Éric Ciotti : « Pourquoi je décline l’invitation du président aux Rencontres de Saint-Denis »
Le président des Républicains ne sera pas présent aux deuxièmes Rencontres de Saint-Denis, organisées par Emmanuel Macron. Il a, dit-il, hésité avant d’apporter sa réponse. Mais l’absence du président de la République à la manifestation contre l’antisémitisme dimanche a fini par le convaincre de ne pas y participer. Il refuse d’être « l’alibi d’une énième démarche de communication du président ».
Vous avez souhaité un temps de réflexion avant de répondre à l’invitation d’Emmanuel Macron à la deuxième Rencontre de Saint-Denis, prévue vendredi prochain. Qu’avez-vous décidé ?
Je ne serai pas présent à Saint-Denis. J’ai hésité avant d’apporter ma réponse mais l’absence du président de la République à la manifestation contre l’antisémitisme a fini de me convaincre de ne pas y participer. Dimanche devait être un moment d’unité nationale autour des valeurs fondamentales de la République. Le chef de l’État a justifié son absence par sa volonté de garantir l’unité nationale. Mais l’unité nationale, elle était dans la rue. Ne pas y participer donne l’impression qu’il y a deux parties qui s’affrontent. Cette forme de « en même temps » n’est pas acceptable. Ensuite, réunir autour de la table des partis totalement opposés pour tenter de bâtir une vaine unité ne peut être ni sincère, ni efficace. Au lendemain de la première Rencontre de Saint-Denis, j’ai écrit une longue lettre au président de la République, le 10 septembre dernier. Je lui ai fait part de nos propositions, notamment sur trois points essentiels : la politique migratoire, le pouvoir d’achat et les prélèvements obligatoires, puis la sécurité au lendemain des émeutes qui ont failli mettre à genoux notre pays. J’attendais des réponses précises et concrètes. Elles ne sont pas venues. Aujourd’hui, nous subissons une fin de non-recevoir sur notre proposition de réforme de la Constitution au titre de l’article 89 pour reprendre notre souveraineté en matière migratoire. Face à cette absence de réponse concrète, je ne souhaite pas être l’alibi d’une énième démarche de communication. Voilà pourquoi je décline l’invitation d’Emmanuel Macron.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, y sera…
Il est dans son rôle institutionnel.
Avez-vous informé le président de la République de votre décision ?
Je lui ai écrit pour lui faire part de ma décision. Je reste disponible pour avancer, dans le cadre de nos institutions. Il est encore temps pour lui de demander à sa majorité d’approuver notre réforme constitutionnelle que nous débattrons le 7 décembre prochain à l’Assemblée nationale et dont je serai le rapporteur. Mais arrêtons avec les faux-semblants.
Le chef de l’État voulait poursuivre la réflexion sur l’élargissement du référendum aux questions de société, notamment l’immigration…
Nous le proposions dans notre texte constitutionnel. Je me réjouis donc de cet élargissement. Pour autant, nous n’avons aucune garantie sur la possibilité de l’organisation rapide d’un référendum sur l’immigration. Notre démarche de révision constitutionnelle, au titre de l’article 89, permettrait pourtant de tout régler à la fois sur le fond et sur la forme via un référendum approuvé par les Français. Seule la démarche des Républicains garantit la rapidité et la sincérité d’une vraie réforme.
Au Sénat, la majorité a voté le texte sur l’immigration, qui inscrit dans la loi la régularisation des clandestins dans les métiers en tension. N’était-ce pas l’une de vos lignes rouges ?
Le Sénat a fait un bon travail pour améliorer le texte du gouvernement. Mais je le dis très clairement : l’article 4 bis, qui s’est substitué à l’article 3, qui introduisait dans la loi le principe de régularisation, me gêne. Nous verrons ce qu’il ressort des débats à l’Assemblée. En tout état de cause, ce texte n’inversera pas les grandes tendances qui nous ont conduits à accueillir près de 2 millions d’étrangers depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Très sincèrement, ce n’est pas avec une loi simple qu’on y arrivera. En matière migratoire, nous ne reprendrons pas le contrôle tant que les obstacles constitutionnels et conventionnels qui s’opposent à la volonté populaire n’auront pas été levés. Les Français souhaitent moins d’immigration. Le seul moyen, c’est de nous écouter sur la réforme constitutionnelle que nous discuterons trois jours avant l’arrivée du texte de M. Darmanin à l’Assemblée nationale. Je tirerai toutes les conséquences de l’attitude de la majorité sur ce point. C’est un préalable.
Diriez-vous que les sénateurs LR ont été contraints par leur alliance avec les centristes ?
