Gérard Larcher : « Sur l’immigration, la situation n’est plus tenable »
Après sa réélection, Gérard Larcher, président du Sénat, doit s’entretenir avec Emmanuel Macron mercredi et lui parler des institutions.
Comment vivez-vous cette cinquième élection à la présidence du Sénat ?
J’entame ce nouveau mandat avec enthousiasme et confiance du fait d’avoir recueilli 68 % des suffrages exprimés. Cela me donne la force de la légitimité de cette large majorité. Cette élection est aussi la victoire de la France des territoires que nous incarnons, celle d’un contre-pouvoir face à la centralité, à l’hyper-concentration et à la verticalité de cette gouvernance. Lors du 19e congrès des Régions à Saint-Malo, la première ministre a reçu des messages. Si Élisabeth Borne est arrivée les mains un peu vides, elle est repartie la besace pleine des attentes en matière de décentralisation.
Pourquoi insistez-vous sur l’importance du bicamérisme ?
Avec l’alignement des élections législatives sur la présidentielle, le Sénat se trouve être le seul contrepouvoir institutionnel à l’exécutif. Ces dernières années, tout le monde a pu le constater à travers nos apports à la fabrique de la loi comme dans notre mission de contrôle. Je pense à nos commissions d’enquête sur le fonds Marianne, le Stade de France ou les cabinets de conseil.
Néanmoins, les résultats du scrutin montrent un recul numérique de la majorité sénatoriale. Quelle est votre analyse ?
Le groupe LR reste le premier groupe du Sénat; le groupe centriste s’est maintenu. Dans l’environnement politique actuel, ce n’est pas si mal. La gauche a tenu, sans LFI. À méditer… Cela veut dire qu’il y a une gauche dans les territoires, comme il y a une droite et un centre. Il faudra analyser la montée du vote RN. Le vote écologiste est dans la logique des résultats des élections municipales : ils ont légèrement augmenté. Quant aux Horizons, ils sont dans le groupe des indépendants. La majorité sénatoriale est solide dans sa diversité.
Quand Hervé Marseille, président du groupe centriste, parle de « rééquilibrage », la droite s’agace…
Chacun a joué son rôle. Nous étions parfois en liste commune, parfois non. Nos groupes sont différents et je me réjouis de cette richesse et de la perspective de travailler ensemble. Lorsqu’il faudra voter dans l’intérêt du pays, je suis sûr que nous saurons nous rassembler.
Comment comprenez-vous l’entrée historique d’un sénateur FLNKS au Palais du Luxembourg ?
L’entrée de Robert Xowie au Sénat est un symbole de la participation de cette formation à des élections. Cela contribue au débat démocratique. C’est une formation politique qui a des élus en Nouvelle-Calédonie, il n’est pas anormal qu’ils aient des représentants au Parlement. D’ici à la fin du mois, je remettrai en place le groupe de contact sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
La question calédonienne fait partie des sujets institutionnels sur lesquels le président doit intervenir mercredi au Conseil constitutionnel. Pourquoi êtes-vous toujours prudent sur ces sujets ?
Pour la Nouvelle-Calédonie, les Calédoniens se sont prononcés par trois fois pour le maintien dans la République. Il faut maintenant construire un avenir stable pour la collectivité et maintenir le dialogue entre les parties prenantes. Pour le reste, la Constitution a démontré qu’elle était solide, capable de traverser les crises, les alternances et les cohabitations. Elle est même capable de fonctionner quand il n’y a pas de majorité absolue à l’Assemblée, en témoignent les premières lectures majoritairement au Sénat. Voilà pourquoi, avant de la bouleverser, « la main doit trembler ». Si cela permet de faire mieux fonctionner la démocratie, de faire évoluer ce qui permet de mieux prendre en compte des effets contraignants de certains traités européens par rapport à d’autres pays de l’UE, alors, il ne faut pas se l’interdire. Le Sénat a un rôle constitutionnel majeur car nous avons un pouvoir égal à celui de l’Assemblée nationale et, au Sénat, nous y sommes très attentifs. On ne touche pas à la Constitution par pulsion. Je verrai mercredi le président de la République, je pense que ce sera au menu de nos discussions.
En parlant d’« autonomie dans la République » en Corse, le chef de l’État joue-t-il avec le feu ?
La différenciation oui, mais l’unité de la République n’est pas négociable. La coofficialité, c’est non. Il n’y a qu’un peuple français. Au Sénat, nous avons le mérite de la clarté. L’autonomie dans la République d’Emmanuel Macron, cela existe déjà; mais sur le rôle du Parlement dans l’habilitation, le chef de l’État n’a pas été très clair. Attention, on ne contournera pas le Parlement. Il est vrai que nous n’avions pas bien appliqué, à l’Assemblée comme au Sénat, les textes de 2002 sur les habilitations. Je mettrai en place un suivi. Je rencontrerai aussi les deux sénateurs corses ainsi que Gilles Simeoni, président de la collectivité territoriale de Corse, pour aborder ce sujet dès la semaine prochaine.
Craignez-vous une contagion des revendications autonomistes, comme on l’a entendu en Bretagne ?
