Valérie Pécresse : « Emmanuel Macron est un illusionniste »
« Emmanuel Macron n’est pas de droite », assure la candidate des Républicains, qui attaque également Marine Le Pen et Éric Zemmour « disqualifiés pour défendre les intérêts de la France ».
Que change, pour la France, la guerre de la Russie contre l’Ukraine ?
Avec la guerre qui revient sur le continent européen, c’est une nouvelle période qui s’ouvre. C’est un monde plus menaçant où la question de la souveraineté devient cruciale. Cela valide l’analyse et le projet que je développe depuis plusieurs mois: notre rayonnement extérieur s’est affaibli car notre puissance intérieure s’est affaissée. Ensuite, la campagne change de nature. Des candidats comme Éric Zemmour, Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon sont alignés sur Vladimir Poutine et sous son influence. Éric Zemmour a dit qu’il fallait «un Poutine à la France» et que le dictateur russe était «un démocrate». Marine Le Pen a dit que c’était la politique russe qu’elle voulait pour la France, et par ailleurs son parti est financé par des banques russes. Ils sont donc tous les deux disqualifiés pour défendre les intérêts de la France. Enfin, arrivent au cœur de la campagne des thématiques qui jusqu’à présent n’ont pas été traitées par Emmanuel Macron: la défense, la sécurité européenne, la souveraineté énergétique, industrielle et alimentaire. Des thèmes qui sont déjà apparus au premier plan au moment de la crise Covid. Il faut donc un changement radical de politique pour pouvoir défendre notre pays et lui redonner sa puissance.
Emmanuel Macron ne l’a pas fait ?
Non. Il a pris de très mauvaises décisions. Regardez sa politique énergétique. Il a fermé Fessenheim et annoncé la fermeture de 12 réacteurs au début de son mandat. On a pris cinq ans de retard. Sur la souveraineté alimentaire, il a accepté un projet européen «Farm to Fork» qui conduit à réduire d’ici à dix ans de 10 % la production agricole. À un moment où, avec le réchauffement climatique, les famines vont être de plus en plus nombreuses sur le continent africain et où la Russie et l’Ukraine, deux grandes puissances agricoles, se font la guerre. On voit bien que sa politique nous a fragilisés au lieu de nous mettre en position de force. Immanquablement les Français vont en payer le prix. On voit aussi que la compétitivité de la France n’a cessé de se dégrader. Avec une dette qui s’est envolée et un déficit de la balance commerciale de 85 milliards d’euros. C’est un drame français qui montre que nous avons perdu notre souveraineté en matière industrielle. Emmanuel Macron ne va pas pouvoir échapper à son bilan. Et ce ne sont pas Éric Zemmour ou Marine Le Pen qui ont les solutions.
Face à ce nouveau conflit, que faut-il revoir dans notre stratégie de défense ?
Nous sommes une puissance mondiale. Nous devons assumer notre rôle de puissance stratégique. Notre armée fait notre fierté, mais nos capacités militaires ne sont pas suffisamment opérationnelles. On a encore un trop grand nombre d’avions et d’hélicoptères qui ne peuvent intervenir car ils sont en entretien, nous avons des stocks de munitions insuffisants pour ce que les militaires appellent un combat de haute intensité. Il faut réarmer la défense française. En portant à 65 milliards d’euros, contre les 41 milliards d’aujourd’hui, le budget de nos armées en 2030. Au-delà des 2 % du PIB, cela représente un effort supplémentaire de 108 milliards d’euros. On doit se renforcer dans les armes de nouvelle génération: la cyberdéfense, les missiles hypersoniques, le spatial. Cela nécessite qu’on soit très puissants dans la recherche et très opérationnels sur le terrain. Pour la défense opérationnelle du territoire, je développerai nos forces de réserve.
Vous croyez à l’Europe de la défense ?
L’Europe doit prendre son destin en main. Elle a montré dans cette crise une capacité de réponse qu’il faut saluer. Mais je pense que l’Otan reste le cadre privilégié de l’alliance militaire. Vouloir quitter le commandement militaire intégré de l’Otan, comme le propose Éric Zemmour, serait une faute. Y être, c’est peser sur les décisions et cela ne limite en rien notre souveraineté d’intervention. Mais on voit bien qu’il va falloir construire dans l’Otan un pilier européen. Être dans l’Otan veut dire être allié des États-Unis mais pas aligné. Je choisis l’alliance, pas l’allégeance. Je choisis clairement la démocratie et pas la dictature poutinienne.
