Eric Ciotti : « La situation économique impose cette réforme des retraites »
Par souci « de cohérence et de responsabilité », le chef de file de la droite annonce être prêt à voter le texte du gouvernement.
Les Républicains soutiendront-ils la réforme des retraites du gouvernement ?
Nous avons toujours, dans l’histoire récente, affirmé la nécessité d’une réforme des retraites ambitieuse, pour sauver notre système de retraite par répartition. Aujourd’hui, Les Républicains [LR] sont porteurs d’une responsabilité particulière. Nous sommes un parti de droite de gouvernement, dont la seule boussole est l’intérêt supérieur du pays. Notre démographie évolue, et le rapport entre actifs et retraités est en train de s’inverser : il y avait quatre actifs pour un retraité dans les années 1970, il y en a aujourd’hui 1,7. Toute personne raisonnable comprend que le système actuel ne peut subsister sans être réformé.
Il faut donc avoir le courage de la réforme. Ce courage, M. Hollande et M. Macron ne l’ont pas eu, faisant perdre un temps précieux à notre pays. Nous en subissons aujourd’hui lourdement les conséquences. Les choix faits en 1981 par les socialistes, qui ont ramené l’âge de départ en retraite de 65 à 60 ans, auront coûté a minima à la France 1 000 milliards d’euros. Si nous étions restés à ce niveau, la France disposerait aujourd’hui de moyens d’action incomparablement supérieurs. Et nous n’aurions pas ces 3 000 milliards d’euros de dette qui nous menacent.
La voterez-vous ?
La situation budgétaire, démographique et économique impose cette réforme. Les autres alternatives sont des impasses dangereuses. Je me refuse, pour ma part, à voir les cotisations retraite augmenter : cela conduirait à une baisse des salaires ou de la compétitivité de nos entreprises en pleine crise du pouvoir d’achat. Je me refuse tout autant à voir diminuer le niveau des pensions alors que tellement de retraités vivent aujourd’hui en situation de précarité. Nous devons rester les garants de l’esprit du Conseil national de la Résistance et du général de Gaulle, qui ont créé ce système et installé une solidarité entre générations.
Nous ne pouvons trahir le contrat social passé avec ceux qui ont travaillé hier. Il n’y a qu’une alternative crédible et raisonnable : demander aux actifs actuels et futurs de travailler un peu plus et donc de cotiser un peu plus sur la durée de leur vie de travail. Je souhaite donc pouvoir voter une réforme juste qui sauve notre système de retraite par répartition.
Pouviez-vous décemment vous opposer à cette réforme, défendue par la droite et pendant la campagne présidentielle par sa candidate Valérie Pécresse ?
Politiquement, la droite de gouvernement a toujours soutenu la nécessité d’une réforme des retraites qui conduit à travailler un peu plus. Je l’ai fait personnellement lors de mes deux dernières campagnes, pour la primaire de 2021 ou ces derniers mois pour la présidence du parti. Je m’inscris ainsi dans la continuité de ceux qui nous ont précédés, Édouard Balladur, François Fillon et Nicolas Sarkozy, qui ont eu le courage, au cours des quarante dernières années, de porter les seules réformes efficaces en matière de retraite. Il s’agit, pour la droite, d’une question de cohérence et de responsabilité.
Quelles conditions posez-vous à l’exécutif pour voter cette réforme ?
Je le dis très clairement : si nous en sommes là aujourd’hui, c’est parce que depuis six ans M. Macron procrastine. Il avait embarqué le pays dans un projet de réforme systémique qui s’apparentait à une véritable usine à gaz qui, naturellement, a échoué. Il est le seul Président à ce jour à ne pas avoir sauvegardé notre système de retraites. Nous avons, du fait de ses hésitations et de ses reculs, perdu un temps extrêmement précieux. Pour rattraper ce temps perdu, il propose en pleine crise économique et sociale une réforme qui apparaît, aux yeux des Français, comme beaucoup trop sévère. J’ai donc demandé à la Première ministre, que j’ai vue avant Noël et cette semaine, d’atténuer la brutalité de la réforme.
Sur quels points ?
Cette réforme doit pour moi s’étaler sur deux quinquennats, à l’horizon 2032. Je pense que l’âge légal de départ en retraite pourrait être fixé au terme de cette période à 64 ans, avec une étape intermédiaire à 63 en 2027. Nous demanderons, dans le débat parlementaire, une clause de revoyure à cette échéance. Nous souhaitons également que cette réforme ne bénéficie qu’aux retraités. Il ne s’agit pas de faire payer les actifs d’aujourd’hui pour les inconséquences budgétaires du gouvernement, qui a dépensé sans compter l’argent des Français. L’objectif de cette réforme, pour moi, ne peut être dirigé que vers la pérennité du système de retraites actuel. Je souhaite d’ailleurs que le gouvernement retire son projet de prélèvement des fonds des systèmes de retraites complémentaires, l’Agirc et de l’Arrco.
