Laurent Wauquiez : « Sur l’Ukraine, l’insoutenable légèreté du président »
Laurent Wauquiez réagit aux déclarations d’Emmanuel Macron, qui a affirmé ne pas exclure l’envoi de troupes occidentales au sol contre la Russie.
En évoquant l’envoi de troupes sur le sol ukrainien, ce qui, si on accepte de ne pas se payer de mots, impliquerait une entrée en guerre de la France et des autres pays occidentaux, le président de la République a fait preuve d’une insoutenable légèreté. Il a eu l’imprudence de faire cavalier seul face à une puissance nucléaire. sans s’assurer du moindre appui européen ou américain, à un moment crucial de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La voix de la France est aujourd’hui frappée de discrédit : pour qu’une menace soit prise au sérieux. encore faut-il qu’elle ait au moins l’air d’être sérieuse Aussitôt désavoués par nos alliés, nous offrons à tous les ennemis de l’Occident le spectacle de la division et de l’impuissance.
Cette faute est le symptôme de l’érosion, au fil du temps, de la singularité de la fonction présidentielle. Elle avait été conçue par le général de Gaulle pour défendre, au-delà de toutes les contingences politiques, les intérêts permanents de la nation. En somme, présider la France c’était être en toutes circonstances au rendez-vous de l’Histoire, au milieu d’un monde dur et divisé. On se souvient du jugement sévère de Raymond Aron à l’endroit d’un ancien président : « Son drame est qu’il ne sait pas que l’histoire est tragique. » La conscience du tragique s’est perdue et la fonction présidentielle s’est dénaturée.
Dans les années 1990, ivres de l’effondrement de l’Union soviétique, les Occidentaux ont embrassé une idéologie irénique et béate. Ont été décrétées la fin de l’Histoire, la paix perpétuelle, la démocratie inévitable. Les rapports de force allaient se dissoudre dans le droit, les vieilles puissances communier dans l’universalisme, la mondialisation heureuse convertir le monde entier à nos valeurs les guerres entre nations ou religions appartenir à un temps révolu. Ces billevesées idéologiques ont prospéré dans une Europe assoupie sous le parapluie militaire des Etats-Unis.
Mais voilà: le tragique a fait son retour. C’est déjà la fin de la fin de l’Histoire. Nous redécouvrons que nous vivons dans un monde dangereux, peut-être même plus instable encore que celui de la guerre froide. Présider la nation exige à nouveau de se hisser à la hauteur du tragique de l’Histoire, en ne laissant place ni à la fébrilité ni à l’improvisation.
C’est aussi assumer notre vocation, celle d’être une force d’impulsion en Europe, comme la France le fut pour la dernière fois avec Nicolas Sarkozy pendant la crise géorgienne. L’époque impose de retrouver cette hauteur de vue avec laquelle le général de Gaulle a tenu bon lors des crises de Berlin ou de Cuba. Cette hauteur de vue avec laquelle François Mitterrand a fait face à la crise des euromíssiles dépassant les calculs politiciens quand il rappelait courageusement. Contre l’avis des communistes de sa majorité, que « le pacifisme est à l’Ouest et les euromissiles sont à l’Est ». Cette hauteur de vue avec laquelle Jacques Chirac eut la lucidité de ne pas entrainer notre pays dans la guerre en Irak, en étant capable d’unir toutes les forces politiques.
Dans les moments charnières, le président de la République ne s’appartient plus ; il n’appartient pas davantage à un camp, à un parti ou à une idéologie. C’est pourquoi occupe une fonction symbolique, non pas au sens contemporain « sans valeur » mais au sens étymologique « qui unit ». Ni simple intendant, ni super-Premier ministre, il incarne les intérêts supérieurs de la nation. C’est le rôle que lui confèrent la lettre et l’esprit de la Ve République : détenteur des codes de l’arme nucléaire, il est le garant de l’unité et de l’indépendance nationales. Intransigeante face à l’agresseur russe, sa parole, distincte du flot ininterrompu des commentaires et des polémiques, doit également être empreinte de gravité et de cohérence, a fortiori face à une autre puissance nucléaire.
Plutôt que de se gargariser de chimères, comme celle d’une « armée européenne » qui n’a pas la moindre chance de voir le jour, nous devons méthodiquement nous préparer au pire en faisant tout pour l’éviter. Personne ne défendra nos intérêts à notre place. Et il nous revient de mener à bien une stratégie cohérente inscrite dans la durée. Que Donald Trump revienne ou non à la Maison-Blanche, les nations européennes – à commencer par la France – doivent garantir leur propre sécurité. Face à la Chine, à la Russie ou à l’islamisme, la France et l’Europe ne peuvent plus se bercer d’illusions.
Pour que sa voix porte en Europe et dans le monde, la France doit retrouver sa crédibilité. Nous en sommes au point où notre armée ne disposerait de missiles ou de munitions que pendant quelques jours d’un conflit de haute intensité. Contrairement à ce que les idéologues de la déconstruction laissent à penser la sécurité – intérieure et extérieure – de la France n’est pas un luxe ou une lubie, c’est la raison d’être de l’État et ce doit être une priorité budgétaire. L’urgence est au réarmement. Et pour être en mesure de l’assumer, la France doit urgemment rétablir ses comptes publics, alors qu’elle est le pays européen qui s’est le plus endetté depuis dix ans. C’est à cette condition que nous obtiendrons de nos partenaires européens qu’ils reconnaissent le rôle prépondérant de la France – seule puissance nucléaire de l’UE – dans la défense du continent, en modifiant les règles budgétaires européennes concernant les dépenses militaires. C’est bien en retrouvant les moyens industriels et militaires de ses ambitions que la France pourra à nouveau jouer le rôle d’équilibre dont le monde a besoin, un monde où l’Occident n’a plus le monopole de la puissance mais où il nous revient de défendre ce à quoi nous tenons.
La crise sanitaire, la crise agricole tout comme la guerre en Ukraine. révèlent une réalité implacable : la France ne peut pas renoncer à être la première puissance européenne. En dernier ressort, notre puissance géopolitique dépend de nos capacités de production. Réunissons donc les conditions de la réindustrialisation : il n’y a aucune fatalité à ce que nous ayons la plus faible part d’industrie manufacturière d’Europe, avec la Grèce. Défendons donc implacablement nos intérêts industriels, comme ont su le faire les Allemands au sein des institutions européennes. Et maintenons nos avantages décisifs : une industrie de défense de haut niveau (qui doit être seule bénéficiaire, avec les industriels européens d’un fonds européen de défense mieux doté), un siège au Conseil de sécurité des Nations unies (qu’on ne saurait partager), l’arme nucléaire (dont il faut assurer la modernisation), autant d’attributs essentiels de notre souveraineté.
Gardons-nous autant d’une certaine grandiloquence vaniteuse que d’une pernicieuse haine de soi. Plutôt que de fantasmer une oxymorique « souveraineté européenne » commençons par maitriser notre destin.
>> Lire la tribune sur LaTribune.fr
L’article Laurent Wauquiez : « Sur l’Ukraine, l’insoutenable légèreté du président » est apparu en premier sur les Républicains.