Michel Barnier : « Nous allons accélérer la mise en place du pacte asile et immigration »
Six semaines après sa nomination, Michel Barnier revient sur ses arbitrages budgétaires et avertit que le plus difficile reste à venir pour ramener le déficit à 3 % d’ici 2029. Le Premier ministre annonce également la préparation d’un projet de loi, confié au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.
Depuis qu’il avait reçu le JDD, quarante-huit heures après sa nomination, Michel Barnier a ajouté une photo à la décoration sobre de son bureau. De Gaulle accueillant le chancelier Adenauer sur le perron de l’Élysée est toujours là, de même que la photo prise lors de sa rencontre avec le pape ; une nouvelle s’est ajoutée : celle d’un Michel Barnier jeune, pendant les Jeux olympiques d’hiver à Albertville, au milieu d’une foule de supporters qui agitent un drapeau français. Entouré de son directeur de cabinet Jérôme Fournel et de son conseiller en communication Antoine Lévêque, le Premier ministre rétablit ses lignes rouges à l’issue d’une semaine d’examen du budget par la commission des finances. De retour d’un déplacement à la frontière italienne, il précise les contours du projet de loi immigration confié à Bruno Retailleau. Calmement, mais fermement, dans son style très flegmatique, Michel Barnier revient sur les menaces de démission de certains de ses ministres et se montre intraitable sur le respect des institutions. Il appelle les ministres – et les Français dans leur ensemble – à respecter la personne du président de la République, avec lequel il « s’entend bien ».
Le sud-est de la France et la vallée du Rhône ont été durement touchés par les intempéries, avec des conséquences terribles pour leur population. Ces événements se répètent, et souvent les systèmes d’alerte ont un temps de retard. Sommes-nous suffisamment vigilants et efficaces ?
Personnellement, j’ai cette culture du risque depuis très longtemps. J’ai notamment publié en 1992 un atlas des risques majeurs dans le monde face aux catastrophes naturelles. Je pense que nous ne sommes jamais assez bien préparés. De la même façon qu’il faut garder la mémoire des événements survenus par le passé, nous devons, sur ces sujets, maintenir une vigilance permanente. Je veux exprimer tout mon soutien ainsi que la solidarité du pays à l’égard de toutes les personnes traumatisées par cette épreuve. J’adresse tous mes remerciements aux forces de sécurité, aux élus locaux, aux pompiers, à tous les agents qui ont permis d’éviter qu’il n’y ait des victimes. Nous sommes maintenant au-delà de la solidarité immédiate qui s’exerce, dans l’évaluation des dégâts. La déclaration de catastrophe naturelle de toutes les communes concernées sera prise rapidement. Et il faut ensuite des actions structurelles.
Comment peut-on améliorer nos systèmes de protection et d’anticipation face à des phénomènes qui se répètent et s’amplifient ?
On peut agir, heureusement. D’abord en s’adaptant. Nous présenterons très prochainement notre plan national d’adaptation au changement climatique, que j’ai annoncé il y a un mois comme une priorité. Il comprend des mesures concrètes et des moyens pour anticiper, se préparer et réparer. Par exemple via l’habitat résilient, ou en préservant les sols fragiles ou les forêts. Il faut mobiliser pour cela des financements de l’État. Par exemple, le fonds dit « Barnier » créé il y a trente ans pour déplacer des constructions soumises à un risque certain ou récurrent. J’y travaille aussi depuis longtemps, et le gouvernement souhaite faire aboutir la proposition d’une véritable « force européenne de protection civile ». Avec un système de double flexibilité : chaque Etat décide d’y participer et choisit parmi les risques identifiés – incendies, crues, catastrophe industrielle ou nucléaire, tsunami, grande pandémie, etc. Le Portugal, par exemple, pourrait choisir « à la carte », deux types d’intervention : les grandes catastrophes maritimes type Erika et les incendies. La France pourrait considérer qu’étant concernée par toutes les catastrophes potentielles, elle s’engage sur tous les types d’intervention. Au total, on doit continuer, chez nous, de ménager le territoire plutôt que de l’aménager, en respectant les zones d’épandage des crues, en surveillant les risques et en entretenant les forêts.