Chacun doit garder la raison. La République est une et indivisible même s’il nous faut admettre les spécificités territoriales. Face à l’excès de verticalité, de normalisation, d’hyper-réglementation, je comprends que certains soient tentés de s’affranchir du pouvoir central. Mais, le meilleur antidote à toutes les tentations, c’est la confiance et la liberté donnée aux territoires : c’est une vraie décentralisation pour redonner le pouvoir d’agir aux élus locaux.
Concernant l’élargissement du référendum à la question de l’immigration, jusqu’où la droite sénatoriale est-elle prête à aller ?
Jusqu’au bout pour retrouver la maîtrise des flux migratoires. Sur l’immigration, la situation actuelle n’est plus tenable, entre dévoiement du droit d’asile, inflation des visas étudiants et dérive du regroupement familial : cela rend impossible toute véritable politique d’intégration. Par ailleurs, la France ne peut être un des pays les mieux-disants pour les prestations sociales. Nous devons, comme au Danemark, retrouver la souveraineté de notre politique migratoire. Nous sommes opposés à toutes régulations automatiques sur les métiers en tension, le gouvernement le sait bien. Nous avons plus de 430 000 étrangers en situation régulière qui sont au chômage. Occupons-nous d’eux prioritairement. Le gouvernement doit nous écouter, nous entendre et savoir que si l’on veut converger, chacun doit faire un bout de chemin. Le ministre de l’Intérieur semble dans de bonnes dispositions de dialogue.
Les bateaux de migrants à Lampedusa sont-ils les révélateurs d’une impuissance européenne ?
La question migratoire, c’est aussi une question d’humanité. Mais comme on ne peut pas accueillir plus, ni intégrer, nous devons nous interroger et réfléchir avec l’UE au volet coopération avec les pays de départ. Nous devons mettre en œuvre une politique européenne. La solution ne peut pas être que nationale. Il faut aider les pays de l’UE à tenir leurs frontières, renforcer Frontex qui n’est plus grand chose aujourd’hui, coopérer avec les pays de transit… Les conséquences de l’effondrement du Niger sont terribles. Nous devions conclure un pacte européen sur la migration et l’asile, mais nous n’avons rien fait. C’est aussi l’échec de la présidence française de l’Union européenne.
Les sénateurs devront débattre de la délicate question des finances de la France. Quelles sont vos alertes ?
Le gouvernement a raté la première marche vers le désendettement du pays : 30% des dépenses publiques ne sont pas financées ! Il n’y a aucun projet structurant de réduction de la dépense et une intempérance budgétaire. La dette vient de dépasser 3 000 milliards et nous continuons à faire des chèques sans provision. La France sera contrainte d’emprunter 285 milliards d’euros cette année. On embauche 8 500 fonctionnaires supplémentaires au lieu d’engager un redéploiement alors que le président de la République avait promis une réduction. Il faut redevenir sérieux ! Nous serons le dernier des pays européens à passer sous le seuil des 3% de déficit au mieux en 2027.
Le gouvernement prévoit des ponctions sur les retraites complémentaires Agirc-Arrco… Veut-on encore du paritarisme ?
L’Agirc-Arrco est un modèle de gestion responsable. C’est de l’argent qui doit revenir aux cotisants. Rien ne peut se passer sans une négociation avec les partenaires sociaux. Je suis pour le maintien du paritarisme, cela fait partie des éléments du dialogue social dans notre société et du rôle régulateur des partenaires sociaux. Le gouvernement ne peut indûment ponctionner le fruit des cotisations des salariés du privé.
Sur la scène internationale, la France suscite de nombreuses critiques. Quelles sont vos observations ?
D’abord, sur l’Ukraine, le soutien est absolu et je rappelle qu’il n’y avait aucun désaccord lors de la rencontre à Saint-Denis sur ce sujet. Concernant l’Arménie, je me sens très solidaire et je pose une question : doit-on sacrifier ce pays sur l’autel d’un accord sur l’énergie avec l’Azerbaïdjan ? De temps en temps, il faut du courage. Nous devons tous être solidaires de l’Arménie et des Arméniens du Haut-Karabakh. Ils sont chassés d’une terre qui était la leur. Si ce n’est pas de l’épuration ethnique, je ne sais pas ce que c’est. Concernant l’Afrique, il est urgent de repenser notre relation avec tous les pays qui la composent, notamment les pays du Maghreb… Et, sur ces sujets, la diplomatie parlementaire peut être utile.
Votre famille politique des Républicains cherche un nouvel élan en attendant son leader pour 2027. Quel regard portez-vous sur la droite ?
J’ai toujours dit qu’il faut d’abord bâtir un projet. L’arrivée d’Emmanuelle Mignon sera sans doute utile. Nous devons retrouver la confiance et ensuite, nous l’incarnerons. Le premier des sujets à droite, n’est pas aujourd’hui celui de la candidature à la présidentielle, même si je me réjouis que Laurent Wauquiez participe à nouveau au débat.
Les européennes seront la prochaine haie électorale. François-Xavier Bellamy vous semble-t-il légitime pour la tête de liste ?
Je reconnais l’engagement de François-Xavier Bellamy, les européennes sont un enjeu pour la droite et pour le PPE. Nous avons une conception de l’Europe à défendre et les défis qui se présentent demanderont une réponse européenne forte, la droite doit être à ces rendez-vous.
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