Gérard Larcher : « Le Sénat veut préserver le pouvoir d’achat des Français »
Le président du Sénat déplore l’attitude des députés sur le budget et dévoile les premiers arbitrages trouvés avec Matignon. Il met également en garde Ursula von der Leyen contre la signature d’un accord que la France désapprouve.
Vous rentrez de Nouvelle-Calédonie, quelles réponses faut-il apporter pour sortir de la crise ?
La première urgence est sociale et financière. Outre le retour à l’ordre public, préalable à la restauration de la confiance et du dialogue, la Nouvelle-Calédonie a besoin d’un soutien économique. Près de 20 000 personnes sont au chômage partiel ; d’ici à deux mois, certaines familles n’auront plus aucune ressource, aucun revenu. Nous allons relayer les demandes de l’ensemble des groupes politiques de Nouvelle-Calédonie pour abonder un fonds de solidarité. Dans la foulée, nous devons garantir un soutien financier aux entrepreneurs, en leur facilitant l’accès aux crédits et le versement des indemnités d’assurance. On n’investira pas si le doute sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie persiste. Et donc, c’est le troisième volet, il faut redéfinir une feuille de route et un dialogue entre les uns et les autres. C’est ce à quoi nous avons travaillé avec la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet. Nous sommes repartis confiants, après avoir assisté à des échanges constructifs entre les présidents de tous les groupes politiques, des loyalistes à l’Union calédonienne. Avec Yaël Braun-Pivet, nous allons continuer à nous occuper de la Nouvelle-Calédonie. Nous poursuivrons nos échanges avec tous car la voie du dialogue est amorcée.
Vous avez parlé de la recherche d’une « souveraineté partagée », c’est-à-dire ?
C’est une voie à explorer et sans a priori idéologique. Je pense que l’avenir des Calédoniens leur appartient et qu’il est dans la République. C’est en tout cas mon souhait. Il y a encore la possibilité d’un destin commun.
Vous êtes rentré en métropole le soir du match de football France-Israël qui s’est déroulé dans un climat de tension après des incidents en marge d’un match aux Pays-Bas, cela vous inquiète-t-il ?
Je pense d’abord que Bruno Retailleau a eu raison de maintenir ce match, il ne faut rien céder. Il y a un an et trois jours, nous marchions ensemble, la présidente de l’Assemblée nationale et moi, pour la République et contre l’antisémitisme. Cette prise de conscience était indispensable mais pas suffisante. Les statistiques du ministère de l’Intérieur démontrent une explosion des actes antisémites sur nos compatriotes de confession juive qui ne représentent qu’1 % de la population et sont la cible de 57 % des agressions racistes. Cette aggravation préoccupante est la conséquence de la montée de l’islamisme et de l’intégrisme, alimentée par une partie de la classe politique, notamment l’extrême gauche. Quand j’entends Éric Coquerel, président de la commission des finances de l’Assemblée, déclarer qu’il juge que Monsieur Elias d’Imzalène – militant fiché S poursuivi pour « provocation publique à la haine ou à la violence » après avoir appelé à l’intifada dans Paris – est « certainement plus respectable » que Bruno Retailleau, je m’inquiète de l’état de la représentation nationale et de mon pays. Si nous ne réagissons pas avec la plus grande détermination, nos compatriotes juifs se poseront naturellement la question de leur avenir en France, pays des droits de l’homme, et ça, je ne peux l’accepter !
Considérez-vous que le président Emmanuel Macron porte une part de responsabilité dans la dégradation du climat au vu de ses déclarations sévères à l’endroit de Benyamin Netanyahou ?
Il y a un problème de cohérence : nous sommes passés d’une grande coalition contre le Hamas à une demande de cessation des livraisons d’armes à Israël, pour finalement entendre que le Premier ministre israélien ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’Onu, ce qui constitue un contresens.
Le Sénat va débattre du projet de budget, dont la version issue de l’Assemblée a été considérablement modifiée et finalement rejetée. Comment l’abordez-vous ?
