Valérie Pécresse : « L’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN ne me semble pas une priorité dans une Europe pacifiée et réconciliée »
La candidate Les Républicains propose la réunion d’une « Conférence sur la sécurité européenne » réunissant l’UE, la Russie et les pays européens « de l’Atlantique à l’Oural ».
Dans son discours du 23 novembre 1959 à Strasbourg, le général de Gaulle appelait de ses vœux la constitution d’une « Europe des nations », rassemblée de l’Atlantique à l’Oural. Encore une fois, le Général faisait preuve d’une vision qui traversait le siècle, par-delà les circonstances stratégiques du moment, qu’il savait passagères.
Oui, cette vision pouvait sembler irréaliste au moment où l’Allemagne était divisée et où l’Armée rouge asservissait la moitié du continent. Mais le général de Gaulle s’adressait, au-delà des idéologies, dont il faisait peu de cas, aux pays et aux nations, « toutes ces vieilles terres où naquit, où fleurit la civilisation moderne ».
Aujourd’hui, nous y sommes. La chute du rideau de fer a déclenché une formidable vague démocratique qui a submergé le continent et a permis à la famille européenne de se réunir. L’histoire de ces quarante dernières années, c’est l’histoire d’un continent qui retrouve ses racines, même si tous les fruits de cette réconciliation restent encore à cueillir.
Un monde multipolaire a émergé
Au moment où s’engage une escalade des tensions autour de l’Ukraine et où se déroulent des discussions entre Américains et Russes sur l’avenir de la sécurité en Europe, sans les Européens, j’appelle chacun à revenir à la vision prémonitoire du général de Gaulle. A la Russie qui a adressé ses propositions aux Etats-Unis pour régler les questions de sécurité sur notre continent, je dis : ne vous plaignez pas d’être considérée avec les yeux de la guerre froide, si vous en revenez à l’approche la plus rétrograde de celle-ci.
Je conçois bien que l’effet miroir d’un axe Moscou-Washington attise la nostalgie d’un temps passé, mais je le dis à nos amis russes, l’époque du condominium mondial est révolue. Un monde multipolaire a émergé, de nouvelles puissances ont pris leur place sur la scène internationale. La Russie, la Russie éternelle, celle de Tolstoï et de Pouchkine, que je connais et que j’aime, fait avant tout partie du continent européen et ne doit plus rêver de se partager le monde dans un tête-à-tête avec les Etats Unis.
Aux Etats-Unis, je dis : acceptez enfin que les Européens puissent prendre en charge les problèmes de leur propre famille. Les Américains sont venus par deux fois au secours des démocraties européennes durant le siècle passé et je n’oublierai jamais ce que nous leur devons. Je ne dirai jamais que l’OTAN est « en état de mort cérébrale », propos irresponsables, car l’Alliance atlantique reste un pilier majeur de l’équilibre et de la sécurité du continent.
L’urgence absolue est d’obtenir un gel de la situation
De grâce, évitons les sautes d’humeur lorsqu’il s’agit des intérêts vitaux du pays. Durant les présidences de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, la France a normalisé sa place au sein de l’Alliance atlantique et nous devons en rester l’un des pays les plus actifs. Mais cela ne doit pas nous empêcher d’avoir une vision proprement européenne de la sécurité de notre continent.
Et à nos partenaires de l’Union européenne je dis : rassemblons-nous pour prendre notre destin en main. A quoi sert d’afficher une politique étrangère de l’Union européenne, si elle n’est pas capable de peser sur la destinée du continent ? Je suis pour une France forte dans une Europe puissante. Avec l’Allemagne, qui est le meilleur symbole et la plus belle réalisation de la réunification du continent européen, nous, Français, devons former le fer de lance de cette émancipation européenne.
Alors que faire ? Car il ne suffit pas d’invoquer la réunification du continent, en ignorant les problèmes immédiats qui se posent et les bruits de bottes inquiétants qui résonnent aux frontières de l’Ukraine. L’urgence absolue est d’obtenir un gel de la situation au pourtour de l’Ukraine et d’appeler à une désescalade dans les propos et dans les actes. On n’engagera pas avec la Russie une discussion sur une nouvelle architecture de sécurité européenne avec un couteau sous la gorge et nul ne doit menacer les frontières ou l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
Montrer une position européenne forte
Je suis pour tendre la main à la Russie qui est une grande puissance et un grand pays européen, mais pas de manière isolée et naïve. La réception du président Poutine à Versailles m’a fait penser à cette phrase du général de Gaulle : « l’ambition individuelle est une passion enfantine ». Ce n’est pas comme cela que l’on convaincra le président Poutine, c’est en lui montrant que l’on a une position européenne forte, que l’on a une vraie proposition à lui faire et que l’on trace clairement les conditions de sa mise en œuvre.
Une négociation internationale, c’est du donnant donnant, ce n’est pas un jeu de posture. Je le dis sans détour : l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN ne me semble pas une priorité dans une Europe pacifiée et réconciliée. Mais cela suppose que ses frontières ne soient plus menacées et que sa souveraineté et son intégrité soit respectées.
Oui, le continent européen peut être le cadre de nouveaux développements de coopérations politiques, économiques et humaines dans lequel la Russie prendra toute sa place, mais il appartient au gouvernement en place à Moscou d’en faire le choix. Une fois ce préalable acquis, je proposerai la réunion d’une « Conférence sur la sécurité européenne » réunissant l’Union européenne, la Russie et les pays européens « de l’Atlantique à l’Oural ».
Cette conférence serait chargée de définir une nouvelle architecture de sécurité européenne, tirant les leçons de l’évolution des quarante dernières années et prenant en compte les préoccupations légitimes des uns et des autres. Près de cinquante ans après les accords d’Helsinki qui ont créé la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, devenue Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, il est temps de refonder l’architecture de la sécurité européenne, afin de donner enfin au continent européen le cadre de sécurité qui lui fait défaut.
Pas d’Union européenne puissance sans des nations fortes
Dans le cadre de ces nouvelles institutions, nous pourrions étudier les conditions de la création d’un Conseil de sécurité européen, qui n’affecterait en rien les prérogatives du Conseil de sécurité des Nations unies, mais qui serait un cadre de dialogue permanent avec la Russie sur les questions de sécurité du continent. Cela serait aussi l’occasion d’affirmer l’autonomie stratégique de l’Union européenne.
Avoir un strapontin dans une négociation menée par d’autres sur les questions de sécurité en Europe est indigne. Je souhaite que l’Union européenne joue un rôle de premier plan. C’est un chantier historique, complexe et difficile, qui se heurtera à de nombreuses appréhensions et à certaines réserves, j’en ai bien conscience. Mais la France sera dans son rôle en portant cette ambition.
Si les Français me confient la haute charge de présider notre pays, j’en ferai un axe majeur de la politique extérieure de la France pendant mon quinquennat. Trente-trois ans après la chute du mur de Berlin, le continent européen a de nouveau rendez-vous avec l’histoire. Il tient à nous de relever ce défi. A nous, Européens, qui devons montrer que l’Union européenne est capable d’être l’Europe puissance que j’appelle de mes vœux. A nous, Français, car il n’y aura pas d’Union européenne puissance sans des nations fortes, sans une France forte.
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