Dans votre budget néanmoins, certains acteurs s’inquiètent de moyens revus à la baisse, c’est le cas de l’Office national des forêts…
Demander aux directions des organismes de l’État, aux collectivités de faire des efforts, et en fait d’être plus efficaces, est normal et ne signifie pas qu’il faille le faire sur les acteurs de première ligne. Nous continuerons de protéger et de privilégier les services publics qui sont au service des gens, dans la santé, l’éducation, la sécurité.
La situation économique de la France semble fragile, la consommation est atone, les défaillances d’entreprises à la hausse, l’investissement est à la peine… Cela vous inquiète-t-il ?
Je ne suis pas aussi pessimiste que vous. Nous bénéficions d’un taux de croissance de 1,1%, et l’inflation continue de baisser, tout comme les taux d’intérêt. Certains secteurs – le bâtiment, le logement, l’automobile – sont en difficulté, et je ne sous-estime pas les risques de perte d’emploi dans ces domaines d’activité. Mais nous allons faire face, sur le logement, par exemple, qui est un levier de croissance très important, immédiatement mobilisable, avec notamment la mise en place du prêt à taux zéro étendu à tout le territoire pour les primo-accédants. Le président de la République a réuni le secteur automobile la semaine dernière, à la veille du Salon de l’automobile, et nous allons aussi agir fortement sur ce sujet au plan européen. Ce qu’il faut maintenir à tout prix, parce que c’est une des clés de la croissance et de l’investissement, c’est la stabilité et le cap en faveur de la compétitivité de notre économie. Si cette stabilité et ce cap sont remis en cause, cela suscitera des craintes et freinera l’investissement. Je souhaite que le gouvernement, à travers le budget, garantisse des conditions stables pour encourager les acteurs économiques à investir. C’est pourquoi, dans le cadre du débat parlementaire, nous serons attentifs aux amendements qui préservent ou améliorent la compétitivité et, plus largement, l’activité économique. Car il faut que les choses soient claires : l’effort dont chacun doit prendre sa part ne peut pas se transformer en « concours Lépine » fiscal.
Précisément, l’OFCE pointe dans votre budget une hausse de la fiscalité, préjudiciable selon elle à la croissance et à l’emploi ; 130 000 destructions potentielles l’année prochaine.
Je pense que l’effort que nous demandons aux très grandes entreprises bénéficiaires et aux contribuables aux revenus les plus élevés est raisonnable et juste. Cela ne devrait pas compromettre la dynamique qui a été créée positivement sous l’impulsion du président de la République depuis sept ans et qui est à mettre à son actif. Le pays a retrouvé une dynamique de croissance et d’attractivité. Nous sommes devenus plus compétitifs. Mais dans l’urgence où nous sommes, nous n’avons pas d’autre choix que de réduire la dépense publique et le déficit. Je rappelle que la dette atteint 3 250 milliards d’euros et que nous payons cette année 56 milliards d’euros pour la seule charge de nos intérêts. Cela veut dire 800 euros par Français, quel que soit son âge. Ce n’est plus supportable. D’autant plus que cela constitue une fragilité majeure pour notre pays en matière de crédibilité, et donc pour notre capacité à emprunter à des taux raisonnables. Si nous n’agissons pas résolument, chacun doit comprendre que nous paierons en intérêts d’emprunt le double des économies que nous n’aurons pas eu le courage de faire !
Certains dans la majorité redoutent néanmoins que le rabotage des allègements de charges sur les bas salaires n’entraîne une remontée du chômage en fragilisant les TPE et PME.
Je ne le crois pas. Je rappelle que ces allégements, outre leur coût pour les contribuables, encouragent les trappes à bas salaire en gelant pour partie les hausses de rémunération. Les syndicats, et parfois le patronat, nous demandent régulièrement de rendre ces dispositifs plus dynamiques. Il faut adapter ce dispositif tout en le préservant. Il en va de même pour la politique d’apprentissage qui est une très belle réussite de ces dernières années et que nous voulons consolider tout en adaptant le soutien public qu’elle reçoit.