Nous engageons le débat dans un esprit de dialogue avec le gouvernement, en étant pleinement conscients de la situation de la France qui appelle à la responsabilité de tous. Je regrette que les débats à l’Assemblée nationale se terminent par cinquante milliards de dépenses supplémentaires alors que la crise financière nous guette. Nous commencerons demain par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Avec un principe intangible : respecter le cadre d’un retour à 5 % de déficit.
Reprendrez-vous la mesure portée par Laurent Wauquiez de l’indexation des retraites à hauteur de 1 % au 1er janvier et de 1 % supplémentaire pour les petites pensions au 1er juillet ?
Il est naturel de demander aux retraités de contribuer au redressement des finances publiques. Mais je pense que l’ajustement proposé est raisonnable. Cette mesure souhaitée par la commission des affaires sociales du Sénat mérite d’être précisée pour ce qui est du niveau des « petites retraites ».
Autre point de friction au sein du « socle commun » : l’allègement de charges sur les bas salaires. Les députés macronistes ont voté leur maintien alors que le gouvernement souhaitait les réduire à hauteur de cinq milliards.
Il faut sans doute maintenir les allègements au niveau du Smic, notamment pour protéger les entreprises de services d’aide à la personne, de gardiennage ou de travaux ménagers. L’enjeu de la préservation de l’emploi dans ces secteurs est légitime. Mais, en même temps, l’ensemble des exonérations sur les salaires atteint des niveaux faramineux, tout cela pour compenser l’effet du passage aux 35 heures ! Il semble donc nécessaire de mieux les encadrer.
Êtes-vous favorable à la suppression d’un jour férié, notamment pour financer l’autonomie ?
Cette mesure est portée par le Sénat depuis plusieurs mois. Nous allons la reprendre, pas forcément sous la forme de la suppression d’un jour férié, mais sur l’idée de sept heures de travail et de production supplémentaires. On ne peut pas se plaindre en permanence qu’on ne répond pas à l’enjeu de l’autonomie et du vieillissement sans répondre par une démarche de solidarité. Ce n’est pas la seule voie, il y aura aussi la réponse assurantielle, c’est un débat que nous aurons en y associant les partenaires sociaux. Je suis, comme le Premier ministre, attaché au dialogue social.
Le Premier ministre prévoit une contribution exceptionnelle des ménages les plus riches, un impôt en plus…
Nous sommes déjà le pays le plus fiscalisé d’Europe mais la situation est telle qu’il faut s’y résoudre. À la condition que cela soit temporaire, et qu’on s’attache dans le même temps au renforcement des dispositifs antifraudes et anti-abus. Nous y travaillons, en particulier sur les dispositifs qui visent à soustraire les revenus des dividendes à l’impôt. Je maintiens que l’objectif reste la réduction des dépenses dès 2025.
Vous approuvez de la même façon la contribution exceptionnelle des grands groupes au-delà de deux milliards d’euros de chiffre d’affaires ?
Oui, à condition qu’il soit inscrit dans la loi que ce prélèvement sera limité dans le temps.
Les députés ont supprimé la hausse des taxes sur l’électricité qui devait rapporter trois milliards d’euros, le Sénat la rétablira-t-elle ?
Nous y sommes opposés au titre de la préservation du pouvoir d’achat des Français. Le sujet, me semble-t-il, est plutôt d’instaurer une équité entre la taxation du gaz et de l’électricité. Non seulement au titre du redressement des finances publiques, mais au-delà, pour répondre à ceux qui nous donnent des grandes leçons d’écologie. Je rappelle que le gaz est une énergie fossile et que l’essentiel de l’électricité provient d’une énergie décarbonée qui s’appelle le nucléaire.
Cinq milliards d’économies pour les collectivités territoriales, le président de la chambre des territoires y souscrit ?