Qu’auriez-vous fait de différent d’Emmanuel Macron dans cette crise ?
J’aurais anticipé. Il n’y a pratiquement pas eu de relations entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine entre 2019 et 2021. La réaction d’Emmanuel Macron a été trop tardive et solitaire. Il aurait dû aller à Moscou avec un représentant de l’Union européenne et le chancelier allemand pour montrer la détermination sans faille de l’Europe. Maintenant, il faut des sanctions sévères vis-à-vis de Poutine et ses affidés, tenues dans la durée car notre premier objectif est d’obtenir un cessez-le-feu. Mais il faut aussi travailler à une solution diplomatique. Depuis janvier, j’appelle à une conférence sur la sécurité et la paix en Europe qui réunirait à la fois l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Russie et la Turquie, en lien avec les États-Unis. Une conférence des Européens de l’Atlantique à l’Oural pour établir ensemble l’architecture de la sécurité que nous voulons pour l’Europe.
Si Emmanuel Macron avait capté les signaux faibles que lançait Vladimir Poutine, il aurait compris que la situation risquait de dégénérer. Nous avons eu un signal d’alarme quand la Biélorussie a envoyé des migrants à la frontière polonaise avec le soutien du Kremlin. Le chantage migratoire était en réalité une volonté non dissimulée de la Russie d’affaiblir l’Europe. Il faut que l’Europe puisse protéger ses frontières et puisse répondre à ces attaques. Vladimir Poutine poursuit un objectif qui est maintenant clair: affaiblir l’Europe et la France. En Afrique, on voit que les milices Wagner soutenues par le pouvoir russe s’attaquent aux intérêts français. On ne peut avoir aucune naïveté vis-à-vis de lui. C’est ce que je reproche à Éric Zemmour et Marine Le Pen. Emmanuel Macron aurait dû lui aussi ouvrir les yeux plus tôt. Vladimir Poutine est un grand manipulateur.
Dans sa lettre de candidature aux Français, Emmanuel Macron fait une lecture optimiste de son bilan…
Le bilan d’Emmanuel Macron, c’est cinq années d’immobilisme et d’absence de réformes ! Bien loin du satisfecit qu’il s’adresse, la France a été affaiblie par ses cinq ans de mandat. Par la montée des violences: 32 % de hausse. Par l’incapacité qu’il a eue à protéger nos frontières avec des flux migratoires qui n’ont jamais été aussi élevés: 272.000 titres de séjour accordés. Une intégration ratée, une école devenue une des plus inégalitaires d’Europe, des grands services publics à bout de souffle comme l’hôpital, une recherche française qui a été oubliée et n’a pas été capable de produire un vaccin contre le Covid. Au lieu de faire les réformes, on a eu cinq années de fuite en avant de la dépense publique et de la dette. Le pouvoir d’achat est en berne. Les retraités ont été les grands sacrifiés. Il n’y a aucune fatalité à cette situation. C’est ce que j’écris dans mon livre.
Vous attendiez avec impatience son entrée en campagne, c’est fait depuis jeudi dernier. Qu’est-ce que cela change pour vous ?
Aujourd’hui, la campagne démarre. Il faut concilier l’esprit de responsabilité, qui doit être le nôtre dans le cadre de la crise ukrainienne, et l’exigence de la démocratie. On ne peut pas priver le peuple d’un vrai débat sur le bilan d’Emmanuel Macron. Le temps des grands choix est venu. Il faut rebâtir une nation souveraine, remettre de l’ordre dans la rue, rendre sa compétitivité à l’économie française, revaloriser le travail plutôt que l’assistance.
Emmanuel Macron séduit une partie de votre électorat. Est-il pour autant de droite ?
Emmanuel Macron n’est pas de droite. C’est un illusionniste. Il utilise les mots de la droite, mais il ne fait pas sa politique. Être de droite, c’est croire aux valeurs d’autorité et de liberté. En matière de sécurité, les chiffres sont implacables: on a dépassé les 10 millions de victimes d’atteintes aux biens ou aux personnes. Les coups et blessures volontaires sont en constante augmentation ces dernières années. C’est le résultat d’une culture de l’excuse. Je rappelle que Mme Belloubet, ancienne garde des Sceaux, a pris une circulaire pour demander, compte tenu de la surpopulation carcérale, de ne plus incarcérer. Voilà où mènent dix ans d’abandon.