Le Sénat a ses logiques internes que je comprends et respecte. Je sais que Bruno Retailleau veille à ce que la clarté de la ligne de notre famille politique soit préservée. J’en suis le garant à la tête du parti.
Selon Gérald Darmanin, 15 députés seraient « intéressés » par son texte. Craignez-vous une nouvelle fracture du groupe LR ?
Alors que nous sommes face à un sujet d’une gravité extrême, on voit bien les petites manœuvres en coulisses. Je suis convaincu que les députés de notre groupe ne tomberont pas dans ce piège médiocre des petits débauchages.
En cas de 49.3, combien de parlementaires LR sont prêts à voter une motion de censure ?
Je répondrai à cette question si elle vient à se poser. N’anticipons pas. J’ai entendu le ministre de l’Intérieur dire : « Jamais le 49.3 ne sera activé ». En attendant, nous restons sur nos principes que je ne veux pas voir altérés.
À Saint-Denis, Emmanuel Macron voulait de nouveau évoquer la situation internationale. Comment jugez-vous la politique présidentielle sur ce point ?
Nous n’avons plus de vraie ligne diplomatique. Ce qui est clair, c’est que l’influence de la France s’est considérablement affaiblie dans le monde. Je crois que la diplomatie, même si c’est l’art de l’équilibre, s’accommode mal du « en même temps ». On ne peut pas à la fois condamner la barbarie du Hamas et demander un « cessez-le feu » pour empêcher Israël d’éradiquer les terroristes. Le « en même temps » sur la scène internationale, c’est l’assurance d’une fausse note dans le concert des nations. Cessons l’immobilisme et l’impuissance pour éviter la disparition.
Laurent Wauquiez s’est exprimé mardi matin devant les députés LR. Vous l’avez désigné comme le candidat naturel de la droite pour 2027, mais il reste entre 5 % et 6 % dans les sondages. Êtes-vous inquiet ?
La route présidentielle est encore longue. Je connais la détermination de Laurent Wauquiez et je n’en doute pas. Je suis confiant sur notre capacité à créer la surprise d’ici 2027. Je partage l’analyse de Laurent Wauquiez sur la réouverture du jeu politique. Notre stratégie doit être celle de l’indépendance. À nous de rester en mouvement permanent et de continuer à exister en ouvrant en permanence des débats d’idées pour redresser le pays.
Emmanuel Macron a confié une mission à Éric Woerth, député ex-LR, sur la décentralisation. Que pensez-vous de ce choix ?
Ce choix est fait à l’intérieur de la majorité. Moi, ce qui m’importe, c’est ce qui va sortir de tout cela. Notre pays a besoin d’un État fort qui protège les Français et de plus de libertés locales pour débloquer les nœuds gordiens qui paralysent l’action et l’initiative sur les territoires. Il faut promouvoir une nouvelle étape de décentralisation. Le Sénat a effectué un travail très intéressant sur ce sujet. C’est une vraie base de travail.
Concernant l’intention présidentielle d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, quelle est votre position ?
Je voterai cette réforme constitutionnelle. N’oublions pas que la droite républicaine a porté cette avancée considérable pour la liberté des femmes.
Le chef de l’État souhaite avancer également sur la fin de vie…
Sur ce sujet, chacun doit pouvoir se prononcer en conscience et pas forcément selon une appartenance politique.
>> Lire l’interview sur LeFigaro.fr
Lettre d’Éric Ciotti au président de la République
Monsieur le Président de la République,
Vous avez bien voulu m’inviter à participer à une nouvelle réunion selon le format « Saint-Denis » le 17 novembre prochain. Je me dois de vous informer que je n’y participerai pas.
Depuis plusieurs jours, j’hésitais à répondre favorablement à votre invitation tellement je doute de la pertinence et de l’utilité de cette démarche. Votre absence à la marche contre l’antisémitisme, parmi les Français, m’a convaincue définitivement d’y apporter une réponse négative.
Pour moi, cette manifestation devait incarner par excellence l’unité de la nation autour de nos valeurs fondamentales. Vous avez, par vos propos et votre attitude, fragilisé cette unité. Je ne peux comprendre que vous n’adhériez à une démarche d’unité républicaine pour combattre l’antisémitisme et que vous souhaitiez porter, par ailleurs, un pseudo message d’unité à Saint-Denis. Cela me parait contradictoire.
Lors des rencontres de Saint-Denis du 30 août dernier, j’avais répondu à votre invitation sans arrière-pensée, malgré un scepticisme certain, notamment à l’idée de devoir chercher un consensus avec des formations politiques radicalement opposées, déterminées, pour certaines comme les insoumis, à obtenir la destruction de nos institutions et de notre cohésion nationale. Sur la forme, le format de cette réunion ne me parait en aucun cas propice à défendre l’intérêt général.