Ayons à l’esprit que les collectivités représentent 70 % de l’investissement public. Elles accompagnent la vie quotidienne des citoyens, assurent les services de proximité. J’ajoute, n’en déplaise à Bruno Le Maire, que les collectivités ne sont pas coupables du creusement du déficit. Le Premier ministre a fait un certain nombre de pas en direction des départements sur le fonds de compensation pour la TVA ou sur ce qu’on appelle le fonds de précaution de trois milliards d’euros. Il faut aussi se pencher sur le prélèvement sur les recettes pour 450 grandes collectivités, ponctionnées souvent sur des critères discutables. La commission des finances du Sénat est en train de remodeler en profondeur ces dispositifs de financement pour protéger les départements et les communes.
Quelle est la bonne mesure d’économie pour les collectivités territoriales, in fine ?
Autour de deux milliards d’euros. Il en manque trois par rapport à ce que prévoyait le gouvernement. Nous les trouverons ailleurs.
Ce budget contraint l’est notamment du fait des mauvaises prévisions de Bercy. Bruno Le Maire a été auditionné par le Sénat à ce sujet. Vous a-t-il éclairé ?
J’ai bien entendu ce qu’a dit Bruno Le Maire, évoquant notamment les choix budgétaires de Monsieur Barnier. Je le renvoie à la parabole bien connue de la paille et de la poutre.
Auchan, Michelin, et d’autres plans sociaux sont à venir. Comment expliquer cette soudaine dégradation de l’activité industrielle ?
Vous évoquez le secteur de l’automobile. Je suis d’un département, les Yvelines, où sont implantés Renault, Peugeot, des sous-traitants comme Valeo, Valeo-Siemens. Je mesure à quel point la politique de transition écologique est nécessaire mais menée de façon si brutale qu’il y a des conséquences massives sur l’emploi. Mais on nous a servi de beaux discours sur un El Dorado des emplois dans ces filières de transition à plus ou moins long terme, et nous payons dans l’immédiat les effets de la brutalité de cette bascule sur le marché de l’automobile. Je plaide donc pour que nous redéfinissions une stratégie industrielle cohérente.
Faut-il remettre en cause l’objectif européen de ne plus mettre sur le marché de voiture à essence à partir de 2035 ?
La plupart des constructeurs automobiles européens, les Allemands en tête, disent que cela n’était pas raisonnable. La Commission européenne a été vite en besogne par une approche dogmatique sur le sujet. On oublie trop souvent la réalité des mobilités dans les territoires.
Les agriculteurs relancent un mouvement de revendication, un an après la dernière crise. Comment leur répondre ?
Ils sortent d’une année très mauvaise en rendement dans les secteurs céréaliers. Parfois très difficile à récolter pour ce qui concerne en ce moment le tournesol ou le maïs sur des territoires qui ont connu de fortes pluies ces dernières semaines. La filière vinicole traverse une crise qui amène à l’arrachage de très nombreux hectares. Quant aux spiritueux, Cognac, Armagnac, ils sont confrontés à la fermeture de marchés d’exportation vitaux. Enfin, l’année a été marquée par des épizooties qui touchent les ruminants, et la menace de la peste porcine.
Peut-on seulement imaginer ce à quoi sont confrontés nos agriculteurs ? Ils attendaient beaucoup de la loi d’orientation agricole, suspendue par la décision de dissoudre l’Assemblée nationale.
Le projet de loi de finances va permettre de reprendre un certain nombre de mesures sur les cotisations des retraites agricoles ou la limitation du nombre de contrôles annuels auxquels les exploitants sont soumis. Mais il faut aller plus loin. Le Sénat reprendra en décembre le projet de loi de programmation agricole qui prévoit une série de mesures de simplification sur les bâtiments, l’utilisation des phytosanitaires… Il faut que l’on renoue la confiance entre le monde agricole et les pouvoirs publics. Nous devons défendre notre modèle d’agriculture en lui permettant de rester compétitif, notamment en résistant à la concurrence déloyale.
Vous parlez du Mercosur ?
Sur ce sujet, je sais que le Premier ministre est très déterminé et qu’il l’a signifié à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Plus de six cents parlementaires, de toutes sensibilités politiques, viennent d’écrire à la Commission pour exiger des clauses miroirs avec les pays du Mercosur. D’un côté, nous imposons à nos agriculteurs des conditions de production interdisant un certain nombre d’hormones et d’antibiotiques, et de l’autre, on laisserait des pays concurrents importer des viandes d’animaux qui ne seraient pas soumis aux mêmes conditions d’élevage ? Sans contrôles ? Comment voulez-vous que nos agriculteurs ne sortent pas les tracteurs !
