Aurélien Pradié : « La politique n’a plus besoin de limaces »
Confronté aux échecs successifs de sa famille politique, le député du Lot appelle à se distancer d’une ligne identitaire et fustige les « traîtres ».
Aurélien Pradié est en campagne. Dans le Lot, où le député sortant bat le terrain, et jusqu’au sein des instances de LR, le parti dont il est secrétaire général. Jeune – 36 ans – et aimable, ce représentant d’une droite sociale entend bousculer les habitudes. L’élection présidentielle ? Un épouvantable gâchis dont il serait dangereux d’ignorer les enseignements. Les transfuges de LR ralliés à la macronie, d’Éric Woerth à Guillaume Larrivé, toujours membre du parti ? Des traîtres en puissance. Une franchise, voire une brutalité, dans l’expression qui dénote à droite, où l’on tente de faire oublier, par tous les moyens, le score désastreux de Valérie Pécresse. Suffisant pour initier un profond mouvement de rénovation, quitte à bousculer ses aînés ? Seul l’avenir le dira pour ce député atypique, élu en 2017 et dont la passion pour le surf le dispute à l’amour de la politique. Mais une chose est certaine : la droite, pour renaître, devra être populaire et non identitaire.
François-Xavier Bellamy, dans une récente interview au Figaro, appelait à rompre « avec les ambiguïtés et les incohérences passées ». À droite, après une défaite aussi cuisante, est-ce qu’il existe un droit d’inventaire ?
À chaque défaite depuis 2012, la droite française a eu une bonne raison d’éviter de se demander si l’échec ne venait pas de notre message politique plutôt que d’événements « extérieurs ». Maintenant, je crois que cela suffit. Si les Français ne nous comprennent pas, c’est que nous ne sommes plus compréhensibles. Je faisais déjà partie de ceux qui depuis l’échec de François Fillon prévenaient : « Attention, c’est aussi notre projet politique qui nous fait échouer et pas forcément des météorites extérieures… » Je n’ai pas changé d’avis. À présent, c’est très clair. Il faudrait vraiment avoir de la colle dans les yeux pour considérer que le problème ne vient pas du projet de société, de la vision pour le pays. Donc, oui, un droit d’inventaire à droite est nécessaire, même si je n’aime pas beaucoup ce mot. Si le droit d’inventaire c’est la promesse de tout refonder, alors il nous sera salutaire. Je ne prétends pas avoir tous les enseignements de ces défaites successives, mais la première leçon est à mon sens qu’il faut en finir avec la stratégie des parts de marché électorales. Cela fait déjà bien longtemps qu’aucun parti politique, qu’aucun candidat n’a eu l’ambition de s’adresser aux Français plutôt que de favoriser une petite rente électorale de plus en plus fictive et rabougrie… ? La politique est une aventure. La politique consiste à avoir un projet qui initialement n’est pas dans les évidences du moment, mais qui finira par s’imposer parce que c’est le ressort profond du pays. La politique n’a plus besoin de limaces. Elle a besoin de conquérants et d’aventuriers. Elle n’a pas besoin de gestionnaires. Elle a besoin de vision et de souffle. Peut-être même d’utopie. Dites-moi depuis quand la politique n’a pas changé la vie de nos concitoyens ?
Vous appelez donc à une refondation complète de la droite républicaine ?
Vous voyez bien que ceux qui émergent dans le débat démocratique aujourd’hui sont ceux qui viennent réveiller le pays, toucher un épiderme endormi, à rebours des sondages d’opinion, des éditorialistes et de ce qui rythme les chaînes d’info en continu. Je n’ai pas besoin de m’attarder sur le spectacle pitoyable des quelques heures passées de négociations à gauche, entre apparatchiks bien nourris, dans des bureaux parisiens. Le spectacle des « accord ou pas accord » passionne les commentateurs. Je suis persuadé que c’est à mille lieues des préoccupations, des attentes et des espoirs des Français. C’est la politique des petits personnages qui négocient des petites places. Quand votre parti réalise un score inférieur à 5 % à l’élection présidentielle, on n’en est plus aux simples ajustements, nous en sommes à la révolution et donc je le dis, avec la force de ceux qui pensent que nous ne sommes pas morts : je ne serai pas de ceux qui participeront à des petits calculs dans les jours et les semaines qui arrivent. Au contraire, je fais partie de ceux qui veulent révolutionner notre message politique à droite. Et je ne suis pas seul, cette aventure sera collective ou ne sera pas. La droite peut et doit redevenir un espoir, pas une punition.
Est-ce que pour réussir cette « révolution », les Républicains, dans leur forme actuelle, n’ont pas vocation à disparaître du paysage politique ? Les législatives seront-elles votre planche de salut ?
