Bruno Retailleau : « Derrière la censure médiatique de CNews, la cassure démocratique »
Après la décision du Conseil constitutionnel sur la loi immigration, l’arrêt du Conseil d’État sur CNews révèle une inquiétante tendance à balayer les aspirations majoritaires des Français en tordant les principes juridiques, estime le président du groupe LR au Sénat.
Le Conseil d’État est-il en train de se muer en censeur d’État ? On peut le craindre, tant sa décision envers la chaîne CNews est un nouvel exemple de la dégradation du rapport qu’entretiennent certains, dans nos institutions, avec la liberté.
Car personne n’est dupe : en exigeant que les chroniqueurs et les animateurs soient catalogués par courant de pensée, dans la logique de comptabilisation des temps de parole des invités politiques, c’est bien le principe de la liberté éditoriale des médias que vient remettre en cause la plus haute juridiction administrative de notre pays, au nom – paradoxe suprême – de la pluralité des opinions.
Pire, si le principe est contestable, sa pratique le sera plus encore : qui jugera de l’appartenance de tel éditorialiste à tel courant de pensée ? Et selon quels critères ? Car c’est un fait qu’au royaume du politiquement correct, la frontière est de plus en plus mince entre la classification des opinions et le délit d’opinion ; qualifier quand on se croit du bon côté, c’est presque toujours disqualifier.
Le problème, c’est que cette dérive appauvrit tout ce qui fait la richesse de la pensée humaine et le sel de la conversation civique. Où le Conseil d’État aurait-il donc catalogué Charles Péguy, socialiste revendiqué et conservateur enflammé ? L’obsession des étiquettes en dit souvent bien plus sur ceux qui les collent que sur ceux qui en sont affublés.
C’est d’autant plus vrai que cette décision ne doit visiblement rien au hasard. D’abord parce qu’elle intervient après que l’ancienne ministre de la Culture a évoqué, par deux fois, la possibilité de ne pas renouveler la fréquence de CNews. Comment, dès lors, ne pas s’interroger sur l’existence d’une offensive coordonnée contre cette chaîne, alors même qu’elle bat des records d’audience ? Ensuite parce qu’elle s’inscrit dans un mouvement plus large visant à engrillager les expressions : on se souvient de la loi Avia et du combat gagné par le Sénat pour empêcher que les Gafam ne se transforment en relais numériques de la pensée unique. Ces coups de boutoir contre la liberté audiovisuelle sont d’autant plus inquiétants qu’ils sont le plus sûr moyen d’alimenter les délires sur les réseaux sociaux : si nos concitoyens ne trouvent plus d’espaces de liberté dans les médias traditionnels, ils iront les chercher ailleurs, sur des plateformes où pullulent les complotistes de tout poil. Quand la liberté d’information régresse, la désinformation progresse. Et, avec elle, le risque d’une véritable sécession.
Car derrière la censure médiatique se profile la menace d’une cassure démocratique. Il n’est en effet pas anodin que cette décision du Conseil d’État intervienne quelques semaines après celle du Conseil constitutionnel sur la loi immigration : dans les deux cas, les aspirations majoritaires de nos concitoyens sont balayées au nom d’une torsion pour le moins créative, sinon partisane, de la législation. J’en veux pour preuve la déclaration du président de l’Arcom lui-même, qui affirmait le 14 décembre dernier devant l’Assemblée nationale : « La loi ne prévoit en aucune façon la comptabilisation du temps de parole des éditorialistes. Je ne connais pas une seule démocratie qui demande aux médias de communiquer à un régulateur la liste de leurs éditorialistes »!
Dès lors, comment s’étonner du fossé qui s’élargit entre les Français et leurs institutions ? Que peuvent en effet penser nos compatriotes effarés par le chaos migratoire, quand le juge constitutionnel refuse que notre pays se donne les moyens pour y mettre un terme ? Que peuvent encore espérer de l’Europe nos agriculteurs et nos pêcheurs, quand chaque décision de Bruxelles les écrase sous toujours plus de normes absurdes et de concurrence déloyale ? Que peuvent attendre de la justice nos concitoyens apeurés par l’ensauvagement généralisé, quand le Syndicat de la magistrature victimise les casseurs de Soulèvements de la Terre et appelle officiellement à la désobéissance des forces de l’ordre ?
Je n’ai jamais cédé au discours anti-élitaire des démagogues : pour se diriger, un pays a besoin de dirigeants. L’aplatissement des hiérarchies est une revendication adolescente, qui commence dans la médiocrité et qui finit dans l’anarchie. Mais Montesquieu avait décidément raison : « pour faire de grandes choses, (…) il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux ». Et il faut être aveugle pour ne pas voir qu’aujourd’hui de nombreuses institutions donnent le sentiment aux Français d’agir non pas avec eux, mais contre eux ; contre leurs choix et même contre leurs droits d’exprimer librement leurs opinions.
Et c’est pourquoi je mets en garde ces nouveaux procureurs sont les fauteurs de troubles à venir. Car si l’époque a engendré des Trump et des Bolsonaro, c’est bien parce que leurs peuples se sont convaincus que seule la radicalité pouvait trancher le nœud coulant qui étrangle leurs aspirations à penser ce qu’ils pensent, à aimer ce qu’ils aiment et à demeurer ce qu’ils sont. Alors pour tout cela, sur les plateaux de télévision comme partout ailleurs : vive la liberté !
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