Reconquérir le sacré – Sonia Mabrouk
Introduction au sacré
Avant de détailler l’impérieuse nécessité d’un retour au sacré, il me semble logique et honnête de vous conter tout d’abord mon expérience personnelle de la sacralité, ou comment le sacré est devenu un sujet essentiel dans ma vie.
Ma conversion au sacré s’est faite en plusieurs étapes. Ce ne fut pas une révélation brutale et soudaine ; plutôt une succession de moments à la fois intimes et universels, un cheminement dans le temps vers des fragments de sacré, une compréhension de quelque chose qui nous précède et qui nous suit, qui en tout cas nous dépasse. Je dirais aussi que, dans mon cas, j’ai reçu le sacré comme on reçoit la foi. À un moment précis, le sacré a fini par s’imposer.
Était-ce le fruit du hasard ou était-ce un événement déjà inscrit en moi ? Impossible à dire. Une chose est sûre, la vie s’en est mêlée, et depuis, tout a changé. Cette métamorphose, je l’ai acceptée comme on accepte ce qui advient. C’est ce que Sylvain Tesson appelle le pofigisme, cette attitude mêlant résignation et joie. Lors de cette lente conversion, j’étais précisément dans un état singulier de résignation, à la fois joyeuse et combative. Je n’avais ni doutes ni tiraillements, comme si, sans le savoir, j’étais depuis longtemps à l’affût de ce changement. Comme si j’avais attendu sans vraiment le savoir ce moment d’éveil. Sans trop me poser de questions, j’ai alors fait allégeance au mystère et au réel, car tout cela ne relève pas d’un songe. Il est important de souligner à ce stade que je n’étais pas dans un rêve éveillé. Tout était au contraire bien réel, mais tout relevait aussi d’une autre réalité qui me convenait davantage et qui est aujourd’hui totalement mienne.
Je me suis en quelque sorte confrontée à l’usage du monde, selon la formule et le titre du célèbre ouvrage de l’écrivain voyageur Nicolas Bouvier’. À une différence près : cette confrontation fut interne et immobile dans mon cas. Je n’ai pas eu à voyager, à me déplacer, à me désédentariser pour en découvrir les effets et la réalité. Dès lors, ce voyage intérieur que je vais vous conter m’a tout de suite rendue plus vulnérable et tout à la fois plus affûtée et réceptive à l’observation du monde et de sa beauté.
Le cheminement vers le sacré a en effet conditionné ma façon de voir le monde. L’immobilisme qui accompagnait ma conversion au sacré a débouché tout à la fois sur une plongée introspective et sur une ouverture à ce qui nous entoure. Ce statisme m’a permis d’avancer sur ce que Frédéric Lenoir nomme les chemins du sacré.
Tout cela peut sembler paradoxal. Comment un immobilisme, qui par définition vous fige, peut-il vous permettre de voir un tel défilement des choses et un si grand jaillissement d’imprévus ?
C’est pourtant ce qui est arrivé lorsque le sacré m’est apparu. Ce que certains appellent un voyage intérieur. L’expression est devenue si triviale et courante que vous l’avez sans doute déjà entendue au détour d’une conversation, dans un dîner, comme s’il était évident de pouvoir voyager en soi, et plus précisément, en dedans de soi. Pour ma part, je continue de m’interroger. Comment peut-on devenir un voyageur immobile ? Comment parcourir des kilomètres en ayant le corps figé telle une masse aimantée au sol ? Comment accueillir la nouveauté sans changer de décor ? Comment vivre en ermite en soi ? Comment ressentir le goût de l’aventure sans
robinsonnade ?
Certains éléments de réponse sont contenus dans l’aventure du sacré.
Une aventure au cours de laquelle votre esprit est en permanence sollicité sans risque de vous abîmer le corps. Il n’y a en effet rien de physique ni de débridé à voyager en soi. Nulle montagne à escalader, aucun cours d’eau à traverser, pas d’animaux à éviter, si ce n’est soi-même et ce que nous allons découvrir en nous. Il n’y a pas non plus de chemin dessiné à l’avance, pas de carte à déplier, de trajet à choisir entre des voies rurales, des autoroutes balisées, des sentiers pleins de ronces, des champs rocailleux ou des coulées forestières peu explorées.
Non, il n’y a rien de tout cela….