La forme que cela devra prendre, c’est quelque chose qui n’intéresse pas les Français. Le « bidule » n’est qu’un détail face à la puissance d’un projet politique nouveau. Le vrai sujet est : à qui souhaitons-nous nous adresser et comment ? J’étais dans une école du Lot, à Gourdon, pour présenter la mission du député devant 100 gamins réunis sous un préau, comme je le fais chaque semaine dans mon département. Là, un petit gosse de six ans se lève à la fin et me demande : « Tout ça, c’est super bien, mais pourquoi tu fais ça ? » Je lui explique à nouveau pourquoi je suis député, mes missions, la fabrication de la loi, etc. Et là, le petit me dit : « Non, mais pourquoi, tu fais ça. Pourquoi tu fais de la politique ? » C’est la seule question qui doit animer la droite française aujourd’hui. Quelle est l’âme politique de la droite française en 2022 ? Quels sont nos grands combats ? Quelles sont nos valeurs non négociables ? Quels principes républicains ? Quelle école ? Quelle place pour les plus fragiles ? Quel modèle économique ? Cet exemple lotois peut vous apparaître anecdotique, mais c’est absolument fondamental. La plupart du temps, nous avons du mal à y répondre, à apporter une réponse qui sorte droit du cœur… Et tant que nous ne serons pas en mesure d’apporter une réponse sincère à cette question, les Français continueront à se détourner irrémédiablement de nous et surtout de la politique.
En prenant le risque de fracturer encore plus le parti s’il devait y avoir une divergence de ligne ?
Depuis la campagne présidentielle de 2012, ce qui a prévalu dans la stratégie de la droite, c’est la priorité identitaire. Christian Jacob est le seul à avoir eu la force et la capacité à amorcer un changement. Il a su y veiller avec force. Mais le mouvement vient de loin. Et pourtant le choix de faire des questions identitaires une focale relève d’une double erreur. Premièrement, parce que l’histoire de la droite française, ce n’est évidemment pas l’histoire de l’extrême droite. L’histoire de la droite française, depuis le général de Gaulle, a toujours été de s’intéresser à la question sociale avant la préoccupation identitaire. Toujours. Prenez de Gaulle, Pompidou, Chirac ou même Sarkozy version 2007, à chaque fois que la droite a abordé les Français par le prisme du mérite et la question de la justice sociale, nous avons réussi et à chaque fois que l’on s’est adressé aux Français par la priorité identitaire, la droite a perdu. Regardons au-delà de la droite : Zemmour s’est goinfré de cette question, il s’est écrasé ; Le Pen s’est focalisée sur le pouvoir d’achat, elle a émergé. Le fond du sentiment des Français, c’est la préoccupation du déclassement social et de la perte de dignité. Donc électoralement, la voie identitaire, c’est une chimère et une impasse. Deuxièmement, tout démontre que ce qui peut redonner du sens à la politique, ce sont les grandes causes. Pas le débat des progressistes contre les conservateurs. C’est par l’obsession de la dignité, que nous pourrons articuler un vrai projet politique.
Vous prendrez vos responsabilités en quittant le parti ?
Quitter le parti ? Pourquoi ? Convaincre, travailler, porter l’aventure avec d’autres, ça me semble mieux correspondre à ce qui me passionne en politique.
Cette question de la ligne a pourtant été tranchée d’une certaine manière lors du Congrès de votre parti, en décembre dernier. C’est Valérie Pécresse et non Xavier Bertrand, le tenant d’une droite sociale, qui a été désignée pour porter les couleurs de la droite…
Il s’agit déjà du passé. Ma première question, ce n’est pas de savoir si c’est faisable, c’est de savoir si c’est souhaitable, sinon vous ne faites pas de la politique, mais vous devenez observateur ou chef de bureau à Bercy. Aujourd’hui, il y a deux stratégies possibles : ou bien nous portons un angle identitaire qui, pour moi, a fait la preuve de son incapacité à convaincre les Français ou nous investissons avec audace la question sociale. Tactiquement et politiquement, c’est absolument nécessaire.
À partir de combien de sièges estimez-vous que LR continuera de peser politiquement au sein de la nouvelle Assemblée ?
J’ai toujours été mauvais au loto. Je pense seulement que les Français font très bien la distinction entre l’élection présidentielle et les législatives. Ils ont parfaitement en tête que ceux qui pourront demain les défendre au plus près de leur territoire et de leurs préoccupations du quotidien, c’est nous, les députés de la droite et du centre. L’élection d’Emmanuel Macron n’a pas rassuré nos compatriotes. Ils ne se sentent pas protégés dans leur quotidien par l’actuel président de la République. Pas plus aujourd’hui qu’hier.
La candidature du chef de l’État est pourtant apparue comme un vote refuge après la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine…
Je reste persuadé que ceux qui ont voté pour le président sortant ne considèrent pas, à juste titre, qu’il sera à même d’être juste avec chaque Français. Ce qui est prégnant aujourd’hui, c’est le sentiment d’injustice. Est-ce qu’Emmanuel Macron vous semble incarner la figure même d’un président juste, celui qui récompensera selon le mérite, qui protégera les plus humbles et les plus fragiles ? Je ne le crois pas une seconde. Notre pays n’a jamais été aussi injuste qu’il ne l’est aujourd’hui, à tous les étages. Il nous faut aujourd’hui six générations pour sortir de la pauvreté. Est-ce que ce n’est pas un sujet pour nous, Les Républicains, qui croyons au mérite, à l’ascenseur social ? Je pense que le moment est venu pour notre famille politique de redevenir une droite populaire. Je le redis, ce doit être le combat pour les dix années qui viennent : le combat pour la dignité, le mérite et la justice.