Lors de l’examen du budget en commission, les députés – MoDem notamment, qui font partie de votre socle – ont appuyé sur la hausse de la fiscalité en pérennisant la contribution des grandes entreprises ou en alignant la fiscalité des assurances-vie sur celle des successions. Vous les suivrez ?
Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Au moment où je vous parle, le débat va commencer la semaine prochaine. Nous faisons le pari de laisser la discussion se dérouler à l’Assemblée nationale. Ensuite, elle aura lieu au Sénat. Naturellement, je serai vigilant à ce que l’équilibre général du budget soit préservé. Je ne veux pas qu’on alourdisse la fiscalité au-delà de l’effort temporaire que nous avons demandé à certaines grandes entreprises et aux contribuables les plus aisés. Et je m’engage à ce qu’aucune taxe temporaire, dictée par les circonstances, ne devienne permanente. C’est à cette seule condition que les contribuables à qui l’on demande un effort supplémentaire accepteront de le faire. J’en suis conscient. J’ajoute que c’est un peu frustrant pour un Premier ministre de devoir présenter des mesures défensives et dans une telle urgence. Si on ne faisait rien, le déficit risquait d’atteindre 7 %, malgré les annulations de crédits et les réductions de budget que le gouvernement de Gabriel Attal avait déjà décidées. Mais ça ne suffit pas pour réduire à 5 % le déficit en 2025. Dans un second temps, au-delà de l’urgence, je souhaite placer l’action du gouvernement dans une perspective plus longue en inscrivant ce budget dans une trajectoire de réformes allant jusqu’à 2029.
La commission des finances a rejeté le texte, profondément remanié, incluant de très fortes hausses d’impôts proposées par la gauche. Quel regard portez-vous là-dessus ?
Il faut être cohérent avec ses valeurs. Avec l’adoption des amendements du NFP qui ne s’articulaient même pas entre eux, le texte était devenu insoutenable. Des dizaines de milliards d’impôts supplémentaires conduiraient à fragiliser nos entreprises et le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Les citoyens méritent du sérieux et de la responsabilité.
Le report de six mois de l’indexation des retraites est un point dur pour Les Républicains, le RN et Ensemble pour la République. Pourriez-vous revenir dessus ?
Nous regardons avec les parlementaires ; comment ajuster cet effort et mieux protéger les plus petites retraites ? Nous sommes ouverts à une discussion sur cette question. Je comprends le souci. Je sais que les retraites sont parfois très faibles. Néanmoins, elles ont bénéficié d’un coup de pouce important en janvier dernier. L’inflation baisse fortement par ailleurs. Je le redis : tout le monde va devoir se retrousser les manches parce que c’est l’intérêt du pays. On ne peut plus tirer des chèques en blanc, ou en bois, sur le dos de nos enfants et de nos petits-enfants. Que ce soit sur le plan financier ou sur le plan écologique.
Avez-vous l’intention, en cas de dérive trop excessive par voie d’amendements du cadre budgétaire que vous avez fixé, d’écourter les débats en passant par l’article 49.3 ?
Ces textes financiers constituent bien plus qu’une simple formalité administrative : ils représentent une base solide de discussion, un terrain sur lequel chaque groupe parlementaire, chaque député, peut apporter sa contribution. Ces lois budgétaires fixent les dépenses publiques et les recettes fiscales. En cas de blocage parlementaire, retarder l’adoption du budget pourrait paralyser l’action publique, compromettre la gestion des finances de l’État et mettre en danger la crédibilité financière de la France. Le 49.3 permet ainsi d’éviter un blocage.
Vous évoquiez les budgets à venir, il faut s’attendre à des mesures plus structurelles. Vous attaquerez-vous par exemple à la réduction du nombre de fonctionnaires qu’aucun gouvernement n’a réussi à enclencher depuis la présidence de Nicolas Sarkozy ?