La pension minimale à 1 200 euros doit-elle s’appliquer uniquement aux nouveaux retraités ou à tous ?
Elle doit s’appliquer de façon rétroactive aux retraités actuels qui bénéficient des pensions les plus modestes. Ce sera une des conditions de notre vote : nous souhaitons que la situation des retraités, futurs et actuels, soit considérablement améliorée. Aujourd’hui, trois Français à la retraite sur dix touchent moins de 1 000 euros brut par mois, c’est indigne. J’ai donc demandé avec beaucoup d’insistance, et ce sera un point clé de notre décision, que les petites retraites soient considérablement revalorisées.
Parmi elles, il y a beaucoup d’indépendants, de commerçants, d’agriculteurs, d’artisans, qui ont beaucoup travaillé, mais qui touchent une misère au moment de leur retraite. Il y a aussi beaucoup de femmes, qui ont eu des carrières heurtées. Il faut que ces situations soient prises en compte. Le gouvernement parle d’une amélioration pour les nouveaux entrants : nous demandons que cette amélioration s’applique aux retraités actuels. Pour les femmes, nous demandons également que les congés parentaux soient pris en compte dans le calcul des trimestres de retraite.
La facture ne risque-t-elle pas de s’envoler ?
Avec environ 350 milliards d’euros, les dépenses de retraites constituent plus d’un quart de la dépense publique. La réforme, si elle va au bout, apportera globalement, à terme, un gain de l’ordre de 20 milliards d’euros par an. Nous pouvons, dans ce cadre, en consacrer une part à l’amélioration de la situation des retraités les plus fragiles et les plus précaires. Nous voulons que cette réforme ne soit pas brutale, et qu’elle soit juste.
Avez-vous d’autres revendications ?
J’ai beaucoup insisté pour que soit prise en compte la question des carrières longues. Nous ne voulons pas d’un système où ceux qui ont commencé à travailler très tôt soient lourdement pénalisés. Nous réclamons un dispositif qui les protège, et notamment dans des métiers dont la dureté et la pénibilité sont avérées. La question des carrières longues et celle de la pénibilité sont au cœur des marqueurs que nous voulons voir inscrits dans cette réforme. Il est aussi nécessaire de demander le même effort aux bénéficiaires de régimes spéciaux. Si une mesure d’âge est adoptée, il faut qu’elle leur soit appliquée également.
Avez-vous été entendu par la Première ministre ?
Spontanément, je répondrai oui. Mais j’attends avec vigilance ce qu’annoncera mardi Élisabeth Borne, sachant que le débat parlementaire pourra aussi contribuer à enrichir le texte et que les parlementaires LR s’y emploieront.
Allez-vous réussir à mettre d’accord les parlementaires LR, dont les avis divergent ?
Nos positions ont souvent été caricaturées. Je m’efforce de faire en sorte, notamment avec Olivier Marleix, Bruno Retailleau et Aurélien Pradié, que la position de notre famille politique soit, bien entendu, unique et responsable. Je n’ai aucun doute sur le fait que ce sera le cas. Mais mon devoir est naturellement d’écouter les inquiétudes de certains de mes collègues parlementaires : sur le terrain, ils mesurent le désarroi des Français qui sont les victimes de la politique d’impuissance de ce gouvernement depuis des années.
Êtes-vous inquiet des risques d’explosion sociale ?
La colère est très grande dans le pays et M. Macron a allumé l’incendie de cette colère. Après avoir reculé devant l’obstacle pendant des années, le gouvernement choisit de faire cette réforme dans un moment d’extrême tension. C’est son choix. Mais il doit mesurer la lourde responsabilité qui est la sienne dans la dégradation du climat social : les Français subissent une inflation qui explose, notamment du fait de l’augmentation des prix de l’énergie, qui n’est due qu’aux errements du gouvernement et met en péril la situation de beaucoup de familles et d’entreprises. Il y a une forme de double peine pour les Français : jamais l’État n’a autant dépensé, mais jamais nos services publics n’ont été aussi défaillants. On le voit avec l’affaissement de notre système de santé et de notre système éducatif.
N’y a-t-il pas une contradiction avec votre position pendant la campagne interne de LR, très antimacroniste, et votre soutien à la réforme des retraites ?
Dans ma campagne pour LR, il était clairement précisé que je souhaitais une réforme des retraites. L’incohérence serait pour moi de me renier sur ce point. Ne confondons pas la question et ceux qui la posent.
Cela présage-t-il d’autres rapprochements avec la Macronie ?
En aucune façon ! Si demain nous votons la réforme, nous le ferons dans un esprit de responsabilité pour l’intérêt du pays. Mais l’intérêt du pays, c’est aussi qu’il y ait le plus vite possible une vraie alternance à ce pouvoir qui aura abîmé la France. Si nous approuvons cette réforme, ce n’est naturellement pas une approbation de ceux qui l’auront portée avec beaucoup de retard et d’hésitations.
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