Le fait est que la France est minoritaire en Europe sur ce sujet et n’a pas les moyens de bloquer l’accord.
Je le redis : nous sommes très déterminés. Si Madame von der Leyen essaye de scinder l’accord en deux parties pour tenter de nous « rouler » sur la partie commerciale, elle ne doit pas oublier que d’autres rendez-vous nous attendent et que jouer contre la France serait une faute de la part de la Commission européenne.
Bruno Retailleau alerte sur la « Mexicanisation de la France » et décrète la mobilisation générale contre les « narco-racailles ». Mais a-t-il les moyens de ses ambitions ?
Il a raison. Bruno Retailleau a des convictions fortes et la volonté de changer les choses. Le narcotrafic est en train, réellement, de gangrener un certain nombre de nos villes. Il pourrit les relations humaines, obscurcit l’avenir d’un certain nombre de jeunes et crée des conditions d’insécurité et de violence insupportables (entre janvier et juin, 182 homicides ou tentatives d’homicide). Sur la base du rapport sénatorial de MM. Blanc et Durain, du printemps dernier, nous avons inscrit une proposition de loi – en coordination avec le gouvernement – proposant la création d’un parquet en charge de la lutte contre la criminalité organisée, avec des moyens renforcés, et l’extension du champ des cours d’assises spéciales pour éviter notamment les risques de pression sur les jurys populaires. Le texte comporte aussi un renforcement de la lutte contre tous les types de corruption et un volet sur la saisie systématique des biens et fonds des trafiquants. Nous en débattrons en janvier. Tous les bords politiques du Sénat partagent cette préoccupation. Reconnaissons à Bruno Retailleau que ce qu’il dit, il le fait, en trouvant, avec le garde des Sceaux, les équilibres nécessaires.
En matière d’immigration, il doit faire preuve de la même fermeté ?
Regardez les chiffres de l’OCDE : pour la deuxième année consécutive, les flux migratoires atteignent des records, qu’ils soient familiaux ou humanitaires. La situation n’est plus tenable, nos capacités d’intégration arrivent à saturation. Le Sénat va défendre, sur ce sujet aussi, une proposition de loi que l’ancien président de la commission des lois, François-Noël Buffet, avait préparé et qui reprend bon nombre des amendements qui avaient été censurés par le Conseil constitutionnel pour des questions de forme. Durcissement des règles de regroupement familial, rétablissement du délit de séjour irrégulier et réexamen du droit du sol, notamment. Ce texte avait été voté par la précédente majorité relative, à l’Assemblée nationale.
Depuis l’élection d’Emmanuel Macron qui s’y était lui-même engagé, la mise en place de la proportionnelle pour l’élection des députés est sans cesse repoussée. Faut-il l’inscrire à l’ordre du jour de cette législature ?
Par nature, je ne suis pas enclin à la proportionnelle. Cela m’inquiète de voir que les élus peuvent être déconnectés des territoires qu’ils représentent. C’est la raison pour laquelle la proportionnelle ne peut se faire sans rétablissement de la possibilité pour un député ou un sénateur de coupler son mandat national avec un mandat exécutif local. J’ajoute qu’il faut faire reposer le scrutin sur des listes départementales.
Marine le Pen dénonce un réquisitoire visant à l’écarter de la politique dans le procès dont elle est l’objet dans l’affaire du détournement de fonds européens. Partagez-vous son analyse ?
D’abord, il ne s’agit que des réquisitions du parquet. À ce stade, les magistrats appliquent les textes que le législateur a votés. Madame Le Pen ne perdrait pas son mandat de député, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce qui pose question c’est « l’exécution provisoire ». Porte-t-elle atteinte à la présomption d’innocence ? Je pense qu’il y a là un sujet : appliquer une sanction alors que les voies de recours ne sont pas épuisées. Il va falloir y réfléchir.
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