Cet objectif est central et pose la question de la nécessaire efficacité de la dépense publique. C’est une chose que d’avoir des agents de l’État, des fonctionnaires, des agences ou des opérateurs. Je pense que chacun joue son rôle, et je ne vais pas distribuer des bons ou des mauvais points, mais je pense qu’on peut mieux utiliser l’argent public. Et je regarde aussi autour de nous : nos voisins européens ont beaucoup moins de fonctionnaires que la France et ne semblent pas plus mal administrés pour autant… Oui, nous allons faire des efforts importants pour responsabiliser les directeurs d’administrations centrales, les opérateurs de l’État, sur des économies auxquelles ils seront intéressés. Je vais d’ailleurs me rendre dans chaque ministère, personnellement. Je souhaite m’adresser directement aux agents et cadres de chaque administration, pour les connaître, pour qu’ils m’expliquent comment ils travaillent et leur fixer comme priorité la maîtrise de la dépense publique et une meilleure efficacité. Je le redis : je ne veux pas qu’on touche aux services qui sont en première ligne. Ils seront préservés. Mais notre objectif est, dans les quatre ans à venir, la diminution de 10 % du nombre des opérateurs de l’État.
Sur la question des dépenses sociales, vous avez émis l’idée d’une « allocation sociale unique ». Comment l’envisagez-vous concrètement ?
Il faut simplifier le foisonnement de procédures et d’aides ou d’allocations qui sont toutes liées à des systèmes différents, foisonnement qui crée de la bureaucratie, amène parfois à des confusions et facilite la fraude. Nous allons regrouper toutes ces aides et construire un système dans lequel le travail paie toujours plus que l’allocation. L’allocation pour adulte handicapé ne sera pas concernée. Au bout de la route, nous devrons nous assurer que le montant de cette allocation sociale unique soit inférieur au Smic. Il faut encourager le travail.
Le chantier de la simplification, avec moins de lois, moins de normes fait-il partie de vos objectifs ?
Nous souhaitons en particulier nous attaquer à la surtransposition des règles européennes lorsqu’elle crée pour des agriculteurs, pour des entreprises, un déficit de compétitivité par rapport à nos voisins. J’ai notamment l’idée d’un dispositif – une forme de moratoire par exemple – qui puisse reporter de deux ou trois ans les dates d’entrée en vigueur de réglementations très lourdes, prises parfois sans suffisamment d’évaluation et de mesure d’impact. Dans la période que nous traversons, j’ai conscience des efforts que nous demandons à ceux qui travaillent et qui produisent sans que, en plus, on leur impose des normes et des contraintes déraisonnables. Cela vaut en particulier pour des textes européens comme la directive CSRD dont il convient de réexaminer la portée.
Vous évoquez une prise de conscience européenne « extrêmement forte » sur la question migratoire. En quoi consiste-t-elle ?
Que le Premier ministre polonais, chrétien démocrate, prenne des mesures telles qu’il vient de les annoncer et évoque la pression insupportable de l’immigration en provenance de la Biélorussie et de la Russie est un vrai changement. Que le chancelier socialiste allemand rétablisse des contrôles aux frontières interpelle. Et je pourrais citer d’autres pays comme le Danemark. Il y aune prise de conscience assez unanime, un nouvel état d’esprit européen.
Cela fait pourtant des années que les peuples européens, et certains gouvernements, alertent sur ce sujet et mettent la pression sur les responsables politiques. Vous évoquez une prise de conscience, mais qu’en est-il des actes ?
Nous allons accélérer la mise en place du pacte Asile et immigration qui a été voté il y a quelques mois à peine, en le transposant dans notre loi nationale. Je comprends l’impatience mais je fais confiance au ministre de l’intérieur et à son équipe, comme au gouvernement tout entier, pour transposer ces textes et les compléter afin d’avoir les outils nécessaires à une meilleure lutte contre l’immigration clandestine. Prenez l’exemple de Frontex : il a été décidé un renforcement des effectifs aux frontières de plus de 10 000 agents pour accroître les contrôles à nos frontières extérieures. Nous venons par ailleurs de rétablir des contrôles à nos frontières intérieures.
Qui étaient déjà rétablis depuis 2015…
Oui, en 2015, après les attentats. Je viens de décider de leur prolongation à la frontière italienne notamment, et nous l’élargissons à une partie plus importante de nos frontières.
