il faudra accepter de changer de paradigme, d’écouter l’ensemble des acteurs mais surtout d’entendre ceux qui façonnent les villes et les villages : les maires.
Isabelle Le Callennec
Présidente du Comité des Maires et des élus
Maire de Vitré
Conseillère régionale de Bretagne
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