Bruno Retailleau : « Il ne pourra pas y avoir d’accord si notre texte est dénaturé »
« Aujourd’hui, le seul texte qui existe est celui des sénateurs, voté par les deux tiers de notre assemblée, bien au-delà de la majorité sénatoriale », estime le président du groupe Les Républicains au Sénat.
Un accord est-il possible entre la droite et la majorité en commission mixte paritaire, lundi ?
Je le souhaite pour les Français et pour notre pays. Dimanche soir, je me rendrai à Matignon pour une dernière réunion avec la première ministre, avec un double sentiment : un sentiment d’urgence d’abord, parce que le chaos migratoire a mené la France au désordre et au communautarisme. Avec un sentiment de gravité, aussi. Une lourde responsabilité pèsera sur les épaules des sept sénateurs et des sept députés qui la composent. Il faudra laisser les petits calculs politiciens au vestiaire. Aujourd’hui, toutes les grandes démocraties européennes durcissent leur législation sur l’immigration. Celles qui ne le font pas subissent la victoire des démagogues, comme on a pu le voir aux Pays-Bas. Pour toutes ces raisons, je souhaite, non pas un texte d’équilibre, mais un texte clair et fort pour diminuer drastiquement l’immigration.
Quelles exigences poserez-vous sur la table, dimanche ?
Le temps de la décision est venu. Ce que j’attends, ce n’est pas une énième négociation mais de savoir si la majorité présidentielle est capable de faire preuve de courage. Ce projet de loi sur l’immigration est le texte de la dernière chance avant la fin du quinquennat. Je vois bien les tensions internes qui tiraillent l’aile droite et l’aile gauche du camp présidentiel. Mais je pense que ceux qui ont l’intérêt national chevillé au corps doivent se rallier à un texte de fermeté. Aujourd’hui, le seul texte qui existe est celui des sénateurs, voté par les deux tiers de notre assemblée, bien au-delà de la majorité sénatoriale. Alors qu’on ne vienne pas me dire qu’il est « invotable » !
Concrètement, quelles sont les mesures sur lesquelles vous ne transigerez pas ?
Nous n’accepterons ni marchandage ni saucissonnage. Il est temps pour l’exécutif de se décider. La logique du texte du Sénat est simple : moins de régularisations et plus d’expulsions. Nous ne pourrons pas trouver un accord si on ne réduit pas drastiquement l’attractivité du modèle social français, véritable pompe aspirante. Il faut donc réformer l’aide médicale de l’État et nous exigeons que ce sujet soit traité dans ce texte ou dans un texte inscrit en tout début d’année : ce n’est pas le vecteur qui m’importe mais le résultat. Il faut également réduire les prestations sociales pour les étrangers, d’autant plus que les Français ont le sentiment de payer très cher pour les autres. Sur les allocations familiales par exemple, la marge de négociation pourrait être de différencier les étrangers qui travaillent et cotisent de ceux qui ne travaillent pas et ne cotisent pas. Mais nous ne renoncerons pas au signal qui doit être envoyé : la solidarité française se mérite dans la durée ; une aide n’est pas un dû.
Qu’en est-il de l’article prévoyant l’inscription des clandestins dans les métiers dits « en tension » ?
Entre la droite et la majorité, il n’y aura pas d’accord si le texte comporte un droit opposable à la régularisation pour les clandestins. Ce serait une prime à la fraude et un appel d’air que nous n’accepterons pas. Par conséquent, l’article 4bis, tel qu’il a été écrit par le Sénat, doit rester intact. Sur ce point, comme sur d’autres, nous serons intransigeants.
Quelles sont vos autres exigences ?