Vous évoquez ici des décisions nationales qui sont prises au Danemark, en Hongrie, en Italie, en Pologne, en Allemagne et même en France… Reste une question : l’Union européenne permet-elle de prévenir le franchissement de ses frontières extérieures ou devons-nous gérer un flux illégal qui entre de toute façon en Europe ?
A la frontière italienne, j’ai vu une gestion très efficace entre l’Italie et la France, et je suis heureux qu’un climat de coopération soit rétabli avec ce grand pays. Je vais d’ailleurs me rendre à Rome en novembre pour rencontrer Giorgia Meloni. Quant aux frontières extérieures que vous évoquez, il n’y a pas de fatalité. L’application rapide du pacte Asile et immigration doit précisément permettre de renforcer les contrôles et de mieux organiser le traitement des demandes d’asile à partir des frontières extérieures de l’Union.
Giorgia Meloni avait passé un accord avec l’Albanie pour externaliser certaines procédures d’examen de demandes d’asile. Un tribunal italien invoque une jurisprudence européenne pour le remettre en cause. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?
Je ne vais certainement pas commenter des initiatives ou des jugements qui interviennent dans tel ou tel pays.
Vendredi, vous disiez que cette décision italienne n’était pas transposable en France. Parce que vous anticipez une censure juridique ?
Ce centre d’accueil installé en Albanie pour des personnes qui sont recueillies sur des bateaux en Méditerranée est un sujet très spécifique à l’Italie. Je pense en effet que ce n’est pas transposable, y compris d’ailleurs pour des raisons institutionnelles en France, puisque chez nous, la loi prévoit que nous devons enregistrer ces demandes d’asile au cas par cas sur notre sol.
Reprenons la question au niveau européen. Le refoulement aux frontières extérieures est interdit, l’externalisation des demandes d’asile rencontre beaucoup de résistance, et la « directive retour » oblige les États à laisser trente jours aux clandestins pour quitter d’eux-mêmes le pays dont ils viennent de franchir illégalement la frontière. La prise de conscience que vous évoquez n’empêche pas l’interdiction, dans les faits, de prévenir le franchissement illégal de nos frontières ?
La Commission européenne, avec ce nouvel état d’esprit, a décidé elle-même de rouvrir les discussions sur la « directive retour ». Nous allons soutenir cette mesure pour qu’elle soit une des priorités du premier semestre 2025, sous la présidence polonaise. Nous prendrons des mesures également de notre côté, en tirant par exemple les leçons de la mort tragique de Philippine, en allongeant les délais de rétention des étrangers que nous voulons éloigner.
À ce propos, le ministre de l’intérieur a également évoqué la nécessité d’un bras de fer avec les pays d’origine qui rechignent très largement à délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires aux éloignements. Il a évoqué la restriction des visas, de l’aide au développement et même la renégociation des mécanismes de préférence commerciale. Êtes-vous prêt à activer ces leviers ?
Dans le cadre européen, nous pouvons utiliser les mêmes moyens que l’Italie a utilisés avec la Libye ou la Tunisie.
Cela concerne les pays de départ, pas forcément d’origine. Mais comment renvoyer les étrangers frappés par des OQTF ou des interdictions de territoire dans leurs pays qui ne collaborent pas ?
Dans un esprit de dialogue, nous allons prolonger ou reprendre les discussions avec ces pays. On ne le fera pas de manière agressive, mais en mettant à plat tous les outils de la coopération bilatérale.
Vous sentez un dialogue possible ?
C’est dans l’intérêt de tous, à condition de ne pas les mettre en accusation, parce qu’ils ont leurs propres contraintes. Mais il y a des pays proches de la France comme l’Algérie et le Maroc avec qui le dialogue est possible. Et nous pourrons en effet examiner toutes les dimensions, si nécessaire, de la délivrance des visas à l’aide au développement.
Donc les actes concernent la répartition des migrants illégaux en Europe, ou leur éloignement, mais pas leur entrée ?
Oui, les personnes dont on a refusé la demande d’asile doivent repartir. Et les personnes que nous acceptons d’accueillir doivent être mieux intégrées.