Rejoindre Emmanuel Macron, c’est forcément trahir ?
Au risque de passer pour ringard, je crois profondément qu’il y a un code d’honneur en politique, qu’avoir des principes n’est pas négligeable. Cette idée, selon laquelle quelques-uns de mes amis politiques rejoindraient l’actuelle majorité présidentielle pour le bien du pays, est la plus grosse blague que j’ai entendue depuis dix ans. Vous pensez vraiment que Guillaume Larrivé après le livre violent qu’il a écrit sur le quinquennat précédent puisse rejoindre Emmanuel Macron par conviction ? Est-ce que l’on a déjà oublié ça ? Pourquoi personne ne lui demande des comptes ou d’être en cohérence avec lui-même ? Vous pensez qu’Éric Woerth qui a passé cinq années à taper sur Emmanuel Macron, sur la gabegie publique, l’endettement massif, a rejoint la majorité présidentielle par sens de l’État ? C’est par pur opportunisme. Inutile d’habiller de gloire ce qui ne l’est tout simplement pas. Nous vivons aujourd’hui une inversion totale des valeurs. Aujourd’hui, être courageux, c’est trahir. La lâcheté est devenue tellement courante que nous ne la voyons même plus. Tous ceux qui passent le rubicond vont à la soupe. Leur principale préoccupation, c’est le gyrophare sur la voiture. Il faut dire les choses : quelqu’un qui trahit, c’est un traître, quelqu’un qui renie ses convictions, c’est un opportuniste politique. Point barre. Vous me trouverez sûrement dur, mais je crois qu’une époque qui ne nomme plus les comportements est une époque qui se meurt. Comment voulez-vous que les Français respectent les politiques si eux-mêmes ne sont pas respectables ?
Que dire de Nicolas Sarkozy qui, lui, n’aspire à aucune fonction… ?
Pour des responsables politiques qui appartiennent au passé, c’est peut-être une manière de continuer à vivre. Et je le comprends, c’est humain. Et pour ceux qui appartiennent au présent, c’est une manière de penser à leur carrière. La situation ne peut pas avoir que du négatif. C’est sûrement un mal pour un bien. Cela va nous permettre de tourner toutes les pages que, jusque-là, nous n’avions pas réussi à tourner. Ce que j’ai le plus appris de Nicolas Sarkozy, c’est le sens de la rupture. C’est sa volonté de rompre avec le chiraquisme qui lui a permis de réussir. Je suis certain qu’il ne m’en voudra pas de dire qu’aujourd’hui, il faut rompre avec le sarkozysme. Depuis 2012, la droite française a été plombée par le poids de tous ceux qui avaient échoué à différentes échéances électorales. C’est le moment de couper les cordes et de se libérer de nos liens. Jusqu’ici, cela nous faisait peur, mais je suis certain que nous allons, d’un coup, mieux respirer.
Au sein de la jeune garde de LR, votre positionnement pour une droite sociale paraît isolé. Comment réconcilier la jeune génération avec elle-même et préparer l’avenir ?
La jeune garde peut être utile à tous dans cette période. Il ne s’agit pas d’une bataille de générations, il s’agit simplement d’utiliser tous nos atouts pour parler à tous les Français. Observons comment se comportent les autres partis politiques dans le pays. Emmanuel Macron a mis un coup de vieux à tout le monde. Le Rassemblement national est dirigé par Jordan Bardella, 26 ans. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a déjà annoncé qu’il allait transmettre le flambeau à une nouvelle génération d’Insoumis. Et la droite française serait la seule à ne pas le faire ? La droite républicaine a la chance d’avoir de jeunes élus locaux et nationaux qui ont été élus dans des territoires extrêmement difficiles. Nous avons la chance d’avoir une génération plus capée qui saura transmettre et porter le combat commun.
L’heure est-elle à la chasse aux sorcières, au sein de LR ?
Ma seule volonté est de mettre des mots sur des comportements. Ce n’est pas une chasse aux sorcières, c’est simplement une œuvre de salut public. En nommant les choses, j’ai le sentiment de rendre service.
À droite, la culture du chef est prédominante. Or, vous manquez cruellement de figures capables d’incarner le renouveau. Qui pour sauver la droite LR ? Laurent Wauquiez, par exemple ?
Je vous rappelle que nous sommes à moins de 5 % aujourd’hui. La figure héroïque qui viendrait tous nous sauver ne fera pas le boulot de refondation à notre place. C’est le moment de rebâtir une famille politique nouvelle sur une thématique qui est celle de la droite populaire. Et ça, c’est quelque chose qui se fera nécessairement collectivement. Choisir un chef viendra en temps et en heure. Il y a quand même une leçon à tout ça : en finir avec le système des primaires. Bonne nouvelle !
>> Lire l’interview sur LePoint.fr
L’article Aurélien Pradié : « La politique n’a plus besoin de limaces » est apparu en premier sur les Républicains.