Je propose un plan Orsec pour la justice avec une augmentation de 50 % des moyens et j’inscrirai la sécurité comme un droit fondamental dans la Constitution. Les délits du quotidien seront jugés en moins de six mois, les peines planchers seront rétablies pour les récidivistes violents. Je veux que les courtes peines soient exécutées. Nous construirons 20.000 places de prison. Nous abaisserons la majorité pénale à 16 ans, nous ferons des saisies sur les salaires et les prestations sociales pour que les victimes soient réellement indemnisées. Une peine minimale d’un an de prison ferme sera instaurée pour tous ceux qui s’en prennent aux figures de l’autorité. Je n’accepte plus que ceux qui défendent la loi et l’ordre soient agressés. Nous créerons une juridiction spécialisée pour les violences faites aux femmes. En matière d’immigration, être de droite, ce n’est pas laisser faire, laisser passer. C’est reprendre le contrôle de nos frontières. Ce sera l’objet d’un référendum que j’organiserai à l’automne 2022. Les clandestins doivent rentrer chez eux et les pays qui n’acceptent pas leur retour seront privés de visa.
Être de droite, c’est aussi avoir les idées claires sur ce qu’est notre nation. Ma France n’est pas communautarisée, elle a une identité, une culture et des valeurs républicaines. J’interdirai le voile forcé, particulièrement celui des fillettes. Je considère que le voile est un instrument de soumission de la femme. Nul ne doit être forcé à le porter. Être de droite, c’est aussi considérer que la famille est une valeur essentielle. En dix ans, la politique familiale a été abîmée. La natalité a baissé de 11 %. Je restaurerai une vraie politique familiale universelle avec des allocations dès le premier enfant. J’augmenterai les aides pour les familles de deux et trois enfants. 95 % des Français seront exonérés des droits de succession et pourront transmettre notamment leur maison de famille qui est le fruit du travail de toute une vie. Être de droite, c’est aussi croire en la liberté en matière économique. On étouffe sous la bureaucratie. Nous ferons ce choc de débureaucratisation promis depuis dix ans, avec un comité de la hache pour en finir avec toutes ces normes qui entravent les entreprises. On demande à nos agriculteurs de respecter des normes environnementales et on importe 25 % de produits alimentaires qui ne respectent pas ces normes. Et comme ils sont moins chers, pour des raisons de pouvoir d’achat, les Français les consomment.
Être de droite, c’est assumer qu’il faudra travailler plus et dépenser moins et mieux. Si on veut rendre sa compétitivité à l’économie française et baisser les impôts de production pour nos entreprises, il faut baisser les dépenses publiques. Les baisses d’impôts d’Emmanuel Macron ont été faites à crédit. Les chèques versés aux Français n’ont fait que creuser les déficits et la dette. Un pays surendetté est un pays moralement coupable de laisser aux générations futures le poids du remboursement. J’assume de dire qu’il faudra une réforme de la sphère publique et que c’est la mère de toutes les réformes. Quand Emmanuel Macron dit qu’on ne peut pas supprimer un seul poste de fonctionnaire, je lui rétorque qu’alors il ne peut pas mettre en place un vrai programme de compétitivité et de pouvoir d’achat. Il faut inventer une nouvelle croissance durable. Elle passe par la réforme de l’État pour plus d’efficacité publique. La suppression de 200.000 postes de fonctionnaires dans l’administration administrante permettra de faire des économies. Cet argent, je l’utiliserai pour recruter dans l’éducation, la justice et la santé – mon triptyque éduquer, protéger, soigner -, pour mieux payer les fonctionnaires et pour baisser les déficits et les impôts. Nous allons décentraliser, clarifier les compétences, numériser et simplifier les procédures et supprimer tous les doublons.
Éric Zemmour attire à lui une autre partie de vos électeurs. Comment les faire revenir vers vous ?