Comme Bruno Retailleau aujourd’hui, vous évoquiez en 2021 la nécessité d’un moratoire sur l’immigration, d’un référendum et d’une réforme constitutionnelle. Qu’en dites-vous aujourd’hui ?
Cette proposition valait pour un débat présidentiel avec, à la clé, le soutien des Français pour le temps d’un quinquennat et pour les modifications constitutionnelles qui s’imposent. Il ne vous aura pas échappé que les circonstances sont aujourd’hui différentes… Je n’ai certainement pas oublié ce que j’ai dit, mais les problèmes sont toujours là, et nous allons atteindre nos objectifs d’une manière différente. Tout doit être engagé pour que des progrès concrets soient faits.
Vous avez finalement la même lecture que Bruno Retailleau. Il faudrait une réforme de la Constitution, mais elle est impossible aujourd’hui.
C’est en effet ce que je viens de dire.
Vous évoquez une loi à venir. Y aura-t-il aussi des mesures retoquées par le Conseil constitutionnel dans la dernière loi ? Faut-il par exemple durcir les conditions du regroupement familial ? Questionner les prestations sociales accordées aux étrangers ?
Il va y avoir un projet de loi du gouvernement sur la transposition du pacte. Et nous allons également avancer sur tous les abus et tous les détournements. De manière concrète, en respectant l’État de droit.
Faut-il remettre en cause l’aide médicale d’État (AME) qui continue de faire débat ?
Il doit y avoir une maîtrise des dépenses de l’AME et le gouvernement et le Parlement prendront toutes les dispositions pour que ces dernières ne progressent plus. Il est important de s’assurer que l’AME ne soit jamais détournée de son but, à savoir un outil de santé publique.
Lors de votre discours de politique générale, vous avez parlé d’ouvrir un dialogue d’ici 2025 sur la fin de vie, ce qu’appellent de leurs vœux un nombre important de soignants. Deux jours après, vous parliez de « reprendre le travail au moment où il a été interrompu pour gagner du temps ». Quelle sera finalement la méthode du retour de ce texte au Parlement ?
Nous reprendrons au Parlement le fil de ce qui a fait l’objet d’un débat de grande qualité avant la dissolution. Mais avant de reprendre le débat parlementaire, je souhaite consulter les acteurs, et en particulier les parlementaires, quelles que soient leurs sensibilités, les personnalités qualifiées, les soignants, les associations. C’est à l’issue de cette consultation que nous préciserons le calendrier et les modalités, en nous appuyant sur les travaux de l’Assemblée nationale.
La Nouvelle-Calédonie et plus récemment les Antilles traversent des crises sociales et économiques avec de forts mouvements de revendication. Quelles réponses leur apportez-vous ?
D’abord, je connais le sentiment des Français de ces départements. Je suis très attaché à leur destin et à leur avenir dans la République. Ils sont une chance pour la République et pour la France, sur le plan humain et économique et sur le plan de la recherche. Je veux rappeler qu’énormément de services publics, dont nous parlions tout à l’heure, fonctionnent avec des personnels issus de ces territoires. Qu’il y a sur ces terres des médecins, des chercheurs, des entreprises formidables qui bénéficient à l’ensemble de la société française. Sans parler de tant de médaillés aux Jeux olympiques avec des hommes et des femmes, des jeunes originaires de ces départements et territoires. Et des nombreux atouts en matière de biodiversité marine et forestière qu’entretiennent nos compatriotes des Outre-mer. Je vais essayer, avec les élus locaux et les acteurs économiques et sociaux de ces départements, de proposer un projet d’avenir. Pas seulement pour répondre à des urgences, à des drames qui, pour des raisons différentes, ont provoqué une destruction de 25 % de l’appareil productif de la Nouvelle-Calédonie ou qui créent un sentiment d’injustice ou d’abandon aux Antilles. Pour la Nouvelle-Calédonie, je pense que le temps est venu d’enclencher une nouvelle étape après les accords de Nouméa et les accords de Paris. Le ministre Buffet vient d’achever une visite prolongée d’une semaine complète sur place. Pour montrer l’engagement de toutes les institutions de la République, les présidents des chambres, monsieur Larcher et madame Braun-Pivet, vont s’y rendre ensemble pour une mission de dialogue et d’écoute. Et moi-même, je m’y rendrai. Nous devons bâtir un plan de reconstruction économique et sociale, en incluant l’économie du nickel. Dans l’immédiat et pour faire face aux graves difficultés que subissent actuellement les populations, les collectivités et les entreprises en Nouvelle-Calédonie, j’ai récemment prolongé jusqu’à la fin de l’année les mesures d’urgence ; et nous préparons avec la délégation interministérielle placée auprès de moi et du ministre des Outre-mer des solutions d’accompagnement de certaines initiatives à moyen terme en cours d’élaboration avec les acteurs calédoniens. S’agissant des Antilles, nous venons de répondre, après une longue concertation avec les responsables locaux, à un certain nombre de préoccupations concernant la vie chère. Là aussi, cela mérite une réflexion sur le modèle économique et fiscal de ces territoires.
