Bernard Carayon : « La défense est l’affaire des États, pas de la Commission européenne ! »
En envisageant de créer un poste de commissaire à la Défense, doté d’un budget et d’une agence passant les commandes de matériels directement auprès des industriels, Bruxelles sort de son rôle, s’inquiète Bernard Carayon, conseiller politique des Républicains et maire de Lavaur (Tarn).
La guerre en Ukraine rappelle aux Européens que leur défense a un prix et que la paix n’est qu’un moment provisoire dans l’histoire de l’humanité. Elle est « la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même », disait de Gaulle. Ce n’est pas un hasard si une provocation présidentielle a suscité chez nos partenaires un recul immédiat teinté d’effroi : payer, un peu, oui, mais combattre les Russes, s’en remettre à l’autre pour décider de son destin et mourir pour Kiev, non. Le président ne pouvait délivrer de pire message pour désespérer les uns et encourager les autres.
La défense et la politique étrangère s’invitent aux élections européennes. La première, en violation des traités, la seconde en violation du bon sens : la diplomatie bruxelloise n’a été brillante que pour régler, avec le Brexit et Michel Barnier, un problème interne à l’Union.
Il faut maintenant être sérieux.
La défense est l’affaire exclusive des exécutifs nationaux, sous contrôle de leurs Parlements. Or Bruxelles, avec sa méthode éprouvée des « petits pas » et sa théologie de la « construction » permanente, veut créer un poste de commissaire à la Défense, doté d’un budget, puis d’une agence passant les commandes de matériels directement auprès des industriels. Avec l’ambition inavouée de réguler le marché européen et de tourner le dos définitivement à l’Europe des États-nations.
Avec la PAC, la Commission avait acheté les agriculteurs au prix de l’ouverture des marchés et d’innombrables distorsions de concurrence. La Commission, cette fois, veut imposer à nos industriels des « circuits courts » et contrôler leurs exportations alors que sa diplomatie est fantomatique. Les nôtres n’ont comme clients que des États extérieurs au continent européen, puisque, en Europe, prévaut la préférence américaine, comme l’illustrent les achats des Européens (65%) depuis des décennies et plus encore depuis la guerre en Ukraine. Nos ventes, au deuxième rang mondial, bénéficient d’un accompagnement de l’État, parce que ces affaires-là doivent rester discrètes, aussi longtemps que cela est nécessaire pour des raisons politiques et commerciales, avec des compétiteurs très durs, les États-Unis, la Chine et la Russie.
Ce marché ne sera jamais un marché libre et ouvert selon les désirs de la Commission. C’est pourquoi il faut exclure définitivement les entreprises de défense de la taxonomie européenne qui interdit aux banques occidentales leur financement. Sinon, c’est toute la sous-traitance française – des centaines de PME-PMI – qui se trouverait asséchée.
Le commissaire Breton a proposé la création d’un fonds de défense de 100 milliards d’euros destiné à ces achats, réduit à trois mois des élections à 1,5 milliard pour ne pas ouvrir un débat houleux. Mais le commissaire « progressiste » au Marché intérieur a déjà pris l’attache des industriels, court-circuitant les États. La Commission cherche à étendre sa connaissance des investissements à l’étranger des dites entreprises. Un prélude à son ambition de contrôler les exportations militaires à la place des États pour les programmes qu’elle financerait en tout ou partie. Dire que c’est indécent est une litote.
Ce n’est pas pour autant qu’il faut s’interdire tout effort. Mais celui-ci ne peut être que national, pour des raisons à proprement parler démocratiques, en souvenir aussi des échecs cuisants de la Commission chaque fois qu’une crise survient : crise financière, migratoire, épidémique, sino-américaine, incapacité à imposer puis homogénéiser sur le continent le filtrage des investissements extra-européens, même non désirés.
Les États doivent affirmer la préférence européenne et la règle de réciprocité dans les marchés publics. Commençons avec notre fournisseur principal : les États-Unis.
Les dépenses d’équipement militaire et d’intervention extérieure au service d’un intérêt commun doivent être exclues des critères de Maastricht en matière de déficit.
Les États doivent coordonner leurs achats à l’aune de leurs besoins et de leurs compétences. Si un fonds devait être créé, pas un euro ne doit être dépensé pour un matériel non européen. Et si un autre fonds doit être mobilisé, que ce soit alors la Facilité européenne pour la paix, l’instrument qui finance les matériels de guerre pour l’Ukraine. Avec pour seuls interlocuteurs : les États. Il serait invraisemblable que le Parlement européen, les ONG et les lobbys anglo-saxons se mêlent de nos affaires.
Les difficultés de la coopération industrielle au sein du « couple » franco-allemand soulignent déjà la nécessité de faire prévaloir l’intérêt national. Quand nous parlons du Système de combat aérien du futur, pas même mentionné dans l’accord de coalition de 2021, notre voisin achète des avions de combat F35 et des avions de patrouille maritime américains.
Le projet d’Eurodrone, conçu comme une réponse au Reaper américain, accumule les retards et les surcoûts. Et nul ne peut prédire ce qui adviendra du char du futur.
Enfin, sans prévenir Français et Italiens engagés dans une version européenne du Patriot, les Allemands lancent avec les États-Unis et Israël un projet de bouclier antimissile, occultant le sujet de la dissuasion nucléaire française.
Oui, restons sérieux. La défense en Europe est l’affaire des seuls États et ne peut être efficace que par la conjugaison et la complémentarité d’intérêts nationaux. La Commission ne peut en être ni le juge, ni même l’arbitre.
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