Au lendemain de ces rencontres, par un courrier en date du 10 septembre, j’avais formulé des propositions claires sur la crise du pouvoir d’achat, l’insécurité grandissante, l’immigration de masse ou encore la liberté de la presse et des médias. Je vous avais également invité à ne pas laisser la France « s’enfermer dans l’illusion du mouvement, savamment scénarisée à grands renforts de communication ». Je vous avais enfin indiqué que la suite de votre initiative devait « nécessairement se prolonger dans le cadre de nos institutions car les grandes questions qui touchent à l’intérêt national ne sauraient être traitées au cours d’échanges informels ad hoc. »
Nous n’avons manifestement pas été entendus.
Comme nous le faisons depuis plusieurs mois, nous vous avions notamment appelé à opérer une révision constitutionnelle au titre de l’article 89 pour répondre au défi migratoire. Nous estimons en effet que sans cette réforme constitutionnelle, toute politique migratoire est condamnée à l’impuissance. Vous n’y répondez que partiellement en proposant l’élargissement du champ de l’article 11 aux questions migratoires. Même si nous approuvons ce point, en aucun cas vous indiquez que vous interrogerez, dans la foulée, les Français sur une grande réforme de la politique migratoire.
Concernant cette réforme constitutionnelle, nous prendrons quant à nous nos responsabilités le 7 décembre à l’Assemblée nationale. À cette occasion, il n’appartient qu’à vous de nous démontrer la réalité de votre volonté d’inverser le cours du destin national pour retrouver notre souveraineté en matière migratoire.
Je regrette de ne pas retrouver, parmi les autres points que vous souhaitez évoquer, des sujets de préoccupations majeures pour nos compatriotes comme la crise du pouvoir d’achat ou l’insécurité qui gangrène nos rues.
Le mois dernier, nous avons présenté un contre-budget permettant de réduire le fardeau fiscal, d’assurer un objectif de redistribution vers les familles ou le logement et de mieux maîtriser les dépenses publiques en travaillant sur leur efficacité. Il n’est plus supportable de voir nos dépenses sociales s’élever à 32 % de notre PIB, quand la moyenne des pays de l’OCDE se situe à 21 %. Les économies ambitieuses que nous vous avons proposées, à hauteur de 25 milliards d’euros, auraient permis de rééquilibrer les comptes publics.
Grâce à ces marges de manœuvre, nous aurions pu combattre efficacement la crise du pouvoir d’achat en diminuant notamment les taxes sur les carburants ou les droits de succession et de donation.
Vous n’avez malheureusement retenu aucune mesure de ce contre budget.
En matière d’insécurité, alors que nos concitoyens y sont inlassablement confrontés, rien de concret n’a été fait depuis les émeutes urbaines du mois de juillet. Chaque jour, des records sont battus. On dénombre désormais 49 morts liées au trafic de stupéfiants à Marseille. Où cela va-t-il s’arrêter ? Nous vous avons proposé de rétablir la loi dite « Ciotti » que j’avais faite voter en 2010 sur la suspension des allocations familiales pour absentéisme scolaire, ainsi que le dispositif de contrat de responsabilité parentale et la mise en place de la suspension des allocations familiales pour actes de délinquance d’enfants mineurs.
Une fois encore, toutes nos propositions sont restées lettres mortes dans l’annonce du plan censé tirer les conséquences des émeutes.
Au total, je crains que ces nouvelles rencontres de Saint-Denis ne soient qu’une séquence supplémentaire de cette communication permanente dont les Français sont désormais profondément lassés et dont nous refusons d’être les alibis. Ce que vous aviez qualifié « d’initiative politique d’ampleur » se révèle finalement n’être que le stade final de l’illusion du « en-même-temps » : il est urgent d’en sortir et de privilégier enfin le fond sur la forme.
Face aux crises internationales, face au désordre généralisé qui s’abat sur nos villes et nos villages, face au chaos migratoire, face à la crise du pouvoir d’achat, les Français veulent des actes forts. Ils en ont assez des discours et des gadgets qui occupent les commentateurs mais ne changent rien à leur quotidien.
Nos concitoyens s’inquiètent légitimement pour leur pays dont ils craignent, chaque jour davantage, le prochain effacement dans un déclin irrémédiable. Personnellement, je ne m’y résous pas. Je reste disponible pour travailler sur le fond de propositions capables d’améliorer concrètement la vie des Français et qui doivent être adoptées au plus vite par le Parlement.
Cessons de perdre du temps car le temps nous manque déjà.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma haute considération.
Éric Ciotti
Président des Républicains
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