Emmanuel Macron, cette semaine, a recadré les ministres sur le nécessaire respect de la confidentialité des propos tenus en conseil des ministres. L’approuvez-vous ?
J’ai participé à quatre gouvernements différents sous François Mitterrand, en cohabitation, sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, je travaille aujourd’hui en bonne intelligence et assez simplement avec Emmanuel Macron. Ce qui se dit au plus haut niveau de l’État n’a pas à être rapporté publiquement ni déformé.
Est-ce que vous condamnez la dégradation de la permanence du député RN, David Magnier, la nuit dernière dans l’Oise ?
Je condamne évidemment. Comme je condamne toutes les agressions envers les élus, d’où qu’ils viennent et qu’importe leur sensibilité. Sur ce sujet,le gouvernement aura une tolérance zéro.
Certains ministres menacent de démissionner si leur budget n’est pas rehaussé, d’autres critiquent Bruno Retailleau sur sa trop grande fermeté. N’êtes-vous pas pris en défaut d’autorité ?
J’ai une méthode, un peu différente, qui est celle de faire travailler les gens ensemble. Un de mes prédécesseurs, Georges Pompidou, appelait à une « morale de l’action », en toutes circonstances. La morale de l’action, c’est ma méthode depuis toujours. Je ne vais pas changer aujourd’hui. Elle consiste à accepter les sensibilités différentes dans un gouvernement pluriel qui représente les forces politiques qui le soutiennent. J’essaierai d’ailleurs dans les mois qui viennent d’élargir encore, si je le peux, les sensibilités rassemblées au sein de cette équipe. J’accepte donc cette diversité et les conséquences qu’elle peut avoir, mais je pense que personne ne me fera le reproche ou ne constatera une quelconque faiblesse dans ma manière de gouverner. Tous les ministres connaissent la règle du jeu. Tous les ministres sont informés depuis le premier jour de la difficulté budgétaire dans laquelle nous sommes et de la solidarité dont chacun doit faire preuve. Ça n’a pas vocation à changer. Je continuerai à prendre mes responsabilités. Et les ministres doivent faire de même.
Quelle est votre conception du partage des rôles entre le président de la République et vous, y compris sur l’international ?
Le président préside et le gouvernement gouverne. Je respecte le président. Le respect que l’on doit au chef de l’État qui est élu pour cinq ans est un élément important de la stabilité que j’évoquais tout à l’heure. Sur les questions internationales, j’échange avec le président toutes les semaines, et nous évoquons ces sujets. Il sait que cela m’intéresse. J’ai été ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, puis quinze ans à Bruxelles. Le président sait parfaitement que ce qui se passe au Proche-Orient, en Ukraine, et évidemment en Europe a des impacts diplomatiques importants, mais aussi sur nos entreprises, nos dépenses publiques, les taux d’intérêt, bref, sur la vie quotidienne des Français. Sur les aspects de politique extérieure et de sécurité, les Français peuvent être assurés que nous fonctionnons bien ensemble, et avec le même souci des intérêts de la nation et de la sécurité des Français.
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