En leur démontrant que je suis celle qui aura le courage de faire les réformes indispensables et celle qui saura remettre de l’ordre. Il suffit de regarder ce que j’ai fait dans ma région. Je tiens mes engagements. Face à la crise, il faut une présidente crédible pour gouverner grâce à son expérience et son équipe de gouvernement. Les vraies réponses à l’immigration incontrôlée, ce sont les miennes, avec l’instauration des quotas migratoires en fonction des métiers et des pays et avec un principe simple: les clandestins doivent rentrer chez eux. Pour les pays qui refusent de les reprendre, ce sera zéro visa. Nous mettrons fin au regroupement familial automatique. Il faudra réussir un examen de français obligatoire, adhérer aux valeurs de la République, avoir des revenus suffisants. Les demandes d’asile seront enregistrées à la frontière et traitées, comme en Grèce, dans un délai d’un mois. Nous ne donnerons plus aucune prestation sociale non contributive avant cinq ans de résidence régulière en France. Je mettrai fin au droit du sol automatique. Il faudra demander la nationalité française à 18 ans et donner des preuves d’assimilation. Les condamnés étrangers seront expulsés à l’issue de leur peine. Reprendre le contrôle des flux migratoires, c’est la vraie solution. L’immigration zéro, ça n’existe pas et ça ne se fera jamais. Quant au reste du programme d’Éric Zemmour, c’est la faillite assurée avec ses 150 milliards d’euros de dépenses publiques non financées.
Vous faites de l’école une des priorités de votre programme. En quoi est-ce fondamental ?
L’école, c’est la fabrique de la France, c’est le creuset de la nation. Aujourd’hui, notre école est malheureusement très fragilisée. Nous sommes devenus un pays de grandes inégalités scolaires et de l’ascenseur social en panne. Nous baissons dans les classements internationaux. Je veux un sursaut pour l’école. C’est le cœur de mon projet de «nation éducative». Nous devons garantir que chaque enfant, à la fin de sa scolarité, maîtrisera les savoirs fondamentaux qui ouvrent la voie à la réussite. Je fais du français et des maths les deux grandes causes éducatives du quinquennat. Je remettrai les mathématiques dans le tronc commun du baccalauréat. Nous augmenterons les heures en primaire et instaurerons un examen avant l’entrée en sixième. Ceux qui rateront l’examen entreront dans des classes de «sixième de consolidation». Nous allons créer une réserve éducative nationale ouverte aux enseignants retraités, aux étudiants et aux actifs volontaires, qui seront rémunérés pour faire du soutien scolaire gratuit. Je veux que chaque enfant de France ait sa chance. Nous devons à l’école transmettre la fierté de l’histoire de France. La repentance, ça suffit. Nos enfants doivent être fiers des pages lumineuses de notre histoire. Il faut construire un récit national à l’école. C’est pour cela que j’ai proposé de faire du 10 novembre une Journée des héros français d’hier et d’aujourd’hui.
Nous donnerons beaucoup plus d’autonomie aux établissements scolaires. Dans les territoires où se concentrent les difficultés, nous créerons des écoles publiques innovantes 100 % autonomes où tous les professeurs seront volontaires. C’est comme cela que les Suédois ont réussi à relever le niveau dans les quartiers les plus difficiles. Enfin, je confierai l’orientation et les lycées professionnels aux régions en lien avec les entreprises pour généraliser l’alternance et l’apprentissage. Je ferai aussi une réforme de Parcoursup. Ce n’est pas à un algorithme opaque de choisir l’orientation des bacheliers. Il faut passer à l’étape 2 de l’autonomie des universités, que j’avais lancée il y a dix ans, et que les universités assument de fixer des prérequis et des critères clairs pour une orientation sélective à l’entrée dans le supérieur.
Vous attendiez-vous à une campagne aussi dure ?
Oh oui, je m’y attendais! J’ai trop d’expérience de la vie politique pour ça ! Mais j’espère que ces prochaines semaines vont surtout être l’occasion de parler du fond, du projet pour la France. Elle est face à son destin. Serons-nous encore demain une grande puissance souveraine ? Serons-nous encore une nation, c’est-à-dire, selon les mots d’Ernest Renan, un peuple qui a envie de vivre ensemble et de partager un destin commun ?
Qu’est-ce qui est le plus difficile pour vous ?
La pandémie Covid puis la guerre en Ukraine éclipsent le débat démocratique sur l’état de la France: comment réindustrialiser et innover pour atteindre le plein-emploi, comment ramener l’ordre à nos frontières et dans nos rues, rebâtir les services publics, revaloriser le pouvoir d’achat, comment relever le défi climatique et énergétique. Sur tous ces sujets, la France a besoin d’un projet clair et en rupture avec l’immobilisme.
Vous pensez toujours pouvoir vous qualifier pour le second tour le 10 avril ?
Plus que jamais !
Et gagner le 24 avril ?
Absolument. Je suis prête, j’ai l’expérience, l’équipe et le projet nécessaires pour relever la France. Malgré la guerre en Ukraine, les Français peuvent sans crainte changer de capitaine. Il faut passer des paroles aux actes.
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