S’agissant des expulsions, nous avons voulu aller plus loin que ce que Gérald Darmanin avait proposé : il faut lever l’ensemble des protections dont bénéficient les individus dangereux, mais il faut aussi renforcer les mesures judiciaires pour que ceux qui sont expulsés soient interdits à tout jamais d’entrer sur le territoire français. Par ailleurs, nous exigeons le rétablissement du délit de séjour irrégulier. Pour nous, c’est fondamental car on ne viole pas nos frontières impunément. Sur le droit d’asile, enfin, nous tenons à ce que l’article 4, qui facilite l’accès au marché du travail aux demandeurs d’asile, soit supprimé comme il l’a été au Sénat. Sinon, nous serions le seul pays européen à accorder le droit aux demandeurs d’asile de travailler dès le premier jour. Cela enverrait un message désastreux aux filières de passeurs et aux mafieux. Nous devons envoyer un signal clair : nous voulons réduire les flux migratoires et non accueillir plus d’immigrés.
Élisabeth Borne vous semble-t-elle disposée à répondre aux exigences de la droite ?
Dans son camp, certains disent que le texte serait trop à droite. Mais je leur demande d’ouvrir les yeux : une écrasante majorité de Français veut moins d’immigration. Je sens chez la première ministre une volonté d’avancer. Élisabeth Borne est une femme de gauche, mais elle a le sens de l’État. Cependant, je vois bien aussi qu’elle est contrainte par les divisions de sa majorité. Je le dis aux macronistes : notre responsabilité à tous est immense. Il s’agit de faire une loi qui permette à la France de reprendre le contrôle sur des choix migratoires qui nous ont totalement échappé. Voilà ce que nous demande une immense majorité de Français, de droite comme de gauche.
Quels sont les points de frictions ?
Une bonne partie de nos échanges a porté sur le code de la nationalité. Selon nous, il y a des mesures essentielles à inscrire dans la loi. D’abord, on ne peut pas devenir français par hasard. Les jeunes qui sont nés de parents étrangers devraient avoir l’obligation, avant leur majorité, de manifester leur volonté de devenir français et donc leur attachement à la France. Il y a une panne de l’assimilation : il faut réarticuler la nationalité administrative et la nationalité du cœur. Nous voulons également la déchéance de la nationalité pour les binationaux condamnés pour meurtre d’une personne dépositaire de l’autorité publique. Sans tous ces points évoqués ici et plus haut, j’estimerai que le texte du Sénat est dénaturé et que, par conséquent, il ne pourra y avoir d’accord.
Bruno Le Maire estime qu’il faut « reprendre la version du Sénat ». Quelle lecture faites-vous de cette déclaration ?
Le ministre de l’Économie a exprimé un point de vue de bon sens : le texte issu de la CMP doit serrer au plus près celui du Sénat. Bruno Le Maire m’a appelé et j’ai pris sa déclaration comme un signal positif venant de l’Élysée !
Dans une lettre à Emmanuel Macron, vous venez de réclamer une nouvelle fois une révision constitutionnelle sur la question migratoire. En faites-vous un préalable à tout accord ?
Au moment où s’engagent les ultimes discussions, nous voulons rappeler au chef de l’État son devoir de protéger les Français. Pour cela, il faut modifier la Constitution sur deux points essentiels : permettre un référendum et créer un bouclier constitutionnel afin de ne plus subir les dérives jurisprudentielles des cours suprêmes, et notamment européennes. Car celles-ci ont fini par conférer une sorte de droit migratoire opposable, pour tous les êtres humains qui souhaitent émigrer dans le pays de leur choix. C’est pourquoi je me bats pour que le texte actuel soit le plus ferme possible, mais même si nous y arrivons, il devra être complété par une réforme constitutionnelle.
Le chef de l’État a écarté toute idée d’élargissement du référendum lors des deuxièmes Rencontres de Saint-Denis. Peut-il encore changer d’avis ?
J’ai beaucoup de mal à décrypter la ligne politique changeante d’Emmanuel Macron. C’est une ligne anxiogène, une ligne du « en même temps » qui n’offre aucune stabilité, aucun repère durable.
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